« Représentations sexistes » et « suggestion de viol et de pédocriminalité », plusieurs collectifs féministes dénoncent une exposition « dégradante » et sans mise en perspective du photographe Guy Bourdin, organisée par la mairie de Toulouse, au Matou, le musée de l’affiche.
L’affaire Matzneff l’a cruellement rappelé. Il y a encore 30 ans, les plateaux de télévision faisaient preuve, en toute inconscience, d’une indécente complaisance envers des invités faisant l’apologie de comportements relevant de la pédocriminalité. Une complaisance que reproche aujourd’hui plusieurs collectifs féministes à la mairie de Toulouse coupable, à leurs yeux, de proposer au Musée de l’affiche (Matou) une exposition univoque de l’artiste Guy Bourdin, un photographe de mode connu pour ses clichés mettant en scène le corps de la femme de façon provocatrice. Entre procès en puritanisme et alerte à la censure, licence artistique et argument du patrimoine… C’est au tour de la photographie et de la mairie de Toulouse de s’interroger sur les représentations qu’elles cultivent, tolèrent ou partagent.
En effet, l’œuvre de Guy Bourdin, essentiellement composée entre les années 1950 et 1990, s’inscrit dans le mouvement porno-chic et dans une tradition publicitaire dominée par le modèle de la femme objet. L’image de la femme y est régulièrement réduite à des jambes, souvent entrouvertes, voire inertes. L’une des photographie, par exemple, représente l’une d’elle, très jeune, la moitié du corps encastré sous un lit et offrant ses fesses nues au spectateur. Sur le couvre lit, un éléphant en peluche.
« Les clichés de Guy Bourdin véhiculent des représentations sexistes et une image dégradante du corps des femmes, contre lesquelles nous nous élevons. Des corps morcelés de femmes très jeunes, parfois à la limite de la suggestion du viol et de la pédocriminalité. Nous refusons que ces violences sexuelles et cet imaginaire de prédation soient glamourisées », déplore Sofia Antoine, membre du collectif Les Tenaces.
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Un « patrimoine artistique et témoignage d’une époque » constitué, selon la mairie de Toulouse, d’une « mise en scène suggestive d’une élégance sur le fil de l’érotisme » et qu’elle refuse de censurer au nom de la liberté « de création et culturelle ». « Il est clair que nous nous sommes interrogés sur la question du sexisme de ces images. Avant de monter l’exposition nous les avons montrées à des personnes extérieures, experts ou connaissances. Tous les retours ont confirmé qu’il n’y avait rien de choquant », assure Pierre Esplugas-Labatut, adjoint au maire de Toulouse, en charge de la culture et des musées. Pour lui, la référence au viol n’est pas établie et cette exposition n’a « clairement rien de sexiste ou de dégradant. Sinon, nous ne l’aurions pas monté », ajoute-t-il.
« Chacun est libre, avec sa propre sensibilité, d’apprécier ou pas l’esthétique de l’artiste, d’interpréter, de manière positive ou négative, les œuvres présentées. » À l’entrée du Matou, la petite pancarte de présentation de l’artiste et de ses œuvres est complétée par un avertissement au spectateur. Sa lecture nous apprend notamment que « au regard du thème de l’exposition », la mairie de Toulouse s’est « interrogée sur l’opportunité de la réaliser » et a « consulté des associations qui se battent pour le respect de l’image des femmes ».
« Comme d’autres associations locales, la mairie nous a contacté pour nous demander de rédiger ce petit avertissement. Toutes les associations sollicité ont refusé, considérant que ce n’est pas suffisant. Nous ne voulions pas nous contenter de faire du pink-washing et cautionner, avec un petit commentaire que personne ne lira, cette exposition », précise Sofia Antoine.
Celle-ci regrette d’ailleurs que la mairie soit restée sourde aux appels des associations à revoir le principe d’une exposition monographique. « Ils nous ont consulté mais ne nous ont pas écouté », regrette-t-elle. « Encore aurait-il fallu se parler véritablement. Mais leur refus de nous rencontrer a été sec et catégorique. Avec quelques mails radicaux, la conversation tourne court », se défend Pierre Esplugas-Labatut qui concède que deux photos ont tout de même été retirées du projet initial.
« Nous devons faire preuve de discernement et prendre conscience que nous ne pouvons pas apprécier une œuvre indépendamment de son contexte. On ne peut pas reprocher à Socrate de ne pas avoir lu Simone de Beauvoir. Surtout, nous devons éviter de mettre le doigt dans l’engrenage de la cancel culture (Culture du bâillon ou de l’effacement de ce qui ne serait pas politiquement correct, NDLR). Sinon, il y aura toujours 15 ou 20 personnes pour manifester et faire interdire telle ou telle exposition », poursuit l’élu.
Pourtant, les collectifs féministes concernés se disent contre l’idée d’interdire la diffusion des images incriminées. « C’est un faux procès. Nous sommes contre la censure et la cancel culture ! Au contraire, nous pensons qu’il faut favoriser la réflexion. Par exemple, en faisant dialoguer les œuvres de Guy Bourdin avec d’autres artistes féministes, plus engagés et plus contemporains. Ce qui n’est pas normal, c’est de se contenter d’un seul modèle patriarcal et sexiste. La Mairie de Toulouse a une responsabilité dans les modèles et les récits qu’elle diffuse », détaille la militante.
Pour elle, c’est le contexte d’exposition qui est déterminant. « Nous n’avons aucun problème pour présenter les œuvres de Guy Bourdin. Elles auraient toute leur place dans un musée du patriarcat aux côtés de celles de David Hamilton », s’amuse-t-elle.
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