Comme attendu, la réforme du lycée présentée ce mercredi modifie en profondeur le baccalauréat. Outre la suppression des séries et la réduction à quatre épreuves écrites, l’un des changements emblématiques est l’instauration d’un oral de maturité. Un grand passage de 20 minutes devant un jury, portant sur un projet entamé en classe de première. Deux experts du monde éducatif, Marie Duru-Bellat et Christophe Rochelle, débattent du sujet pour le JT.
Marie Duru-Bellat : Pense-t-on qu’il est important pour un jeune Français de 18 ans de s’exprimer correctement ? La plupart diront que oui. Mais il faut tout de même évaluer les risques. Comme tous les enseignements, le baccalauréat est discriminant car chacun arrive dans des conditions différentes. Pour les élèves, le niveau d’éloquence dépend souvent du milieu social et de l’habitude ou non de s’exprimer. Pour les professeurs amenés à préparer leurs classes, la question des effectifs trop nombreux se pose.
Christophe Rochelle : Cet oral s’inscrit dans la continuité des Travaux personnels encadrés (TPE) qui étaient présentés en classe de première. Aujourd’hui, on estime que nos enfants, arrivés en âge de voter, ont la maturité nécessaire pour soutenir un oral civique. À noter que cette épreuve ne concerne que la filière générale, celle qui implicitement conduit à des études supérieures longues. Il s’agit donc de préparer les élèves à la suite de leur cursus. L’autre point intéressant est l’introduction du contrôle continu à hauteur de 40 %. Il ne suffira plus de bachoter, mais de travailler régulièrement. Cette assiduité permettra d’ailleurs de se créer un petit matelas d’avance en cas de raté le jour J.
Marie Duru-Bellat : Il était urgent de le faire. Pas tant au regard des inégalités mais compte tenu de l’imposante et coûteuse machine que représente le baccalauréat. La nouvelle problématique qui se pose est celle de l’orientation. Le Bac est pensé pour préparer l’entrée dans l’enseignement supérieur mais certains élèves seront mieux informés et armés que d’autres au moment de choisir leurs nouvelles disciplines d’approfondissement (les majeures, ndlr).
Christophe Rochelle :Tous les acteurs de l’enseignement supérieur se plaignent du niveau des bacheliers qui ne cesse de se dégrader. Et l’on constate par ailleurs une hétérogénéité de plus en plus grande entre les meilleurs élèves et ceux qui connaissent des difficultés. La “classe moyenne” des élèves tend peu à peu à disparaître. La réforme est donc un outil pour rehausser le niveau global de nos jeunes.
Marie Duru-Bellat : Le sujet est vaste et complexe. Mais un premier levier d’action est la carte scolaire. Aujourd’hui, les lycées sont très inégaux. Selon leur situation géographique, les élèves ne fréquentent pas un établissement disposant des mêmes moyens que d’autres. Concernant le grand oral en lui-même, une solution pour réduire les inégalités serait de bien identifier et expliquer les critères de notation : va-t-on évaluer le choix des mots, la grammaire, la conviction dans les propos… ?
Christophe Rochelle : Contrairement à ce que veut faire croire le débat franco-français actuel, le numérique n’est pas un frein à la réussite éducative. Les études internationales montrent que les pays d’Asie, où les jeunes utilisent fortement le digital, se classent parmi les meilleurs systèmes éducatifs. Il ne faut pas se cacher derrière cette fausse excuse et poser les bonnes questions. Quelle réussite souhaite-t-on pour nos élèves, pour nos enfants ? L’autre enjeu est celui de la refonte des méthodes éducatives et de la formation continue des enseignants, inexistante aujourd’hui. Récemment, la présidente de la Société des professeurs agrégés s’alarmait d’ailleurs du niveau de nos enseignants en langue française.
Marie Duru-Bellat
Professeur émérite de sociologie à Sciences Po, spécialiste des questions d’éducation et auteure de nombreux ouvrages dont “10 propositions pour changer d’école” (avec François Dubet, éditions Seuil)Christophe Rochelle
Fondateur du réseau de soutien scolaire Centre pédagogique et de la plate-forme en ligne Étude Dirigée, qui met en relation professeurs et élèves pour des cours particuliers.
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