LÉGENDE – Le voyageur qui pose ses valises sur le parvis de la gare toulousaine n’a pas idée de ce qui se cache derrière ce terme occitan : une histoire sanglante et macabre…
Devant la gare, un couple de touristes parisiens est planté le nez en l’air, en attendant qu’un taxi se libère. À la verticale d’une monumentale horloge, les lettres de Toulouse-Matabiau s’affichent sur la façade en pierres de Saintonge. « Quelle belle gare ! Elle ressemble à notre gare de Lyon ! », remarque-t-il. « Et quel joli nom ! Matabiau, cela sonne mieux qu’Austerlitz !» s’amuse telle. Cela sonne si bien que les Zebda l’ont chanté : « Des garçons et des filles s’y séparent (Matabiau), y pleurent parce que c’est ça un départ (Matabiau ), on rit, on pleure, c’est tout ça ma gare (Oh Matabiau !)… »
Pour connaître l’origine de ce mot, un premier coup d’œil s’impose sur le site Internet de la SNCF, qui explique que « Matabiau vient de l’Occitan “mata buoù”, qui signifie “tuer le bœuf” ». La page rappelle qu’au IIIe siècle, Saturnin, premier évêque de Toulouse, est attaché par les pieds à un taureau. Que l’animal, furieux, traverse la ville en passant par la rue du Taur (taureau en Occitan). Et qu’« il est tué non loin de la gare. Le nom est resté. »
Voilà, l’enquête semble bouclée depuis des lustres. Par acquit de conscience, allons chercher confirmation auprès de celui qui connaît par cœur la vie de Saint-Saturnin : le médiateur culturel du Musée Saint Raymond, qui est accessoirement docteur en archéologie.
« C’est une légende urbaine, sans aucun fondement historique ! » commence-t-il. « En fait, si le quartier Matabiau s’appelle ainsi, c’est parce qu’on y trouvait les abattoirs de la ville. Les Toulousains ont ensuite mélangé cela avec l’histoire de l’évêque supplicié. » Même géographiquement, la légende ne tient pas la route, le quartier s’étant subrepticement déplacé au fil du temps. Située à la fin du XIIe siècle du côté de l’actuelle place Jeanne d’Arc, la porte Matabiau était « en bordure des fossés qui servaient alors d’égout à la ville », rapportent les livres d’histoire. La rue du Taur, elle, ne s’appelle ainsi que depuis le XVIIIe siècle et « ne peut pas être celle qu’empruntèrent le taureau et Saturnin, puisqu’elle n’a été tracée qu’au Moyen-Âge, bien après les faits », rajoute le conservateur, fasciné par « cette autre histoire » que l’archéologie met au jour.
Une histoire de supplice, de sang et d’égout, à laquelle chaque voyage en train fera désormais penser.
Philippe Salvador
Philippe Salvador a été reporter radio pendant quinze ans, à Toulouse et à Paris, pour Sud Radio, Radio France, RTL, RMC et BFM Business. Après avoir été correspondant de BFMTV à Marseille, il est revenu à Toulouse pour cofonder le magazine Boudu.
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