De la Bible à “Mad Max” en passant par l’incontournable “Ravages” de Barjavel, la figure du zombie ou “l’Épopée de Gilgamesh”, la culture des Hommes est traversée de récits apocalyptiques. Cataclysmes, épidémies, déluges… Que nous racontent la littérature et le cinéma de nos angoisses de fin du monde ?
Tournage du film “Les derniers jours du monde” des frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu ©Victor Bello – Arena FilmsMême le courageux Gaulois Astérix ne craignait qu’une seule chose : que le ciel lui tombe sur la tête. Une peur ancestrale de l’effondrement presque aussi vieille que le monde, puisque déjà au XVIIIe siècle avant Jésus-Christ le récit épique des aventures de Gilgamesh, un roi mésopotamien tyrannique, évoquait un épisode du déluge. Ainsi, du western dystopique ‘’Mad Max’’ au roman post-apocalyptique de René Barjavel, ‘’Ravages’’, en passant par la Bible et les films de zombies, l’Homme a toujours joué à se figurer la fin du monde. Reflet des angoisses de ses contemporains ou espace fictif permettant de penser le renouveau ou l’utopie, ces récits sont surtout l’occasion de s’interroger sur nous-mêmes et sur nos sociétés.
« Catastrophe naturelle, punition divine, invasion martienne, pandémie ou collision avec une météorite… On peut tout imaginer et tout a été imaginé », lance Jean-Paul Engélibert, auteur de l’essai ‘’Fabuler la fin du monde, la puissance critique des fictions d’apocalypse’’ (éd. La Découverte). Celui-ci constate d’ailleurs que la manière dont la littérature s’est emparée de ce sujet a évolué avec les époques.
« Dans les fictions modernes s’installe l’idée d’une responsabilité humaine. La faute n’étant plus originelle comme au temps biblique, mais spécifique. Celle d’avoir voulu dépasser la nature par la science et la technique. Par exemple, dans les années 1960 à 1980, de nombreux scénarios mettaient en scène l’hypothèse d’un accident ou d’une guerre nucléaire. Aujourd’hui, nous aurions plutôt tendance à représenter une catastrophe provoquée par les sociétés industrielles », précise l’auteur.
Une évolution des thématiques que l’on retrouve, entre autres, dans les films de zombies. « Cette figure, sans qu’on puisse la réduire à une seule dimension, symbolise souvent les angoisses contemporaines : aliénation au capitalisme, lutte des classes, racisme, surpopulation… Depuis le début des années 2000, on observe, par exemple, l’émergence de la question migratoire avec des invasions de morts-vivants dont il faut se protéger. Notamment en érigeant des murs », souligne Manouk Borzakian, auteur de ‘’Géographie zombie, les ruines du capitalisme’’(éd.PlaylistSociety).
Ces personnages d’outre-tombe incarnent « le retour du refoulé » et permettent de mettre en évidence « les vices inhérents à notre mode de vie, mais que l’on préfère passer sous silence ». Les récits apocalyptiques, dont l’étymologie grecque signifie ”action de découvrir”, sont donc, avant tout, d’excellents révélateurs.
Et si le contexte reflète généralement une inquiétude collective, le scénario est, pour Jean-Paul Engélibert, relativement anecdotique : « Une fable apocalyptique, à l’inverse d’une prophétie, est une fiction qui se présente comme telle. Celle-ci ne décrit pas ce qui va se réaliser, mais elle est plutôt un moyen de parler du présent. L’idée est de placer le lecteur ou le spectateur dans une situation extraordinaire, pour l’interroger sur l’essentiel ou le faire réfléchir sur ce qu’il faut mettre en œuvre pour éviter que le pire ne se produise. »
Des fictions que Jean-Paul Engélibert compare aux drames antiques. « Ces récits, où la catastrophe est annoncée, fonctionnent sur le modèle de la tragédie grecque où un oracle révèle, dès les premiers mots, le destin des protagonistes. Quand c’est la fin de l’humanité qui est en jeu, chaque individu se convertit en héros », analyse-t-il.
Une dimension subjective que les frères Arnaud et Jean-Marie Larrieu se sont attachés à développer dans leur long-métrage ‘’Les derniers jours du monde’’, réalisé en 2009 et en partie tourné à Toulouse. Ce film de science-fiction raconte l’histoire d’un homme qui voyage en quête d’amour et de sens, dans une ambiance pré apocalyptique.
« Nous n’avions pas d’intention politique ou militante. C’est un pur projet de cinéma. Nous avons été séduits par la dimension cinégénique de la fin du monde. Cela nous permettait, d’une part, de mettre en scène Paris en plein black-out ou de grands mouvements de foule et, d’autre part, de confronter notre personnage à ce qui est essentiel. C’est un film à hauteur d’homme », explique le réalisateur.
Enfin, si la plupart des œuvres d’anticipation envisagent l’avenir avec un certain pessimisme, d’autres, plus rares, prennent le parti inverse. Le roman ‘’Après le monde’’, d’Antoinette Rychner, aborde la thématique de la résilience et de la reconstruction. Fonctionnant sur le principe de la table rase, les récits catastrophes ouvrent ainsi un espace où peuvent s’exprimer les utopies comme les dystopies.
« Avec la crise, c’est la question du vivre ensemble qui se pose de manière inévitable », remarque Manouk Borzakian qui distingue trois figures récurrentes. Le héros désabusé et individualiste, le cynique partisan d’une politique autoritaire et celui qui s’oppose aux deux autres et lutte pour restaurer un modèle démocratique. Ce dernier étant en général un personnage secondaire. Selon lui, ce schéma illustre l’expression d’une interrogation universelle : « La survie vaut-elle de renoncer à certaines valeurs ? »
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