Les entrailles du ventre littéraire de Paris à l’époque romantique fourmillent de succulents et sordides mets inconnus. Eugene Sue n’est plus le seul à nous faire voir et sentir sous son manteau ce peuple parisien de la nuit, ses bêtes, ses monstres et ses couteaux. Il faut mettre à ses côtés, au panthéon du romantisme le plus noir, la mystérieuse Princesse Sappho, qui écrit “Le Tutu” en 1891, découvert seulement en 1966 et adapté en novembre 2014 par L’ARENE Théâtre pour être joué ce mois de janvier au Ring.
La compagnie tarn-et-garonnaise livre au peuple du spectacle un roman scandaleux, et cette mission devrait être saluée par les Dieux du Théâtre car ici, la relation parfois atrabilaire entre roman et théâtre est une réussite éclatante. Cette heureuse rencontre entre les acteurs et ce roman donne à entendre une langue voluptueuse, sans arrêt sceptique, mais qui ne boude aucun plaisir. La charge érotique est réelle, elle déborde de partout, et pourtant nous avons devant nous des êtres ridicules, dont même le monde du burlesque aurait honte. C’est cette force extraordinaire que possède ce texte, un va-et-vient permanent, métronomique entre le haut métaphysique (et aussi ésotérique) et le bas scatophile. Les acteurs s’en délectent dans une atmosphère de monde englouti mais persistant à survivre pour le mal de tous, avec son odeur putride de cadavre et sa recherche d’amour pervers; et ce durant plus de trois heures. Merci aux acteurs.
Ce roman d’anticipation du film Freaks, de la série Carnivalè et de tout autre oeuvre montrant la marge foraine et monstrueuse nous présente une sarabande de personnages dans une misère sublime. Au centre Mauri de Noirauf, l’anti-héros absolu, qui n’a de noblesse que sa particule, paraissant sorti de sa chambre d’enfant de 9 ans, même quand il se retrouve ministre de la Justice. Puis, la mère de Mauri, à la fois drag-queen attachante et vieille femme démoniaque, manipulatrice capable de nous plonger dans l’effroi comme dans une émotion éthérée. Enfin, l’épouse de Mauri, monstruosité alcoolique, volée, trompée, dont le traitement inhumain jette un miroir sur notre capacité à être nous-même des monstres.
Il faut souligner pour finir, cette guerre à la morale qu’est le spectacle, pour notre plus grand bien, pour continuer à creuser dans le sillon de l’étrange, de l’inquiétant, pour jeter le trouble partout où nous nous sentons si sûrs. Désarmant, blasphématoire, admirablement décadent, une vraie cure de jouvence théâtrale.
Mathieu Méric
La rédaction
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