Arnaud Negri, spécialiste de l’aéronautique chez Syndex, cabinet d’expertise au service des instances représentatives du personnel, tire la sonnette d’alarme sur la multiplication des plans sociaux dans la filière. Il plaide également pour que les salariés soient enfin associés à un plan de relance jugé insuffisant.
Les plans sociaux se multiplient dans l’aéronautique malgré le plan de relance de l’Etat ©AirbusArnaud Negri, vous alertez sur l’ampleur du choc social à venir dans l’aéronautique. Selon vous le plan de 14 milliards d’euros annoncé par l’État ne serait pas suffisant pour absorber celui-ci ?
Ce que l’ont peut noter, c’est une intention revendiquée de limiter les suppressions d’emplois dans le secteur aéronautique. Mais il y a un décalage gigantesque entre la communication du gouvernement et la réalité. Quand on regarde les mesures dans le détail, les chiffres sont décevants. Comparés à la taille de la filière, les 14 milliards d’euros annoncés ne représentent pas grand-chose. Surtout, l’essentiel des aides est concentré sur les compagnies aériennes. Le soutien direct à l’aéronautique, lui, est moindre est plus étalé dans le temps. Il consiste surtout en des garanties apportées par l’État, il ne s’agit donc pas d’argent liquide à disposition des entreprises.
Vous vous interrogez également sur l’efficacité des mesures mises en place dans ce plan de relance ?
Oui, on peut constater que les fonds dédiés à la sauvegarde des entreprises et à leur modernisation censés consolider les fournisseurs sécurisent surtout les donneurs d’ordre. Et n’empêcheront pas de ce fait les restructurations susceptibles d’être engagées. Par ailleurs, comme en témoigne le tsunami d’annonces de plans sociaux et d’accords rognant sur les conditions de travail et de rémunération, il est clair que les entreprises ne se saisissent pas des mesures comme l’activité partielle de longue durée. Il s’agit là d’une autre faille majeure du plan de l’État ; l’absence de contreparties impératives. C’est d’autant plus surprenant, voire choquant, que l’effort consenti est inédit.
Quelle est votre analyse de cette multiplication récente de plans sociaux dans l’aéronautique ?
La deuxième vague est déjà une réalité et pourrait s’amplifier. Si l’on prend l’exemple d’Airbus, qui produit 25 % d’un avion et annonce 5 000 suppressions de postes, une prévision de 20 à 25 000 emplois en moins sur l’ensemble de la filière nous paraît crédible. Nous sommes également assez surpris de la brutalité extrême de ces plans, avec notamment des durées plus courtes que le délai légal. La réaction des entreprises est plus violente aujourd’hui que cela n’avait été le cas dans le secteur automobile après la crise de 2008. Il y a un effet d’aubaine évident, les groupes appliquent une réponse structurelle à une crise qui reste selon nous conjoncturelle. Le plan social présenté par l’entreprise 3A, par exemple, concerne plus de la moitié des effectifs de la société ; en comparaison à la perte de chiffre d’affaires annoncée, le nombre de licenciements est donc disproportionné. Il y a une volonté de la part des groupes de retrouver le plus rapidement possible une trajectoire de résultats à laquelle ils étaient habitués avant l’arrivée de l’épidémie de coronavirus.
Selon vous, la réaction des entreprises serait donc essentiellement basée sur les enjeux économiques et non sur les enjeux industriels. Quels sont les risques pour la filière ?
Pour l’heure, leur objectif est de limiter l’impact comptable au détriment des enjeux sociaux et industriels. Les grands donneurs d’ordre, en particulier, cherchent à maximiser les résultats en faisant pression sur les prix et en sacrifiant les compétences. La spécificité de la filière aéronautique est que les emplois y sont très qualifiés. Or, quand on détruit un poste, on perd également la compétence qui va avec. Selon les prévisions, il faudra attendre 2024 pour atteindre le niveau de trafic aérien de 2019. Mais il faut beaucoup plus de trois ans pour acquérir les compétences nécessaires à la fabrication d’un avion. Pour anticiper le retour à la normale, le meilleur moyen serait donc de garder celles qui existent déjà. Regardez le cas de Boeing qui n’avait plus les compétences pour faire le 737 Max. Résultat, après plusieurs crashs, le modèle est aujourd’hui interdit de vol. Si on copie Boeing, le risque est connu.
En tant que conseiller des Instances représentatives des salariés, vous appelez à ce que ces dernières soient partie prenante du plan de relance, en quoi cela changerait-il la donne ?
Tout d’abord, il faut constater que les réflexions ont uniquement été menées entre l’État et les grands groupes du secteur, dont bien sûr Airbus, en excluant les représentants des salariés. Mais on peut espérer qu’il ne soit pas trop tard pour que cela change. Le plan de relance n’est pas encore totalement mis en œuvre. Une bonne partie des fonds, comme celui destiné à la modernisation et à la diversification des entreprises, reste à attribuer. Des sujets que les représentants des salariés connaissent particulièrement. Tout comme la question de la relation entre les donneurs d’ordre et les fournisseurs. Jusqu’à présent, c’est simple, les seconds subissent les baisses de prix imposées par les premiers. Dans le plan du gouvernement, il est prévu la mise en place d’une charte ainsi que d’un contrôle pour assainir cette relation. Il serait judicieux d’y associer les organisations syndicales. De la plus petite PME à la multinationale, ces dernières couvrent l’ensemble de la verticalité de la chaîne. Elles sont donc bien placées pour analyser les enjeux sur le terrain. Les représentants des salariés sont non seulement légitimes, mais indispensables pour envisager le rebond et l’avenir de l’aéronautique.
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