Alternative. Mis en place par l’Etat, pour faciliter la prise en charge de la solidarité nationale en matière de santé, certains organismes publics sont aujourd’hui dénigrés, voire reniés, par un nombre croissant de Français. Professions libérales, artisans, salariés ou chefs d’entreprise dénoncent un manque de confiance, l’inefficacité, et la mauvaise gestion des deniers publics pour expliquer leur volonté de se positionner hors du système édicté par l’Etat.
Par Séverine Sarrat et Aurélie Renne
Sécurité sociale, Ursaff, RSI, Carpimko, Carmf… sont autant de gros mots dans la bouche de certains travailleurs indépendants qui cherchent aujourd’hui à s’affranchir de toutes les organisations générales de prestations publiques. Mais aujourd’hui, ils ne sont plus les seuls à souhaiter quitter le « système » pour se diriger vers des établissements privés. « Ce que nous demandons, c’est d’avoir le choix. L’Etat impose des organismes, quand nous voulons pouvoir faire jouer la concurrence pour que chacun puisse obtenir ce qui est le mieux pour lui, à des prix intéressants », explique Caroline Mercier, de l’association « Liberté sociale ». Cette commerçante à Frouzins n’est pas la seule à vouloir contourner les organismes publics, en matière de protection sociale, notamment. Olivier Rouzaud, kinésithérapeute à Lanta, s’annonce fièrement « libéré » depuis un an. Comprenez, « libéré du carcan imposé par l’Etat». « Le mouvement des libérés », à l’échelle nationale, regroupe de nombreux travailleurs indépendants, traditionnellement dépendants du RSI, ayant opté pour un régime de sécurité sociale autre que la « sécu ». Pourtant, Jean-Philippe Naudon, directeur de mission au RSI, qui regroupe plus de 5,6 millions de chefs d’entreprises et leurs ayant-droits, met en garde : « il est bien obligatoire pour eux d’être affiliés au RSI selon l’article 111-1 du code de la sécurité sociale. » Ce dernier précise que chaque citoyen doit cotiser à la caisse correspondant à son activité.
Des recours à la Cour européenne
« Les Libérés » acceptent l’obligation d’être affiliés à un régime obligatoire mais revendiquent que ce ne soit pas forcément celui de la « sécu » : « dès lors que j’ai une protection sociale, que j’ai contracté auprès d’une société privée au Luxembourg, et un plan de prévoyance retraite, je réponds à mes obligations, simplement je ne le fais pas auprès des organismes qui me sont imposés », affirme Olivier Rouzaud. Il déclare même que la législation européenne garantit cette liberté contrairement au droit français. « C’est faux ! » rétorque le représentant du RSI, « Ces gens confondent les directives concernant les assurances privées, effectivement soumises à la concurrence, et celles ayant trait aux systèmes nationaux obligatoires qui permettent à chaque Etat d’être souverain en matière d’organisation de la protection sociale », précise le représentant du RSI. Alors « les Libérés », traduits en justice pour désaffiliation, sont effectivement condamnés par les tribunaux français mais ils multiplient les recours afin d’accéder à la Cour européenne et espèrent ainsi faire reconnaître « leur droit à faire jouer la concurrence », suite à un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, le 3 octobre 2013, relatif aux pratiques commerciales déloyales. Pourtant, la Direction de la Sécurité sociale, prévient dans un communiqué : « Contrairement à ce qui est soutenu, cette décision ne change rien à la nature des activités poursuivies par la sécurité sociale française, ni à l’obligation de cotiser auprès de celle-ci. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de Justice de l’Union européenne, n’étant pas de nature économique, ces activités ne sont pas soumises au droit européen de la concurrence, auquel peut être rattaché l’arrêt. » Ainsi, les avis s’opposent, à coup de décrets nationaux et de directives européennes, sans à ce jour de réponse tranchée. Et pour cause, le phénomène étant nouveau et les actions en justice toujours en cours, aucun « Libéré » n’a encore vu ses démarches aboutir.
Qui aura gain de cause ?
Pour Jean-Philippe Naudon, l’issue semble fatale : « le jour où le couperet va tomber, les entreprises ou les travailleurs indépendants qui ne cotisent plus vont être en difficulté. Ils risquent un redressement fiscal et une peine liée au travail illégal ! » Sans oublier que « sans être à jour des cotisations sociales, un indépendant ne peut plus prétendre à la participation aux appels d’offres de marchés publics… » Jean-François Emonet, gérant du cabinet toulousain de conseils de gestion en patrimoine Sic patrimoine : « souscrire un contrat de prévoyance à l’étranger reste périlleux car les règles d’indemnisation peuvent ne pas être les mêmes qu’en France, voire pas légales. D’autant que ces contrats sont généralement assez compliqués, il faut donc être très vigilant ! » L’homme s’interroge : « les risques liés à une désaffiliation et à une assurance privée étrangère, qu’ils soient financiers ou pénaux, valent-ils la peine ? Les procédures sont coûteuses et rien ne certifie aujourd’hui l’issue des batailles juridiques en cours… À chacun de faire son choix. » Et si le mouvement des libérés semble faire de plus en plus d’adeptes (10 247 membres sur la page facebook nationale), l’étau semble se resserrer : « la loi de financement de la sécurité sociale 2015 durcit les sanctions pénales applicables à l’encontre des personnes refusant de s’affilier à un régime de sécurité sociale obligatoire, ainsi que de celles incitant des assujettis à refuser de se conformer aux obligations de la législation de la sécurité sociale : un assujetti risque 6 mois de prison et/ou 15 000 € d’amende quand toute personne coupable d’incitation encourt 2 ans de prison et/ou 30 000 € d’amende. »
L’analyse de Patrick Aubin, notre chroniqueur éco
« Le RSI révèle la faillite politique dans l’interventionnisme économique. Une explosion sociale est proche si tout reste en l’état. L’imbroglio juridique autour du RSI doit déclencher une prise de conscience urgente des parlementaires. L’indépendant doit redevenir ce rôle de forces vives du pays assurant la dynamique économique. En l’obligeant à payer des cotisations sociales sans limite à un organisme pantagruélique sans concurrence, le politique a transformé le RSI en une mafia sans foi, ni loi, et a asphyxié financièrement l’indépendant. Pourquoi travaille-t-il s’il ne peut plus nourrir sa famille ? Et surtout où passent les lourdes cotisations sur des revenus que l’indépendant, rarement malade, n’encaisse pas toujours pour faire fonctionner son affaire ? Le train de vie du RSI est à pointer du doigt. Aussi c’est plus qu’à une remise à plat qu’il faut procéder : l’indépendant doit obtenir la liberté sociale en choisissant ses organismes sociaux pour retrouver le vrai sens de l’économie. »
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