L’association Tompasse, qui réunit les industriels de l’aéronautique, propose dans son Livre Blanc de mettre à profit les disponibilités des salariés en activité partielle de longue durée pour des actions de bénévolat. La CGT répond.
Le 7 avril dernier, l’association Tompasse (Toulouse Midi Pyrénées Aéronautique Spatial et Systèmes Embarqués), qui réunit les industriels de l’aéronautique, a rendu public son Livre Blanc, avançant cinq pistes pour relancer l’économie en Occitanie face à la crise du secteur aéronautique.
La proposition n°5 de Tompasse consiste à « mettre à profit les disponibilités des salariés en activité partielle de longue durée (APLD) pour des actions ambitieuses et variées » .
Olivier Pedron, directeur général de Collins Aerospace, met en avant qu’avec la mise en place de l’APLD lors d’une baisse significative d’activité d’une entreprise, « nombre de collaborateurs de la filière aéronautique vont disposer, en moyenne, de deux jours non travaillés qui leur seront payés. C’est pourquoi nous préconisons de mettre en place un certain nombre de dispositifs qui permettraient de tirer avantage de ce temps à disposition des salariés, sur la base du volontariat ».
La proposition de Tompasse suggère que les salariés en chômage partiel s’engagent dans des actions bénévoles pour « aller parler des mobilités dans les collèges et lycées pour expliquer les métiers de l’aéronautique, les parcours pour y accéder, intervenir auprès d’associations d’aide au retour à l’emploi, dans les start-up, PME ou TPE ». Selon Olivier Pedron, il s’agit de « ressources intellectuelles disponibles qu’il convient de mettre à profit. Des ingénieurs volontaires, disponibles et qui ont envie de bien faire, permettront de créer des emplois, et ces actions seraient financées par l’État ».
Les ingénieurs pourront faire « du soutien scolaire, et les commerciaux de l’analyse de rentabilisation pour des start-up », avance Hugo Ceschin, chargé de mission à Tompasse. « C’est une démarche de salariés voulant se rendre utiles à la société ».
Pour le syndicat, la « crise » serait un « moyen de détournement massif d’argent public », et le bénévolat des salariés en chômage partiel est « une grande supercherie » selon Robert Amade : « C’est d’un cynisme terrible. Les collègues pâtissent de la mise en activité partielle tandis qu’Airbus ouvre et ferme les robinets tout en recevant l’argent public. À la lumière de ses résultats économiques, Airbus pourrait reprendre sa capacité de production à 100% ».
Faire travailler bénévolement les salariés en activité partielle se résume selon lui à « une arnaque » : « Il n’y a pas de justification économique à cela, et ce n’est pas lié à la Covid : le climat anxiogène permet juste de faire accepter aux gens de faire tout et n’importe quoi ».
Jean-François Tortajada, de l’Union départementale CGT 31, enfonce le clou :
« Tout citoyen français a le droit de s’engager dans le bénévolat. Lorsqu’un salarié est au chômage, même partiel, il organise son temps comme il le souhaite : il peut prendre du temps pour lui et sa famille, militer dans un parti, s’engager dans une association… C’est scandaleux de faire travailler les gens au chômage au frais de l’État et non au frais du patron. La proposition de Tompasse n’est pas neutre et elle contribue à culpabiliser les salariés mis en chômage partiel. Sur du temps où ils ne sont pas censés travailler, on leur demande d’aller optimiser la production d’autres entreprises ». Selon lui, ce genre de proposition est un pas de plus dans l’huberisation du travail : « Le patronat rêve d’avoir des salariés interchangeables entre différentes boîtes, car cela permettrait de baisser encore plus le coût du travail ».
Mettre en place des dispositifs de sensibilisation et de mutualisation, comme le suggère Tompasse, pourrait se faire « dans le cadre de l’activité de travail », insiste le syndicat : « Si la sous-traitance n’était pas compressée, elle pourrait organiser ces activités, et remplir le rôle social et de solidarité de l’entreprise dans la filière de formation (écoles, lycées…). On ne parle pas assez des burn out et des maladies professionnelles dans le secteur de l’aéronautique. Ni de la pression imposée, aussi bien en production qu’en ingénierie », indique Robert Amade.
La contradiction de Tompasse est pointée du doigt. « Mobiliser des salariés sur la base du volontariat » : la CGT tique sur la formulation. « Soit le salarié se rend disponible et volontaire pour du bénévolat, soit l’employeur le mobilise, ce qui est bien différent, et illégal ». Pour le syndicat, une chose est sûre, « ce genre d’initiative ne relancera pas l’emploi aéronautique en Occitanie ».
Agathe Sauvage, avocate au sein du cabinet 25RueGounod, précise qu’il « n’existe pas de définition juridique du bénévolat, qui peut être défini comme la situation dans laquelle une personne apporte à autrui sa disponibilité et ses compétences dans le cadre d’une action non salariée et à titre purement gratuit ».
La proposition de Tompasse « apparaît légale à condition que les actions bénévoles ne soient pas imposées par l’employeur, d’autant plus que le contrat de travail d’un salarié placé en activité partielle est suspendu », ajoute-t-elle. Et un bénévole n’étant pas soumis à un lien de subordination, il est totalement libre de s’engager ou pas.
Selon Agathe Sauvage, la proposition de Tompasse doit être encadrée : « Il doit s’agir d’un engagement libre et volontaire de la personne, sans aucun lien de subordination, avec la possibilité d’y mettre un terme à tout moment ; et il ne doit y avoir aucun caractère lucratif pour l’entreprise qui met à profit les disponibilités des salariés ».
L’avocate conseille enfin à l’employeur de « mettre en place un système de formulaire à remplir pour les salariés souhaitant participer à de telles actions, et ainsi s’assurer de leur consentement ». Car si ces conditions ne sont pas réunies, « le bénévolat pourrait être requalifié en contrat de travail, ayant des conséquences financières très lourdes » pour l’employeur.
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