Jane Dieulafoy n’était pas seulement une archéologue de renom qui découvrit en Perse des trésors majeurs. Elle fut aussi l’une des premières femmes en France autorisée à porter le pantalon et à recevoir la Légion d’honneur. Un livre qui vient d’être publié raconte l’histoire oubliée de cette Toulousaine hors du commun.
Sa vie aurait mérité qu’elle figure au panthéon des personnalités toulousaines. Or, un peu plus de 100 ans après sa mort, elle repose dans une tombe en mauvais état du cimetière de Terre Cabade. Et, hormis pour une poignée de passionnés d’archéologie, son nom, Jane Dieulafoy, n’évoque plus grand-chose malgré un destin extraordinaire.
Née Jeanne Magre en 1851 d’une famille de riches commerçants drapiers de la rue Joutx Aigues, dans le quartier des Carmes, la future exploratrice, écrivaine et photographe montre rapidement des signes de liberté peu commune pour l’époque. « Malgré son origine bourgeoise et son éducation catholique classique dans un couvent à Paris, c’est une jeune femme qui préfère faire du cheval avec son frère dans le château familial de Pompertuzat plutôt que de mettre des robes pour s’exercer à devenir la parfaite dame de salon », raconte Audrey Marty, vidéaste toulousaine passionnée d’histoire de l’art et auteure du livre « Le fabuleux destin de Jane Dieulafoy » (éditions Le papillon rouge), paru le 11 mars dernier, quelques jours à peine avant le confinement.
Pour son premier ouvrage, la biographe souhaitait raconter l’histoire d’une personnalité féminine toulousaine oubliée. « Quand j’ai découvert l’existence de cette aventurière si charismatique, le sens et l’ampleur du projet ont pris une dimension que je n’aurais jamais imaginé », confie Audrey Marty. Pour le mener à bien, elle a enquêté pendant plusieurs années jusqu’à retrouver les descendants de Jane Dieulafoy. Entre les archives municipales de Toulouse et l’institut de France à Paris, elle a également découvert des documents inédits : actes de naissance et de mariage, journaux intimes…
Et si le livre rend hommage à une pionnière des combats pour les droits des femmes, impossible de ne pas évoquer le mari de Jane, Marcel Dieulafoy, polytechnicien, architecte et archéologue également issu de la bourgeoisie toulousaine. « Lui aussi était un précurseur puisqu’il a toujours considéré sa compagne comme son égale et non pas seulement comme une accompagnatrice. Dès leur rencontre en 1869 à Paris, le couple va devenir aussi inséparable que singulier », poursuit Audrey Marty. La preuve, en guise de voyage de noces, les Dieulafoy partent… à la guerre de 1870 qui oppose la France à la Prusse. Lui est mobilisé. Elle ne veut pas le laisser seul et s’engage, habillée en homme, pour pouvoir participer aux combats.
Plus tard, attirés par l’Orient pour y rechercher les origines de l’architecture moderne, ils tentent l’aventure en Perse. À partir de 1881, ils mènent deux expéditions durant lesquelles ils feront des découvertes archéologiques majeures comme la Frise des lions et le taureau de Suse. Des pièces encore exposées au Musée du Louvre aujourd’hui. Au cours de ces périples émaillés de mille péripéties, le couple n’hésite jamais à aller à la rencontre des populations locales en faisant preuve d’une grande humanité. Toujours habillée en homme, Mme Dieulafoy profite de la curiosité qu’elle suscite pour être reçue aussi bien par des chefs de tribu que dans des cercles de femme. « Elle raconte d’ailleurs un échange amusant au cours duquel des Persanes ayant entendu parler d’une femme devenue roi en Europe — la reine Victoria en Grande-Bretagne — lui demandent si celle-ci possède un harem et si elle porte la moustache, symbole de puissance », relate Audrey Marty.
À leur retour, les Dieulafoy jouissent d’un certain prestige. Jane, surnommée la George Sand du désert, mène une vie mondaine à Paris. À sa demande, elle obtient une « permission de travestissement », et devient ainsi une des premières femmes autorisées à porter un pantalon. Tout comme en 1886, elle est l’une des premières Françaises à être décorée de la Légion d’honneur, qu’elle reçoit des mains du président Sadi Carnot. Même le New York Times salue alors « la femme la plus remarquable de toute l’Europe ».
Marcel, lui, consent volontiers à ce que le succès de son épouse en tant que conférencière et romancière — elle est cofondatrice du prix Fémina — freine sa propre carrière. « Il subit même les quolibets de la presse qui se demande qui porte la culotte. Mais quand celui-ci s’engage à nouveau, par patriotisme et malgré ses 70 ans, pour la guerre de 14-18, elle l’accompagne au Maroc. C’est dire la modernité et l’unité de ce couple » admire l’écrivain toulousain. À Rabat, Jane dirige les travaux de déblaiement de la mosquée tout en s’occupant de malades dans des dispensaires. Elle y contracte une infection à laquelle elle succombera en 1916.
De cette flamboyante ambassadrice, il ne reste quasiment plus aucune trace physique dans la région. Le château familial de Langlade à Pompertuzat, tout comme la maison toulousaine des époux qui se situait dans la zone de l’actuelle place Occitane, ont été détruit. C’est pour cette raison qu’Audrey Marty a demandé à la mairie qu’une plaque commémorative soit installée dans les rues de naissances respectives des Dieulafoy. En attendant, celle-ci leur consacrera une grande exposition à partir du mois de septembre.
Le livre : Le fabuleux destin de Jane Dieulafoy, Le Papillon rouge Éditeur
L’exposition : De Toulouse à Persépolis, sur les traces des archéologues Jane et Marcel Dieulafoy, à la Bibliothèque d’études et du patrimoine, du 15 septembre au 21 novembre.
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