Sur une palissade, dans une anfractuosité d’un mur ou posée en évidence sur le banc d’un abribus… Pendant un mois, en plein couvre feu, des enveloppes surprises et poétiques ont fleuri dans le petit village de Montbrun Bocage en Haute-Garonne.
« Ouvrez-moi, je suis le poème du 11 janvier 2021 ». L’invitation est soigneusement écrite sur une enveloppe abandonnée sur un banc, sous un abribus de Montbrun Bocage, en Haute-Garonne. Le papier est légèrement vieilli par les intempéries des derniers jours. Curieux, on ouvre l’enveloppe. Sur un feuillet, quelques vers manuscrits et un lien internet. « Je choisis les poèmes que je partage en fonction de mon ressenti du moment. Cela peut-être des textes que j’écris ou d’auteurs que j’affectionne comme Andreé Chedid, Philippe Jaccottet, Nelly Sachs ou Paul Verlaine », confie Manon Crivellari, la jeune comédienne à l’origine de cette curieuse routine poétique.
« C’est un projet que j’ai lancé en janvier 2016, après une année marquée par les attentats terroristes. J’habitais alors Paris et j’ai été très marquée par ces événements. J’avais ressenti le besoin de faire un geste pour repoétiser la rue et conjurer ce mélange de peur et de défiance permanente qui s’était emparé de l’espace public », explique Manon Crivellari qui suit, à ce moment, une formation de mime corporel dramatique. L’étudiante décide alors de déposer, chaque jour pendant un mois, une enveloppe contenant un poème, adressée à un inconnu. Une offrande au passant. « J’ai également lancé un appel sur les réseaux sociaux et près de 200 personnes se sont jointes à cette initiative », ajoute-t-elle. Un défi personnel qu’elle renouvellera tous les ans, au mois de janvier.
Jusqu’à ce début d’année 2021, marqué par le couvre-feu qui la surprend alors qu’elle vient d’emménager à Montbrun Bocage, un petit village de la campagne haut-garonnaise. « Chaque année, je remets en question le bien-fondé et la nécessité de ce projet. Je me suis demandé si ça avait du sens d’intervenir ainsi, chaque jour, dans un si petit village ou d’abandonner des objets dans la rue en pleine période de Covid. Alors que les gens ont presque une forme de dégoût pour ce qui vient de la rue », confie Manon Crivelli. Mais le besoin de manifester une présence, de partager une émotion prend le dessus. D’autant que les mesures sanitaires ont fait brutalement tomber les rideaux dans toutes les les lieux culturels, juste au moment où la jeune artiste achevait la création de son premier spectacle. Après cinq ans de travail, la voilà suspendue à un hypothétique retour, comme Pénélope, l’héroïne de son seule en scène : ”La nuit est tombée sur Ithaque”.
« J’étais très perturbée. J’avais besoin de sentir un aboutissement », se souvient la comédienne qui voit dans cette essaimage poétique une manière de se ressourcer sur le plan créatif. La danse, le refuge, les amants… La plupart des textes évoquent, dans un mélange d’espoir et de nostalgie, les joies du monde d’avant. « Cette année, avec le confinement, j’ai pris conscience de l’importance et du besoin d’entendre des voix humaines. Du coup, j’ai eu envie d’essayer une nouvelle forme. J’ai donc enregistré les poèmes sous formes de podcasts chuchotés. C’était une manière, pour moi, d’offrir la possibilité aux gens de faire entrer une présence chaleureuse chez eux », précise celle qui est également la fondatrice de la compagnie l’Essaimante. Ainsi, à la fin de chaque texte, Manon Crivellari ajoute un lien vers une plateforme d’écoute où elle met gratuitement à disposition ses enregistrements.
Dans l’anfractuosité d’un mur, sur une balançoire ou caché par une gouttière… Pour Manon Crivellari, chaque lettre est une offrande poétique qu’elle cache malicieusement. « Je ne cherche pas à savoir ce que deviennent les poèmes. Quand je pose une enveloppe, je ne me retourne pas. Il faut que ça reste un peu secret, avec un petit côté trésor. Finalement, c’est un peu un éloge de la gratuité », observe-t-elle. Et, quand on lui demande si elle recoiffera, l’an prochain, sa casquette de semeuse de vers, celle-ci répond avec philosophie : « Certainement, car au bout du compte, il y a toujours une nécessité ».
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