Inquiétude. Le groupe « La Dépêche du Midi » vient de confirmer l’arrêt de Toulouse Mag. Il y a quelques mois, c’était le site web Carré d’Info qui fermait ses portes … TLT est au bord du précipice. Le monde médiatique toulousain est donc en pleine effervescence et en plein doute. Il a pourtant toujours été difficile de s’imposer sur les terres de La Dépêche. Explications.
Par Thomas Simonian et Coralie Bombail
C’était un secret de polichinelle, mais aujourd’hui les faits sont là. Toulouse Mag vient de sortir son dernier numéro. Ce mensuel lancé en 2001 par un certain Jean-Christophe Tortora (qui a depuis créé Objectif News puis repris La Tribune), avait été racheté à ce dernier par le groupe de La Dépêche du Midi. Un arrêt qui n’est pas le premier, loin de là, en terres toulousaines. Au lendemain de la victoire de la gauche en 1981, « Toulouse Matin » fait son apparition dans les kiosques avec la ferme intention de concurrencer le célèbre quotidien régional. L’aventure ne durera pas … Quelques mois après le lancement, le grand argentier de l’opération, un patron issu du BTP, Pierre Dumons jette l’éponge. En coulisses, un certain nombre de collectivités avait annoncé qu’elles allaient lui couper les vivres suite à des pressions de … Suivez notre regard. Cette aventure marque les débuts du journaliste toulousain Philippe Motta : « C’était la grande époque du papier, l’antéchrist. Pourtant, malgré ce contexte favorable il était déjà compliqué de se faire une place ici. » Quasiment de suite des anciens de Toulouse Matin créent un hebdo dénommé « L’Accent », mais pour Philippe Motta « l’erreur a été de démarrer sans argent. » Un nouvel échec à l’arrivée.
« TLT perdait déjà de l’argent sous l’ère Baudis »
Puis en 1986, avec la bienveillance de Dominique Baudis, arrive « Courrier Sud » un nouvel hebdomadaire qui commettra l’erreur fatale de se transformer en quotidien : « Comme toujours le problème de trésorerie s’est vite posé. À l’époque le coût de fabrication des journaux était énorme … », analyse la plume toulousaine. « Le Journal de Toulouse » arrivé en 1988 est le concurrent le plus sérieux qu’est connu la Dépêche. D’abord payant, puis en format gratuit, ce qui était une sacrée innovation pour l’époque, ce journal tiendra tout de même jusqu’en 1992. En 1995, une bombe déboule dans le paysage de la presse toulousaine avec le trimestriel « Satiricon », qui sur le modèle du Canard enchaîné s’amusait à dévoiler tous les dessous et les travers de la ville rose … Sous forme associative, et alimenté par les meilleures plumes locales qui s’amusaient à signer avec des pseudonymes, ce journal dézinguait toute la classe politique : « Ecrire de manière masquée était un parti pris éditorial qui garantissait une certaine liberté. Ce canard était un réel contre-pouvoir salutaire … » nous explique Philippe Motta qui ne fait pas mystère d’avoir appartenu à cette aventure. Les débuts du Satiricon marquent un tournant dans l’histoire de la presse, Martin Venzal aujourd’hui patron de Touleco s’en souvient : « À l’époque il y avait un Club de la Presse à Toulouse … Or, dès l’arrivée de ce journal les collectivités ont tiqué. Certaines ont même menacé de ne plus subventionner le Club s’il continuait à soutenir le Satiricon. L’une a vite mis sa menace à exécution … Cela a été un traumatisme pour la profession. » Stéphane Thépot, plume du « Monde » et du « Point », se souvient également : « Le Satiricon a démontré que le lecteur toulousain voulait une info différente. » Le trimestriel aura même fait l’objet de tentatives de récupérations politiques. Parmi elles, celle du PS toulousain qui avait envoyé en son temps Henri Matéos (qui deviendra plus tard un adjoint de Pierre Cohen) en sous-marin pour une opération séduction : « Le bal des hypocrites », tempête encore avec malice Philippe Motta. En 2000, c’est Le Monde, sous la coupe de Jean-Marie Colombani, qui faute d’avoir trouvé un accord avec la famille Baylet concernant La Dépêche du Midi, crée l’hebdo « Tout Toulouse. » Stéphane Thépot a vécu ce lancement : « Colombani, alors conseillé par Alain Minc, avait pour vision de développer son groupe via la presse régionale. Avec Tout Toulouse, ils ont voulu tester le format hebdomadaire “bobo branché”. Le journal était certes perfectible, mauvais sur la forme, mais bon sur le fond. Mon avis était qu’il ne fallait pas jeter l’éponge. » Car en effet, Le Monde a cédé, une fois de plus, à la pression exercée par La Dépêche, qui afin de mettre un terme à cette concurrence avait transformé l’hebdomadaire La Gazette en « O Toulouse » : « Leur objectif était alors de diviser le marché commercialement », complète Stéphane Thépot. Reste le cas TLT, notre télévision locale en sursis, qui attend sa prochaine audience du tribunal de commerce prévue le 21 novembre prochain : « Cette affaire est mal gérée depuis le début. TLT perdait déjà de l’argent sous l’ère Baudis, et son déménagement à la Médiathèque a considérablement creusé la dette.
« Il y a traditionnellement une méfiance envers la presse à Toulouse »
Il y a pourtant une vraie utilité à avoir une télévision locale, et il y a même eu une époque ou TLT était le vrai concurrent de La Dépêche », analyse Martin Venzal. Aujourd’hui le constat est triste et inquiétant, tous les médias papier comme web disparaissent les uns après les autres. Comme s’il était quasi impossible d’imposer un autre journalisme à Toulouse. Le site Carré d’info, qui a tenté de s’imposer sur le web en ‘‘tout gratuit’’ s’est heurté au problème. Internet devient un passage obligé pour tous les médias, alors qu’aucun modèle économique n’a été trouvé. Au niveau local, le challenge est encore plus difficile : « Je ne crois pas au payant sur une ville comme Toulouse, il n’y a pas une population suffisante. Quand on voit que Médiapart arrive péniblement aux 100 000 abonnés après 5 ans d’existence… Si on fait le pourcentage par rapport à la population française, c’est peu », remarque Xavier Lalu, journaliste fondateur du site Carré d’info. Quelques mois après l’arrêt du site, il revient sur les difficultés de l’expérience : « On manquait de financement dès le départ, mais on pensait que l’argent de la publicité rentrerait plus vite. » Le marché de la publicité déjà en crise sur le papier, est encore plus rude sur le web, surtout lorsque le média impose un ton décalé, critique, voire sans concession sur l’actu: « Clairement, ça ne nous a pas aidé, on a subi quelques mauvais coups », avoue Xavier Lalu. Pour lui, il faudrait trouver « le moyen de financer un journalisme d’utilité publique qui ne soit pas soumis aux mêmes règles économiques que n’importe quelle autre entreprise ». Mais y’a-t-il une demande forte à Toulouse pour une information de qualité ? « Je suis persuadé que cette ville n’a pas forcément la culture de la presse », répond Philippe Motta. « Il y a une place pour ce type de médias, les Toulousains sont très connectés, ils sont intéressés par l’actualité, mais il y a traditionnellement une méfiance envers les médias due au fait que le principal journal local soit tenu par le président d’un parti… », analyse Xavier Lalu. La question à se poser pour tout média est « Qui sont les Toulousains ? On doit savoir à qui on s’adresse », poursuit le créateur de Carré d’info. Stéphane Thépot abonde dans ce sens : « La population de cette ville ne cesse de se renouveler. Ces nouveaux habitants s’intéressent aux dossiers qui font l’actu ; cela leur permet de mieux connaître et apprivoiser Toulouse », et d’ajouter « ici la crise n’est pas plus forte qu’ailleurs. La presse est en mutation, c’est le début d’une nouvelle ère. La situation des médias n’est que le reflet de la société. Or à mon avis nous vivons bien plus qu’une crise, c’est un contexte prérévolutionnaire. »
Nous venons par ailleurs d’apprendre que le groupe SEPR SA auquel appartient “La Voix du Midi” a été racheté le 31 octobre dernier par Publi-Hebdos, le groupe éditeur notamment des éditions Ouest-France. Ce dernier possède déjà 79 publications réparties sur 15 départements. SEPR SA regroupe 5 titres (Voix du Jura, Voix du midi, Voix du Cantal, Vie Quercynoise, Croix du Nord). Publi-Hebdos sera dorénavant présent dans le Nord et sur toute la partie ouest de la France.
Libre comme Stéphane Thépot
La rue Gabriel Péri est déjà sombre en cette fin d’après-midi. La pluie appuie un sentiment de bohème … Le journaliste m’attend sur la terrasse d’une brasserie. Il y exécute ce qu’il affectionne tout particulièrement, une revue de presse. Très rapidement nous abordons son parcours, et aussi surprenant que cela puisse paraître c’est sur les ondes que tout à commencer pour la plume toulousaine. Nous sommes là au début des années 80, en pleine période “radio libre” : “J’ai adoré cette période même si beaucoup n’avait pas toujours l’auditeur comme priorité.” Après Sciences-Po Toulouse, l’homme prend la plume et devient le correspondant local de “La Croix”, avant de devenir rédacteur en chef des “Réalités de l’écologie”, “mon premier dépôt de bilan” s’amuse t-il aujourd’hui. En 1997, l’aventure avec “Le Monde” commence pour lui : “C’était alors la mise sur orbite du tandem Colombani-Plenel”, explique le journaliste. C’est d’ailleurs par le biais de sa collaboration avec le quotidien du soir qu’il participe en 2000 au lancement de l’hebdomadaire “Tout Toulouse” sous la houlette de Jean-Paul Besset. Il y a quelques mois Stéphane Thépot avait collaboré au site web Carré d’Info, une tentative “gonflée” en terres toulousaines … Un site gratuit avec un ton proche de Rue 89 ou de Médiapart : “Ces jeunes sont talentueux et leur volonté était louable, mais j’avoue que ce modèle économique du tout gratuit n’est pas ma tasse de thé.” Stéphane rêve tout haut d’un média local 100 % économiquement indépendant, “le modèle du Canard Enchaîné me va bien”. Le regard caché derrière de petites lunettes est toujours aussi profond et ironique … Car tel est le style Thépot. Distancié mais militant. Un brin provocateur et toujours porté vers l’avant. Pas forcément nostalgique, il se tourne vers l’avenir “c’est le début d’une nouvelle ère.”
Thomas Simonian
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