Pour réussir l’insertion professionnelle durable de publics en situation de grande précarité, la Plateforme emploi entreprise, installée à Empalot et à la Reynerie, n’hésite pas à bousculer les codes du recrutement.
© Axelle Szczygiel« Bonjour, je suis Jérôme Favier de la Plateforme emploi entreprise (PEE). Je vous appelle pour avoir des informations sur les recrutements à venir chez vous. Vous cherchez du personnel, notamment pour cet été ? » Le chargé de mission a opté pour une entrée en matière simple et efficace, comme toujours. À l’autre bout du combiné, une entreprise qui emploie des agents de services hospitaliers. En face de lui, dans son bureau exigu de la Reynerie, Carine, 34 ans, en jean, tennis et t-shirt noir chic, ne loupe pas une seule syllabe de la conversation. Et pour cause : les postes que Jérôme Favier convoite lui sont destinés. « L’entreprise pour laquelle je travaillais a fermé il y a deux ans et depuis, rien. Deux ans, c’est long ! J’ai passé des dizaines et des dizaines d’entretiens et j’ai fini par faire une grosse déprime. J’étais complètement perdue. J’ai découvert l’existence de ce service il y a quelques années, puis j’ai finalement décidé de m’inscrire… Cela va me permettre d’être accompagnée pendant un an », confie-t-elle. Cet espace dédié à l’insertion par le travail et coordonnée par l’Union Cépière Robert Monnier (avec le Medef de Haute-Garonne, Nos quartiers ont du talent et en étroite collaboration avec Pôle Emploi ou encore la Mission locale de Toulouse) s’est implanté en 2011 au cœur d’Empalot, puis à la Reynerie, en novembre dernier. Objectif : mettre en relation les sociétés locales qui recrutent (industrie, services aux entreprises, services aux personnes, logistique, transport, grande distribution…) avec des demandeurs d’emploi issus des quartiers prioritaires susceptibles d’être intéressés par leurs offres, dans une démarche de circuit court. Et ça marche !
Un mois après son inscription, Carine a déjà décroché deux entretiens. Mais la jeune femme continue de venir chaque semaine afin de démarcher de nouvelles entreprises par l’intermédiaire de Jérôme Favier, et ainsi mettre toutes les chances de son côté. Car sa quête n’est pas aisée. Souffrant d’épilepsie, elle suit un traitement lourd qui l’empêche notamment de passer son permis de conduire, la rendant dépendante des transports en commun, et qui la contraint à n’accepter que des postes aux horaires réguliers. Et c’est sans compter l’angoisse que représentent pour elle les entretiens d’embauche. « Les petites entreprises ne savent pas toujours mener un recrutement et ont tendance à se réfugier dans un entretien d’embauche classique : Quels sont vos défauts ? Vos qualités ? Pourquoi ne travaillez-vous pas depuis deux ans ?… Non seulement, ce type d’entrevue ne garantit pas la réussite du processus, mais en plus, cela met mal à l’aise les candidats les moins expérimentés », indique Jérôme Favier.
Voilà pourquoi, dans la mesure du possible, il essaie d’obtenir une rencontre entre employeur et demandeur d’emploi autour d’une visite de poste, bouleversant ainsi leur logique de recrutement. Dans ce cadre moins formel, le candidat peut faire connaissance avec l’équipe voire même poser des questions à la personne qui occupe la fonction convoitée, et alors mieux cerner ses spécificités. « On démarre sur de bonnes bases. Nous avons des métiers un peu à part, donc s’ils ne viennent pas sur place, les candidats ne se rendent pas forcément compte que le poste nécessite par exemple de rester longtemps debout ou de réaliser une multitude de tâches différentes », confirme Marion Depis, gérante de la société de nettoyage de pièces industrielles Microsemi, à Portet-sur-Garonne, qui travaille avec la PEE depuis plusieurs années.
Aujourd’hui, l’intégralité du recrutement de l’entreprise se fait par la plateforme. « Ils connaissent bien notre société, ils ne sélectionnent que des profils qui leur semblent correspondre à nos valeurs, notre état d’esprit. C’est un gain de temps énorme ! » Et peu importe s’il faut parfois former le futur salarié, au contraire. L’entreprise est fière de compter dans ses rangs une ex-couturière ou encore une ancienne femme de ménage. « Je préfère des personnes a priori moins compétentes, mais qui ont vraiment envie de travailler. Et cela nous permet de donner une chance à ceux qui ont des parcours un peu cabossés. »
En 2018, sur les 245 personnes sorties du dispositif, 52% ont trouvé un « emploi durable validé » (CDD de plus de six mois…). Un chiffre qui monte à 82% si l’on retire du décompte les divers abandons (arrêt maladie, maternité…). Le taux de reprise d’emploi était quant à lui de 91% tous contrats confondus. Autrement dit, neuf demandeurs d’emploi sur dix ont renoué au moins une fois avec le marché du travail pendant leur accompagnement par la plateforme.
Axelle Szczygiel
Commentaires