Remettre le pain au cœur d’une boucle de producteurs, c’est redonner du sens à cet aliment qui n’a de base que le nom. De l’odeur chaude aux saveurs d’antan, il nous relie et nous transporte. Grâce à eux.
Pendant que le marketing déclare la guerre au gluten, des boulangers conscients fabriquent bien plus que notre pain quotidien. Derrière chaque fournée, un terroir. Dans leur pétrin, le savoir-faire des paysans du blé. Pied de nez à la boulangerie conventionnelle, aussi impersonnelle qu’indigeste, certains pains nourrissent le corps et l’âme. De la graine à la boutique, deux passionnés partagent leur histoire d’amour avec un aliment sacré.
C’est peut-être parce qu’il s’est installé à la frontière entre l’Aude et les Pyrénées Orientales que Roland Feuillas revendique un pain universel. À Cucugnan, l’ancien ingénieur pratique une boulangerie humaniste. « Dans notre filière, nous prétendons atteindre un certain niveau de conscience. La conscience est globale ou elle n’est pas ». Voilà pourquoi l’artisan boulanger réunit semenciers, trieurs, meuniers, ingénieurs agronomes, spécialistes de l’éthnobotanique et de la nutrition sous une même bannière. Un travail de la terre qui fait saliver à l’autre bout du monde, comme avec ce projet de micro-meunerie au Canada ou dans son École du pain qui attire chaque année des personnes en reconversion. « Le pain c’est notre histoire. Quand je lis qu’une cuisine “healthy” est une cuisine sans gluten, je me questionne sur l’état de santé de l’humanité », lance Romain Feuillas, également auteur de l’ouvrage “À la recherche du pain vivant” (éditions Actes Sud).
Pour Baptiste Chardin aussi, tout a commencé avec un changement de vie. Ex-ingénieur du son, il a ouvert la boulangerie en ligne Maurice, clin d’œil à son grand-père agriculteur. Après s’être formé auprès de paysans meuniers du Lot, il a fait le choix de produire peu pour privilégier la recherche de qualité et « rémunérer au prix juste » les artisans auprès desquels il achète ses farines. Ses mélanges de blés anciens ont déjà séduit tous les chefs cuisiniers de Toulouse.
Pas seulement parce qu’ils dorent dans l’un des derniers fours à bois de la ville mais parce que Baptiste Chardin consacre dix heures à chaque fournée contre quatre dans la boulangerie industrielle. Sans doute aussi parce qu’il y ajoute l’ingrédient qui fait le sel de tout le reste, la poésie : « Quand on travaille avec le levain, on est créateur du monde. »
« Le pain est inscrit dans l’ADN gastronomique français. Je ne l’intègre dans ma cuisine qu’à deux conditions : sa fraîcheur et sa fabrication éthique. Pour un pain que j’aime, je peux réinventer toute une carte. Et pourquoi pas, un jour, un pain au safran ? À table, le pain permet des accords de mets créatifs. »
Claude-Emmanuel Robin
Chef de L’Allée des Vignes à Cajarc, président de l’association Cajarc cité safran du Quercy.
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