Triple championne du monde de karaté, Laurence Fischer a créé l’association Fight For Dignity pour aider les femmes victimes de violences à se reconstruire grâce à cet art martial. Une évaluation du programme est en cours pour qu’il puisse être dupliqué à d’autres sports.
219 000 femmes subissent des violences conjugales chaque année en France. Face à ce chiffre, Laurence Fischer a décidé d’agir. En 2017, la triple championne du monde de karaté fonde l’association Fight For Dignity, en région parisienne, pour permettre aux femmes victimes de violences de se réapproprier leur corps et de retrouver confiance en elles. Une recherche-action (méthodologie dans laquelle des recherches scientifiques sont réalisées parallèlement à des actions concrètes sur le terrain) est actuellement menée auprès de victimes prises en charge au sein de La Maison des femmes, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Laurence Fischer, désormais ambassadrice pour le sport au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, espère voir le programme se démocratiser en France. Interview.
Laurence Fischer, comment est née l’idée de venir en aide, par le karaté, aux femmes victimes de violences ?
En 2013, j’ai assisté à une conférence du docteur Denis Mukwege (gynécologue congolais surnommé “L’homme qui répare les femmes”, Prix Nobel de la paix en 2018, ndlr), au Forum mondial des femmes francophones. Cela m’a profondément bouleversée. En 2008, il a mis en place un lieu d’hébergement pour les femmes victimes de violences sexuelles à Panzi, au Congo. Forte de mes expériences d’éducation par le sport, j’ai voulu soutenir son action. Mon objectif était d’initier ces jeunes femmes au karaté.
Prises en charge après une opération gynécologique, elles ont accès à l’école, à des formations professionnalisantes, à des soins médicaux et à des psychologues, durant leur convalescence. Mais, elles n’avaient aucun accompagnement par le corps, alors même que ce dernier est l’objet du traumatisme. Je voulais aider ces femmes à se réapproprier leur corps et à retrouver l’estime d’elles-mêmes.
J’ai ensuite structuré le programme avec l’appui de gynécologues et de psychocliniciens. En 2017, j’ai créé Fight for Dignity pour dupliquer la démarche en France. Ainsi, depuis mars 2018, des séances de karaté sont proposées au sein de la Maison des femmes de Saint-Denis, auprès de victimes de violences conjugales et de viols.
Le karaté permet également de réaliser un vrai travail d’introspection
De quelle manière le karaté peut aider ces femmes victimes de violences ?
Elles sont tendues, en hypervigilance et anxieuses. De plus, elles développent généralement un rapport au corps compliqué, et n’ont plus de sensations. Le karaté leur permet de connecter leur corps et leur esprit en partie grâce à la notion de contraction-décontraction. Pour être efficace dans le combat, il faut être décontracté avant l’impact, puis contracté au moment où l’on porte le coup.
Le karaté permet également de réaliser un vrai travail d’introspection. Mais aussi de projection, notamment lorsque l’on assène des coups de poing et de pied. Et pour certaines femmes, ce sport est tout simplement une façon de se battre, au sens propre comme au figuré, pour se sentir mieux et vivantes.
Par ailleurs, on pousse des cris lors des séances. Pour la plupart des gens, c’est compliqué, car ce n’est pas socialement autorisé. Mais au karaté, on est encouragé à crier de manière très officielle. Le “Kiai”, cri de combat, est une énergie qui décuple l’engagement et la précision. Pour ces femmes, c’est un levier très intéressant d’expression et d’affirmation. Je me sers aussi du “Hara”, l’énergie vitale située au niveau du bassin. Cette partie du corps est centrale, car elle permet de donner la vie. J’essaie donc de leur faire prendre conscience de l’importance de cette zone.
Le projet Fight for Dignity va-t-il être dupliqué ailleurs en France ? À d’autres sports ?
Une recherche-action a été lancée, avec le département activité physique adaptée de l’université de Strasbourg, pour mesurer l’impact du karaté sur les femmes qui participent aux séances organisées à La Maison des femmes. Si le bénéfice est bien démontré, le modèle pourra être dupliqué à d’autres villes, dans un parcours de soin médicalisé… Mais, à d’autres sports. Nous voulons que la méthode et la pédagogie soient transposées à différentes disciplines afin que ce dispositif soit accessible à un maximum de femmes. Par ailleurs, nous souhaitons former les enseignants de clubs qui le désirent pour les sensibiliser aux violences faites aux femmes. Même si l’association s’est restructurée à la suite de mes nouvelles fonctions d’ambassadrice pour le Sport auprès du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ce programme est une vraie solution qui doit être systématique et à la portée de toutes.
Héloïse Thépaut
En attendant, des initiatives visant à faire du sport un vecteur d’insertion sociale fleurissent dans toute la France. Et ce auprès de publics très variés. Qu’il s’agisse de football en marchant pour que les personnes âgées puissent garder un lien social, de karaté pour que les femmes victimes de violence se réapproprient leur corps, ou d’athlétisme pour aider les autistes à maîtriser leurs angoisses. Un petit échantillon des nombreux projets que le JT met en exergue dans ce dossier du mois d’octobre.
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