Sous la pression du marketing, le design a parfois tendance à privilégier des couleurs criardes et des lignes agressives, au risque de contribuer à l’instauration d’un monde anxiogène. Néanmoins, en privilégiant la simplicité d’usage et l’émotion esthétique, il semble tout de même possible de dessiner un environnement plus apaisant.
Couleurs criardes et lignes agressives… Pour se démarquer ou inspirer une notion de performance, de nombreux produits sortent les muscles et adoptent un design tapageur. Au risque de contribuer à l’instauration d’un environnement anxiogène où régnerait la loi du plus fort. Au moins dans les formes. « Sur ce point, le design des voitures et des motos modernes est assez exemplaire. Les tendances actuelles privilégient une forme d’agressivité visuelle, très orientée vers la vitesse et la performance, avec des dessins surchargés et de nombreuses lignes très angulaires », reconnaît Vincent Créance, directeur du Design Spot, le centre design de l’Université Paris-Saclay.
« Tel le dieu latin Janus, le design propose deux faces indissociables. Une face tentatrice et aguicheuse associée au marketing et une face vertueuse qui correspond à l’ergonomie. Ce qui en fait un outil commercial très efficace dont se sont emparés les industriels, notamment pour provoquer de l’adhésion. Il faut l’utiliser à bon escient », contextualise-t-il avant d’évoquer le cas du packaging, l’une des disciplines du design.
« Si vous voulez surnager au milieu d’une rayon de plusieurs mètres, il va falloir klaxonner un peu. Au risque de sombrer dans la surabondance informative et la séduction à outrance parfois à la limite de la tromperie. Or, quand toutes les marques font de la surenchère, cela finit par produire une bouillie visuelle ambiante. Tout cela ne va pas dans le sens d’une approche sereine. » Même si, comme le rappelle Vincent Créance, ce défaut n’est pas systématique et de nombreux produits proposent une ”expérience usager” rassurante et confortable.
Coincé entre un impératif fonctionnel et une dimension esthétique, le design peut-il s’émanciper de la pression marketing pour dessiner des objets aux formes plus douces et apaisantes ? « Pour apporter de la sérénité, le design doit d’abord répondre aux besoins essentiels de l’utilisateur. C’est, d’ailleurs, sa vocation principale. Le produit doit donc être simple, intuitif et sécurisant. Mais il ne faut pas négliger l’aspect esthétique et émotionnel. L’être humain aspire à la beauté. Réduire un objet à sa dimension fonctionnelle peut s’avérer également anxiogène », relève Vincent Créance qui préconise, avant tout, de chasser le superflu.
« Mais attention, systématiser les formes douces et épurées n’est pas nécessairement une bonne solution », nuance-t-il. En effet, celui-ci rappelle que le design est traversé par une dimension culturelle, temporelle et subjective qui se doit de respecter la diversité des goûts et aspirations de chacun.
Ainsi, Vincent Créance rappelle que, en fonction des époques, les valeurs qui accompagnent le design peuvent varier. « Par exemple, le tramway de Strasbourg, qui a été conçu dans les années 90, privilégiait des formes aérodynamiques rappelant le TGV. Un dessin qui répondait à une logique d’efficacité et de vitesse en milieu urbain. Aujourd’hui, les lignes des tramways se sont redressées pour s’accorder avec une philosophie de cohabitation respectueuse avec les piétons. Le design automobile pourrait suivre cet exemple et revenir à des choses plus simples. C’est d’ailleurs la voie que suggèrent les véhicules autonomes. Plus lisses, ils n’ont pas à convaincre par la vitesse mais par leur capacité à circuler de manière pacifiée. »
De même, Vincent Créance évoque le cas de marques de produits alimentaires qui se sont imposées avec des packagings très sobres et sans étiquettes, prenant le contre-pied de leurs concurrents. « Se contenter d’un logo et apporter du soin aux finitions peut-être commercialement très efficace », assure-t-il avant de conclure. « Il faut revenir à des choses simples, sans sacrifier à l’esthétique ».
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