Comment notre système économique doit-il évoluer pour limiter le dérèglement climatique et faire face à ses conséquences ? Deux grandes visions s’opposent. D’un côté, celle d’une croissance verte qui permettrait de poursuive notre développement en préservant la planète. De l’autre, celle d’une décroissance, qui impliquerait une baisse de la production de biens et services.
Sylvain Chabé-Ferret est chercheur à la Toulouse School of Economics et à l’Inra. Il défend l’idée de la croissance verte.
Mireille Bruyère est maîtresse de conférences en sciences économiques à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, membre des Économistes atterrés et du Conseil scientifique d’Attac France. Elle défend l’idée d’un « dépassement de la croissance économique ».
Que préconisez-vous pour réduire notre empreinte carbone ?
Mireille Bruyère : Les pays les plus avancés doivent diminuer la quantité de richesses qu’ils produisent puisque ce sont eux qui consomment la plus grande partie des ressources naturelles. Cela demande des changements très importants qui ne pourront être faits dans les institutions économiques actuelles, qui poussent à la croissance et à la concurrence. Nous devons repartir des pratiques locales pour inventer autre chose, de nouveaux modes de production, directement en lien avec les besoins des consommateurs, au plus près des territoires et des écosystèmes.
Sylvain Chabé-Ferret : Il faut inclure le prix de l’environnement à chaque décision économique. C’est la solution la plus simple et la plus efficace. Simple, car on ne modifie qu’un seul facteur dans le système et qu’il existe déjà des mécanismes similaires de marché du carbone dans plusieurs régions du monde. Efficace, car elle permet de favoriser les investissements les plus écologiquement productifs et qu’ elle donne une incitation de long terme à innover pour réduire les émissions. C’est de la décroissance sélective.
Comment s’assurer d’une juste répartition des efforts ?
Mireille Bruyère : C’est bien cette question qui est la plus importante. Il n’y aura pas de bifurcation écologique si elle n’est pas juste. La justice ne peut être produite que par des institutions démocratiques, elle ne doit pas être décrétée d’en haut, par des experts. Il faut privilégier la gestion collective et locale des ressources, qui, dans l’Histoire, nous a montré qu’elle permet d’épargner l’environnement.
Sylvain Chabé-Ferret : En distribuant à tous les individus de la planète un « droit à polluer » égal par tête. Vu les niveaux actuels, les États riches devront acheter leur pollution à prix élevé aux pays du Sud : cela générera un transfert massif ainsi que des économies de gaz à effet de serre (GES). Par exemple, en finançant des forêts au Brésil, là où elles poussent vite, plutôt qu’en Europe… C’est une solution beaucoup moins radicale que la proposition de changer toute la société.
L’augmentation de la population mondiale, estimée entre 9 et 10 milliards d’êtres humains en 2050, n’annule-t-elle pas tous nos efforts ?
Mireille Bruyère : Il est évident que son niveau doit être maîtrisé. Mais il ne faut pas oublier que c’est l’Occident qui est responsable de la majeure partie des GES. Alors que, par habitant, leurs émissions sont bien en dessous des nôtres, nous demanderions aux pays pauvres de réduire leur population ? La décroissance des États développés aurait beaucoup plus d’impact. Rappelons que les écarts des émissions par habitant entre les plus riches et les plus pauvres de la planète sont de l’ordre de 1 à 2 600.
Sylvain Chabé-Ferret : C’est une pression supplémentaire majeure. Mais on observe que le niveau de pollution tend à se retourner dans la courbe de développement des pays. Ainsi, aujourd’hui, la Chine est comme l’Angleterre du XIXe siècle, mais ses émissions atteindront tôt ou tard un plateau. En outre, le nombre d’êtres humains va se stabiliser voire diminuer dans le cours du XXIe siècle, notamment grâce à la baisse de la mortalité infantile et à la réduction du taux de fertilité.
La technologie peut-elle nous sauver ?
Mireille Bruyère : Bien sûr qu’il faut allouer des moyens à la recherche, mais cela ne doit pas être l’alpha et l’oméga. Il ne nous reste plus beaucoup de temps et le pari est trop risqué pour mettre tous nos œufs dans le même panier. L’hypothèse de l’apparition à très court terme d’un ensemble de technologies à émission négative rentables et généralisables à large échelle est « une pensée magique ». Comment les promoteurs de la croissance verte arrivent-ils encore à y croire ?
Sylvain Chabé-Ferret : C’est extrêmement difficile à prévoir. Mais, si l’on parvient à stocker l’énergie à un prix raisonnable, on résoudra une grande partie des problèmes liés au changement climatique. Le prix de la transition dépendra en grande partie des réponses technologiques que l’humanité pourra apporter. D’où la nécessité d’orienter les investissements vers ces domaines.
Le Produit intérieur brut, qui mesure l’évolution de la richesse produite, est-il encore un bon indicateur ?
Mireille Bruyère : Le PIB montre quelle est la taille des activités monétaires dans une société. Il ne dit rien de ce qu’elles sont. Ainsi, pour être moins pauvre, il suffirait d’avoir davantage de revenus… Mais est-ce vraiment un gage d’amélioration ? L’économiste ne peut pas le dire, car le bien-être est une notion politique et philosophique.
Sylvain Chabé-Ferret : Le problème du PIB, c’est qu’il ne prend pas en compte les dommages environnementaux causés par la production de biens et de services. Ni le bonheur au travail. C’est pourquoi il y a de plus en plus de pression aujourd’hui sur les gouvernements pour l’enrichir d’autres indicateurs.
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