Tous les visiteurs du Muséum de Toulouse ont déjà pu rencontrer l’éléphant Punch. Mais peu de gens connaissent son histoire. Vedette du numéro de dressage du cirque Pinder de son vivant, le pachyderme a aussi permis de créer une toute nouvelle procédure de naturalisation. Le Journal Toulousain vous raconte le récit de sa vie et de sa mort, plein de rebondissements.
Les visiteurs ne peuvent pas le manquer. Au centre du grand hall du Muséum de Toulouse, trône fièrement un éléphant d’Asie naturalisé. Ce pachyderme, arrivé au musée en décembre 1907, a une histoire bien particulière. Sauf qu’elle aurait pu rester inconnue de tous. Le Muséum a en effet longtemps cru que l’animal se prénommait Gypsie. « Un article de presse de l’époque pointait ce nom. On s’en était donc tenu à cela, sans penser que c’était une erreur », explique Brian Aiello.
Mais le taxidermiste du Muséum va parvenir à redonner sa véritable identité à l’éléphant. À l’occasion des 100 ans des Collections du musée, il mène effectivement plusieurs recherches sur lui. Brian Aiello se rend alors compte qu’il ne s’appelait pas Gypsie. « Grâce au travail de documentation que j’ai réalisé, j’ai vu que cela ne collait pas », se souvient-il. En fait, le véritable nom du pachyderme est Punch.
De son vivant, cet éléphant était la vedette du numéro de dressage du cirque Pinder. Il impressionnait petits et grands en effectuant les tours appris par son cornac, un anglais nommé M. Curley. Punch était très proche de lui. « Ce n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Les éléphants sont des animaux sociaux et ils peuvent être assez exclusifs. Punch avait justement tissé un lien fort avec son dresseur », souligne Brian Aiello.
Pourtant ce lien va finir par être brisé, comme le raconte la fille d’Arthur Pinder dans son livre. M. Curley, en rentrant d’une tournée, découvre en effet que son épouse le trompe. Ne voulant plus la voir, il abandonne tout et quitte le cirque du jour au lendemain, au grand désespoir de Punch. L’éléphant cherche son ami sans relâche, mais le cornac est déjà loin. Punch sombre alors dans une profonde tristesse. « C’est ainsi que les ennuis ont commencé », raconte le taxidermiste.
L’éléphant change du tout ou tout. Souvent de mauvaise humeur, il pique une colère alors qu’il était en train de boire l’eau d’une fontaine. Punch charge en effet un premier cheval qui s’approchait pour s’abreuver. « Il lui a perforé l’abdomen à plusieurs reprises. Puis, il s’en est pris à un second cheval, encore attelé à sa charrette. L’éléphant a ensuite totalement démonté cette dernière », relate Brian Aiello.
Après ce carnage, Punch s’enfuit dans son écurie où il est enchaîné par Arthur Pinder et un écuyer. « Ils ont eu du mal à le contrôler », précise le taxidermiste. L’éléphant se calme durant quelques jours. Mais cela ne va pas durer. « Il a mis en danger la vie d’un voisin qui le nourrissait d’épluchures de légumes », rapporte-t-il. En effet, Punch se saisit de l’homme et le projette au fond de son écurie. Heureusement, l’animal est toujours attaché et ne fait pas plus de mal à ce voisin.
Punch est trop dangereux désormais. Mais le cirque ne perd pas espoir de le voir redevenir calme. Arthur Pinder fait alors appel à un dresseur allemand. « Ce dernier essaye de reprendre les choses en main. Mais l’animal lui fait subir de nombreux vols planés et le cornac finit hospitalisé », informe Brian Aiello. Face à cet échec, Arthur Pinder décide de se séparer de l’animal. « Il se résout à le faire abattre. Pinder cherche alors une mise à mort qui le fasse souffrir le moins possible », précise le taxidermiste.
Il n’est en effet pas aisé de tuer un éléphant, certains propriétaires de cirque décident même de faire électrocuter ou de pendre leur pachyderme à l’époque. Le propriétaire du cirque choisit plutôt de faire fusiller Punch. Il fait appel pour cela à un peloton de gendarmerie. « Cela peut paraître impressionnant, mais c’était le moyen létal le plus rapide », estime Brian Aiello. La mort de l’animal est en effet immédiate. Punch, alors âgé de 20 ans, décède en 1907.
Arthur Pinder fait ensuite don de la peau de l’éléphant au Muséum de Toulouse, mais pas des défenses ni des os. Le taxidermiste Philippe Lacomme, chargé de naturaliser l’animal, se trouvait donc privé du squelette et des mensurations de l’éléphant, pourtant utiles au travail de montage. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là pour Philippe Lacomme. Tout d’abord, le taxidermiste veut donner à Punch une allure différente, comme s’il était en action.
Punch, contrairement aux autres éléphants naturalisés au début du XXe siècle, a en effet la trompe et une patte levées, comme s’il avançait ou était prêt à charger. « Philippe Lacomme réalisait des structures dynamiques qui donnaient l’impression de mouvement. Visuellement, cela impliquait plus l’impression de vie. En mettant ainsi en scène l’éléphant, il a peut-être voulu montrer ce qui a conduit Punch à sa perte, sa colère », imagine Brian Aiello.
Philippe Lacomme a en effet dû inventer une procédure de naturalisation pour rendre la structure, sur laquelle allait être posée la peau de l’animal, plus légère. « Avant, elles étaient souvent en bois ou en plâtre avec des structures en métal, et donc très lourdes. Le plancher, déjà chargé, de l’ancienne galerie des mammifères, où allait être installé l’animal, n’aurait pas supporté un tel poids. Il fallait donc proposer une structure qui ne dépassait pas 500 kilos », détaille le taxidermiste.
Philippe Lacomme a ainsi l’idée d’utiliser du liège aggloméré. Il a réalisé, dans un premier temps, un squelette avec des panneaux de bois. « À la manière d’une charpente, il les a posés à la verticale et à l’horizontale afin de dessiner la silhouette de l’animal. Il a ensuite utilisé des briques de liège aggloméré, clouées sur la structure puis sculptées, pour finir de réaliser les formes de l’éléphant », éclaire Brian Aiello.
En plus de la contrainte du poids, Philippe Lacomme a dû composer avec l’architecture du Muséum. Les portes du lieu culturel n’étaient en effet pas assez grandes pour laisser passer l’animal naturalisé. Le taxidermiste a donc créé une structure démontable afin de pouvoir la remonter directement dans la galerie des mammifères. La peau de l’animal a ensuite été placée sur ce squelette. « On n’avait jamais vu des structures aussi grandes, légères et démontables. C’était une prouesse technique pour l’époque », relève Brian Aiello.
L’éléphant Punch est resté durant près d’un siècle dans la galerie des mammifères, et n’a rejoint le grand hall du Muséum de Toulouse qu’en 2007. Mais avant, l’animal a subi quelques restaurations. Brian Aiello a d’ailleurs participé à la dernière et l’éléphant avait bien besoin de se refaire une beauté. « Sa peau était abimée. Pour la couvrir, nous avons avait fait le choix de salir la tête et le dos de l’animal comme s’il était empoussiéré. Ce qui fait sens puisque les pachydermes sont souvent plein de terre », informe le taxidermiste. De quoi renforcer le sentiment de vie qu’avait voulu créer Philippe Lacomme…
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