Logique, altérité, abstraction, Nathalie Blanc, professeure de psychologie du développement cognitif, présente les principales étapes de l’acquisition, chez l’enfant, des compétences indispensables à la compréhension des grands enjeux contemporain.
À partir de quel âge est-on capable de comprendre les notions d’urgence climatique, d’écosystème, de justice, d’égalité ou de tolérance ? Afin de déterminer le moment adéquat pour aborder ces questions avec un enfant, Nathalie Blanc, professeure de psychologie du développement cognitif, pose les principaux jalons de l’acquisition des compétences nécessaires pour appréhender les grands enjeux du monde contemporain. Pensée logique, conscience de l’autre, capacité d’abstraction et perception des grandeurs… Si les jeunes enfants montrent très tôt des dispositions à raisonner, certaines compétences nécessitent d’accumuler de l’expérience et une certaine maturation cognitive pour s’exprimer pleinement.
Sans définir de véritables catégories scientifiques, le passage de la période pré-scolaire à l’enseignement élémentaire incarne l’un des tournants majeurs dans l’évolution cognitive d’un enfant. « Déjà à la maternelle, l’enfant est en plein développement cognitif. Il commence à se familiariser avec des notions comme le temps ou les quantités. Mais cette période reste relativement compliquée pour sonder avec finesse les compétences acquises notamment en raison d’une maîtrise toute relative du langage », expose Nathalie Blanc, qui enseigne à l’université Paul Valéry – Montpellier 3. Pour elle, l’enfant franchit une étape importante en entrant au CP. « Au-delà de l’âge, ce sont aussi les expériences d’interaction avec les autres qui vont se multiplier et elles jouent un rôle fondamental dans l’acquisition des repères et des compétences », ajoute-t-elle.
Un autre des jalons principaux du développement cognitif de l’enfant se caractérise par ce que les scientifiques appellent la ”théorie de l’esprit”. Une aptitude essentielle dans la construction de l’altérité qui consiste à être capable d’attribuer à l’autre des intentions et des émotions différentes des siennes. « Le tout jeune enfant est très centré sur lui-même. Il n’a pas encore la capacité d’attribuer aux autres des pensées différentes des siennes. Il est dans une analyse des situations extrêmement centrée sur lui-même », explique Nathalie Blanc. Primordiale pour penser le monde et la société, cette conscience de l’autonomie de l’autre est présente autour de quatre ou cinq ans. « Même si les études actuelles décèlent des signes de la théorie de l’esprit dès 15 mois », nuance la spécialiste.
Pour importante qu’elle soit, cette naïve et personnelle révolution copernicienne ne suffit pas pour appréhender les problèmes complexes que posent nos sociétés modernes. Encore faut-il avoir les outils adéquats pour en débrouiller les causes et en concevoir les conséquences possibles. Que l’on parle de discriminations, de partage des richesses ou de préservation de la biodiversité. « Pour aborder de tels sujets, il faut que l’enfant ait déjà développé une certaine capacité de raisonnement et soit capable de manipuler des abstractions. Ce qui nécessite une maturité cognitive qui, à l’évidence, n’est pas pleinement à l’œuvre à l’école élémentaire. Même si les grands principes logiques sont globalement introduits vers 6 ou 7 ans », avertit la directrice du laboratoire Epsylon, spécialisé dans l’étude des capacités humaines.
Ainsi, la faculté d’extrapoler, de généraliser ou de transposer un enseignement à d’autres champs de connaissances s’avère particulièrement précieuse. « Pour cela, il faut que l’enfant soit en mesure de faire des inférences. C’est à dire construire du sens par déduction et en mobilisant des connaissances préalables », continue Nathalie Blanc qui situe également l’acquisition de cette compétence au début du cours élémentaire. Par exemple, un enfant capable de faire de lui-même le lien entre la disparition de la banquise et celle de la faune polaire sera plus à même de comprendre le principe d’un écosystème. « Néanmoins, dès la maternelle, les enfants sont en capacité de produire certaines inférences. Et, il est toujours possible de faire un travail de sensibilisation à leur niveau. Déjà, entre deux et quatre ans, un enfant peut être sensibilisé à économiser l’eau du robinet ou trier les déchets par une approche ludique mais pas pour autant dénuée de sens profond », ajoute la spécialiste.
Mais au-delà de la simple logique, c’est parfois la mesure des enjeux qui va poser problème. Ainsi, pour envisager les notions d’urgence ou de bouleversement à l’échelle de l’histoire de la terre, la perception de la magnitude (la capacité à manipuler des nombres et à appréhender les ordres de grandeur) ou le concept d’irréversibilité du temps vont s’avérer indispensables. Autant de compétences qui sont alimentées par l’expérience scolaire et se consolident tout au long du parcours scolaire. « Le développement de toutes ces aptitudes sera très dépendant de la qualité des expériences et des interactions de l’enfant avec son entourage qu’il soit scolaire ou familial », souligne Nathalie Blanc.
Enfin, élément fondamental de l’approche raisonnée des problèmes, le principe de causalité va émerger très tôt chez l’enfant. Mais son développement sera, lui, plutôt progressif. Notamment sur le plan psychologique. « Dès la petite enfance, en crèche, l’enfant expérimente le principe de causalité. Par exemple, en poussant le même objet pour le faire tomber de manière répétitive. En revanche, la causalité psychologique apparaît un peu plus tard. Même si on observe déjà des compétences de cet ordre en fin de maternelle, elles sont indissociables du développement du registre des connaissances émotionnelles qui, lui, s’acquiert par la multiplication des interactions sociales et continue de s’affiner jusqu’à l’âge adulte », distingue Nathalie Blanc. Avant de souligner que, dès la l’âge préscolaire, les enfants sont capables d’empathie. Une bonne base pour aborder avec eux les notions de tolérance ou de citoyenneté.
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