C’est une superbe idée de convoquer la forme du Cabaret berlinois en ces temps plus qu’obscurs où le politique n’a que le sécuritaire et la guerre comme idéologie à proposer au monde.
Par Mathieu Méric
Le cabaret a fait respirer toute une génération d’Allemands durant l’entre-deux-guerres par son ironie folle, son utopie transformiste où tous les hommes se maquillaient et les femmes portaient des képis, ce fut aussi le lieu d’expression d’une brûlante critique politique.
À côté de l’immense clown qu’était Karl Valentin, un homme de théâtre tel que Bertolt Brecht fut un gouteur assidu de la satire portée par cette forme. Il s’en souviendra pour ses pièces de théâtre avec ce célèbre songs. Rappelons également que le mouvement dada est né dans un cabaret.
Art populaire et politique, subversif tel est le cabaret berlinois. Erika Mann, la sœur du plus grave Thomas et de l’écorché vif Klaus Mann, s’inscrit parfaitement dans cette haute tradition. Car dans ses textes destinés à la scène on peut y lire le contexte sociopolitique des folles années 20 et des terribles années 30. Femme de lettres, elle investit cette forme en y jouant, chantant, écrivant et se comportant véritablement comme une tenancière avec quelques amis au Moulin à Poivre (Die Pfefffermühle) et aussi pour ouvrir la porte aux voies de la révolution politique. Véritable communion entre le spectacle populaire et l’intelligentsia allemande, cette scène fut un lieu de contestation, mais aussi d’expérimentation fécond où s’entremêlèrent esthétique et politique.
La compagnie Jean Séraphin avec son Cabaret Mefisto, présenté à la Cave Poésie jusque début décembre, nous rappelle ceci : la portée politique d’un art populaire, considéré comme mineur, méprisé par la bourgeoisie pour son côté bordélique, coloré, son rire bouffon permanent, le mélange du savant et du populaire incarné.
Malgré la reconstitution assez concrète de l’univers et le judicieux rôle de marionnettes qui nous font rire malgré le fait qu’elles incarnent les pires personnages du dispositif : le bourreau, la perversité… il manque trop de mordant. Et, malgré le choix d’un texte de grande qualité, nous perdons la dimension critique si bien que nous ne reconnaissons pas l’intention de la compagnie. La politique est partout présente dans le texte de par le contexte, un moment douloureux et historique dans lequel on peut trouver des résonnances avec le contemporain par la répétition de thèmes comme la crise, le chômage, la guerre, mais est-ce suffisant ? Dire un texte engagé n’est pas un gage de spectacle politique. La distance que met la forme du cabaret permet d’atteindre une terreur humoristique alors qu’ici on ricane seulement.
Sur scène, les propositions sont répétitives. Pas de changement de rythme, pas de numéro qui dérape, les passages marionnettiques sont trop prévisibles. Si les personnages sont ancrés dans la tradition du cabaret tels le monsieur loyal ou la diva, ils n’évoluent pas, et surtout, ne transgressent pas. Maîtrisé, le spectacle ne nous déstabilise pas. Trop peu d’absurde, de non-sens (un non-sens est là pour faire du sens quand il en manque) qui peut faire basculer le public dans un effroyable rire. Le spectacle s’enferme dans une reconstitution muséifiée de cet art populaire ce qui ne suffit pas. Si le spectacle permet de nous montrer la dignité d’un tel art, il n’en a pas son souffle.
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