Parmi les personnalités qui se sont mariés au Capitole à Toulouse, un couple a particulièrement marqué les esprits. Une histoire vertigineuse dans laquelle il est notamment question d’un abbé volant.
La place du Capitole est bondée comme un lendemain de sacre du Stade Toulousain. Mais la scène, elle, est plutôt digne des grandioses mariages royaux diffusés en mondiovision. Tout juste uni, un jeune couple sort par les grandes portes de la mairie et fend la foule sous des arches de fleurs. Bras dessus bras dessous, les deux amoureux saluent le peuple devant une meute de photographes.
Aucun des deux n’est pourtant le descendant d’une lignée couronnée. Malgré le sourire “bright” de Monsieur et les parfaites boucles blondes de Madame, ils n’appartiennent pas non plus au monde du show business. Non, si 20 000 Toulousains se sont amassés place du Cap ce 22 mai 1954, c’est pour assister à l’union de deux illustres inconnus. Enfin, plus précisément, pour être les témoins du mariage le plus fou et légendaire que Toulouse n’ait jamais connu. Car, si les noms de Berty Omankowsky et de Roger Decugis n’évoquent certainement pas grand-chose à l’époque, les époux sont tout de même de célèbres… funambules. Jouissant d’un grand prestige, leur troupe familiale, “Les Diables blancs”, sillonne l’Europe où elle multiplie les performances et les exploits aériens.
D’ailleurs, ce jour-là, au lieu de se diriger vers l’Église pour être mariés religieusement, comme c’est la tradition, les amoureux vont directement grimper au ciel, place du Capitole à Toulouse. Sans se départir de sa robe blanche ni de son voile, Berty Omankowski troque ses talons contre des mocassins et s’attaque à l’ascension d’une échelle de corde verticale pour atteindre une plateforme juchée à 22 mètres de hauteur. En face d’elle, Roger Decugis fait de même. Et entre les deux, un câble métallique complète cette cathédrale à ciel ouvert qu’est alors la place du Capitole. Balanciers en main et sans filet de sécurité, les deux acrobates s’avancent l’un vers l’autre pour procéder à l’échange des alliances. La scène, déjà mythique en soi, bascule dans la légende grâce aux différents personnages qui la composent.
Comme l’abbé Robert Simon, qui du haut d’une grande échelle de pompier située au milieu du câble métallique, est chargé de bénir les “mariés du ciel”. Pas étonnant que ce dernier, d’ailleurs surnommé l’abbé volant, soit à ce point à l’aise en haute altitude. En plus d’être un homme d’Église, il est aussi un plongeur réputé. Entre 1947 et 1963, il délaisse en effet régulièrement la soutane pour le maillot de bain et effectue 110 plongeons de 35 mètres (et un de 42 mètres) au profit des nécessiteux.
De même, le père de la mariée est bien plus qu’un simple figurant dans cette histoire. Né en Tchécoslovaquie, Rudolf Omankowski est le fondateur de la troupe des “Diables Blancs” dans laquelle officient ses trois enfants ainsi que leurs conjoints. Funambule de renommée mondiale, il fut notamment le mentor de Philippe Petit, célèbre pour avoir joint les deux tours du World Trade Center sur un fil suspendu au-dessus du vide en 1974. Sous les traits de l’acteur Ben Kingsley, Rudolf Omankowski, alias “Papa Rudy”, occupe d’ailleurs une place centrale dans le biopic consacré par le réalisateur Robert Zemeckis à l’acrobate français (“The Walk, Rever plus haut”, 2015).
Le jour du mariage à Toulouse, il était lui aussi en équilibre sur le câble, juste derrière sa fille. Avec cette particularité incroyable qu’il portait sur ses épaules le photographe toulousain Jean Dieuzaide. Souhaitant être le seul à immortaliser à la fois les mariés et la foule, le jeune et fougueux photojournaliste, rolleiflex autour du coup, a donc demandé et obtenu l’autorisation du patriarche pour prendre encore plus de hauteur et ainsi dominer la situation sans plus de sécurité. Son cliché d’anthologie autant que sa folle bravoure feront le tour du monde et auront même les honneurs du magazine américain “Life”.
60 ans plus tard, en 2014, c’est pour rendre hommage à ce personnage emblématique de Toulouse, fondateur de la galerie du Château d’Eau, qu’un autre photographe, Frédéric Marie, a eu l’idée de rejouer la scène. Pour l’occasion, les mariés étaient incarnés par des adeptes de slackline et de highline. Et dans le rôle de “l’abbé volant”, c’est Jean-Luc Moudenc lui-même, qui s’était prêté au jeu pour officier cette fois depuis un chariot élévateur.
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