Parmi les nombreux bas-reliefs et autres sculptures qui ornent les bâtisses historiques du vieux Toulouse, un couple d’angelots semble narguer le cours du temps et le flot des passants. Les fers qui retiennent captives les ailes de l’un d’eux ont valu à cette bâtisse le nom de Maison de l’amour enchaîné.
Se promener le nez au vent dans le centre-ville de Toulouse est une occupation aussi distrayante qu’instructive. On y découvre toujours une multitude de trésors architecturaux, vestiges d’une histoire locale qui tend parfois à se dissiper. Ainsi, au numéro 18 de la rue Saint-Rome, le passant attentif remarquera deux discrets bustes d’anges, en haut-relief, venant embellir la clé de voûte des arceaux de la façade d’une vieille bâtisse. L’immeuble dit des Bancs Manjous est édifié en 1734.
Occulté par les clinquantes vitrines des boutiques de chaussures, de bijoux ou de prêt-à-porter féminin, ce couple séraphique paraît n’attendre qu’un signe pour nous livrer l’une des légendes des lieux. Mais le temps ayant soigné son implacable besogne de corruption, certains détails indispensables à la compréhension de cette histoire sont aujourd’hui impossibles à deviner. Heureusement, M. Rozes de Brousse en a fait une description précise dans l’édition du 25 mars 1932 du “Télégramme”. « Entre le tailloir, le pendentif et les chaînettes, une tête d’angelot ailé veut passer. Mais les fers retiennent son élan et emprisonnent ses ailes. Celui de gauche a l’air dépité et ingénument ahuri de voir ses efforts vains, tandis que l’angelot de droite (…) sourit de toutes ses fossettes, comme s’il se moquait de son petit voisin. »
Une représentation qui lui valut le nom de Maison de l’amour enchaîné. Cet intitulé qui serait le fruit de la fantaisie d’un poète local, selon le chroniqueur toulousain Digonnet. Celui-ci nous livre « la légende naïve qui s’y rapporte, dans les termes mêmes où elle est contée », dans les colonnes du Journal de Toulouse, le 24 juillet 1932. La maison appartenait à un riche notable qui rêvait de marier son fils à une héritière de Capitoul. Mais ce dessein se heurta aux caprices de Cupidon qui avait allumé un autre feu dans le cœur d’Aubin, le fils chéri. Ce dernier était déjà tombé éperdument amoureux de Germaine, sa belle voisine. « Irrité de ne pouvoir vaincre cette résistance, le père usa des droits autoritaires et parfois tyranniques que lui conférait son titre de chef de famille et ordonna au fils rebelle de se retirer dans sa chambre et d’y rester prisonnier jusqu’à ce qu’il fit preuve d’obéissance », conte-t-il.
Mais, loin d’étouffer les sentiments du malheureux, cette peine le fit sombrer peu à peu dans un désespoir mortel. Craignant de perdre son fils, le vieil homme finit par consentir à cette union passionnée. « Alors l’amour délivré de ses chaînes, le pur, le bel amour ouvrit ses ailes et vola vers le bonheur », conclut joliment notre confrère.
De là à imaginer que cette maison aurait inspiré les paroles de Gabrielle, le tube de Johnny Hallyday, quand il chantait mourir d’amour enchaîné, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas.
Celui-ci regrette également le travail des « vandales » qui, en apposant « les malencontreuses devantures de bois » présent jusqu’alors, ont endommagé les deux clés. Dans cet article, nous apprenons également que les propriétaires de l’époque envisageaient de supprimer les sculptures pour lui préférer « une devanture plate, en similimarbre ». Ces derniers se proposaient même d’offrir les claveaux sciés à la Société des Toulousains de Toulouse. Une offre que l’association s’est gardée d’accepter, préférant voir ces magnifiques pierres rester à leur place.
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