Alain Di Crescenzo, le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Occitanie, livre son point de vue sur l’impact économique de l’épidémie de Covid-19. Une crise majeure qui, selon lui, n’épargnera pas la région et dont il faudra tirer les enseignements.
Alain Di Crescenzo, le président de la Chambre de Commerce et d’Industrie Occitanie © David BécusJe n’ai que 58 ans et je n’ai pas vécu la guerre. Mais cette crise est la plus grave que nous ayons connu. La crise de 1929 était monétaire. Elle fut énergétique en 1973 puis financière en 2018. Celle que nous traversons aujourd’hui est à la fois sanitaire et économique. Pour la caractériser, je dirais qu’elle est inédite, brutale, profonde et longue. En moins de 48 heures, nous avons fermé les magasins et instauré le confinement. Du jour au lendemain, certaines entreprises ont vu leur chiffre d’affaire tomber à zéro. C’est une crise qui n’épargne aucun secteur et qui durera jusqu’à ce que les derniers pays s’en soient sortis, car nous sommes tous interconnectés. En Europe, il est difficile d’envisager un retour à la normale avant le troisième trimestre de 2023.
Non, car les trois grands secteurs qui sont les moteurs de la réussite de la région sont particulièrement touchés : l’aéronautique, le tourisme et la filière agro-alimentaire. Même si cette dernière connaît une reprise, elle est confrontée à une panne des exportations qui représentent tout de même 2 milliards d’euros par an.
De leur côté, les professionnels du tourisme ont enregistré l’annulation de 86 % de leurs réservations au mois d’avril. Cela va revenir doucement mais il va être difficile d’atteindre 50 % d’activité dans les prochains mois.
Enfin, l’industrie aéronautique a été fauchée dans une période où elle affichait la plus grande accélération des cadences de production, donc d’investissement, de son histoire. Or, les compagnies aériennes rencontrent de très grandes difficultés et ne risquent pas de commander des avions dans les prochaines années. Il est donc indispensable et urgent d’investir au moins 200 milliards d’euros pour sauver ces dernières.
Localement, ce sont 40 000 emplois directs qui sont menacés et autant d’emplois induits, principalement chez les sous traitants. À cela s’ajoute le risque de voir disparaître des savoir-faire avec la fermeture de certaines entreprises ou des rachats par des investisseurs venant de pays qui se seront relevés plus vite. Les premiers à rebondir seront les gagnants de l’histoire.
Tout d’abord, la CCI informe et soutient. Depuis le début de la crise, nous avons répondu à près de 30 000 sollicitations de chefs d’entreprise. 95 % des appels émanent de structures de moins de 50 employés et 85 % de moins de 10 personnes. Les questions les plus fréquentes tournent autour des aides, du chômage partiel et des conditions de la reprise.
À cela s’ajoute une demande particulière à cette période : le soutien psychologique. Tous les jours nous recevons des appels d’hommes et de femmes en détresse qui ont perdu tout le travail d’une vie en seulement un mois. Malheureusement, nous avons même été confrontés à une tentative de suicide. Par ailleurs, la CCI participe à remonter les informations liées aux difficultés rencontrées par les acteurs économiques, sur le terrain, auprès des collectivités locales et de l’État pour améliorer les dispositifs.
Ne pas tirer de leçons, serait une double peine. Tout d’abord, nous devons instaurer une souveraineté dans les secteurs de l’alimentaire et de la santé. Il est inacceptable d’être tributaire d’autres pays pour nous approvisionner en masques ou en médicaments. Sans entrer dans l’ostracisme ou la fermeture des frontières, nous devons également relancer des labels locaux de production et travailler sur des circuits courts.
Enfin, dans les secteurs qui perçoivent des financement significatifs de l’État, comme l’aéronautique, il serait légitime de demander la relocalisation de certaines productions en contre-partie. Les retombées doivent correspondre aux territoires qui financent. Mais avant cela, nous devons réussir la reprise.
Il y a deux points fondamentaux pour cela. L’État doit impérativement faire une cartographie précise de ce qui va redémarrer et clarifier les chartes qui détaillent les mesures de protection à mettre en œuvre. Toutefois, d’ici 2023, nous allons accumuler un passif qu’il faudra résorber. Par exemple, en généralisant le télétravail ou en assouplissant le Code du travail pour absorber l’accélération des cadences. La question n’est pas de travailler plus mais de travailler différemment. C’est un équilibre à trouver. Il ne faut pas oublier que quand on sauve l’économie, on sauve des gens.
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