Face à des métropoles qui ne cessent de croître, Rabastens fait figure de village d’irréductibles. Dans cette commune du Tarn qui attire de nouveaux habitants en quête d’un mode de vie plus sobre et moins anonyme, le collectif Rabastinois en transition a vu le jour pour préparer le territoire au dérèglement climatique.
Nicolas Caprais du collectif Rabastinois en Transition©Franck Alix/JTÀ quoi peut bien ressembler une ville en Transition ? En France, 150 communes abritent des initiatives recensées par le réseau international fondé en 2006 dans la petite ville anglaise de Totnes par Rob Hopkins, enseignant en permaculture. Celle de Rabastens, dans le Tarn, a rejoint en 2015, à l’origine d’un collectif d’habitants, ce mouvement qui incite les territoires à se préparer face au double défi du pic pétrolier et du dérèglement climatique.
Premier constat sur la promenade des Lices, sa principale artère : l’ambiance est loin de la sinistrose qui gagne les petites villes dont les centres anciens se désertifient. Ici, un café-restaurant coopératif, là une boîte à troc ou un cinéma d’art et essai… Quelques rues après, un kiosque solidaire et même un fablab, baptisé DigiTarn… Et encore, sur l’autre rive du Tarn, sur la commune voisine de Couffouleux, un collectif d’artistes autogéré nommé la Fourmilière.
Autant de lieux qui témoignent de la dynamique associative, culturelle et écologique qui règne dans le coin. Les prix affichés sur les vitrines des agences immobilières attestent, eux, de l’attractivité d’une ville qui compte aujourd’hui près de 6 000 habitants, soit 2 000 de plus qu’il y a dix ans.
En face de l’église, un imposant édifice attire l’œil. Après avoir été à l’abandon pendant 11 ans, le Pré-Vert, l’ancien hôtel-restaurant emblématique de Rabastens a retrouvé la vie depuis près d’un an. L’association La Locale, qui se présente comme un collectif de transition économique, a en effet investi cette bâtisse du XVIIIe siècle pour en faire un tiers-lieu.
40 personnes occupent au quotidien cet espace partagé : travailleurs indépendants, salariés en télétravail, artistes, associations, petites entreprises… Et ce matin, au Pré-vert, une quinzaine d’entre eux sont réunis dans le hall d’accueil à l’élégant sol en mosaïque pour le rendez-vous café mensuel, un temps d’échange convivial. Nathalie Malaterre, une des bénévoles à l’origine du projet, en profite pour présenter les nouveaux arrivants et rappeler quelques règles de vie commune. « Ici, plus qu’un hôtel d’entreprises, c’est une maison. Emparez-vous du lieu », incite-t-elle.
Une sophrologue, une tatoueuse, des illustrateurs, une styliste, des consultants en marketing ou en stratégie web, un ingénieur, une compagnie de théâtre ou une radio associative se côtoient, répartis sur les deux étages, dans les anciennes chambres d’hôtel. Parmi eux, beaucoup de néo-ruraux installés plus ou moins récemment dans les environs pour changer de vie et qui pour certains, faisaient encore quotidiennement le trajet jusqu’à Toulouse.
« Le Pré-vert permet non seulement d’économiser ces déplacements permanents, mais aussi de fixer des emplois localement et donc de dynamiser les commerces de proximité. Il suffisait d’observer l’évolution sociologique de Rabastens pour comprendre la nécessité d’un tel lieu », explique Nathalie Malaterre. Sébastien Goethals, dessinateur de bande dessinée primé au prestigieux festival d’Angoulême et résident du Pré-vert, est arrivé sur les bords du Tarn en 2017. « Tout le monde me parlait de Rabastens, c’est devenu le Brooklyn de Toulouse. Comme beaucoup, je voulais quitter la ville tout en gardant un contact et un accès rapide ; priorités qui, au bout de quelques mois, n’ont plus d’importance », s’amuse-t-il.
À moins de 100 mètres du Pré-vert, une autre enseigne incarne cet esprit ‘’Brooklyn’’, celle du Banc sonore. C’est dans ce café-restaurant coopératif qu’est né le collectif Rabastinois en transition, suite à une projection du film ‘’Demain’’, réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent, en 2015. Même s’il n’était pas présent ce jour-là, Nicolas Caprais, un des animateurs du mouvement, se souvient de la formidable effervescence qui a suivi : « Toutes les personnes convaincues de la nécessité de changer de modèle et qui souhaitaient s’engager se sont retrouvées pour réfléchir à la manière de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire, de renforcer sa résilience et de renouer avec des savoir-faire perdus. Cela bouillonnait dans tous les sens. »
Expérience zéro déchet, fête de l’économie locale, création d’une monnaie — la Rave —, projections débats, projets d’habitats participatifs — deux sont en cours à Couffouleux — journées de la transition, ateliers ‘’En route vers l’autonomie’’ pour fabriquer soi-même ses produits d’entretien et d’hygiène, cafés bricol, système d’échange local (SEL)… Une foule d’initiatives naissent alors dont certaines continuent de se dérouler au Banc sonore. Ici, on privilégie les circuits courts, on défend la culture vivante de proximité et l’on gère scrupuleusement les déchets.
Café-restaurant le Banc sonore©Franck Alix/JTSur les tables, les sets sont réutilisables et sur le comptoir, une petite caisse destinée aux grévistes en lutte contre la réforme des retraites est bien en évidence. L’été, des bacs d’incroyables comestibles sont installés sur la terrasse, pour faire pousser et mettre à disposition gratuitement fruits et légumes. « Notre volonté est que les gens qui fréquentent le lieu en soient de véritables acteurs. Nous avons une salle pour organiser des ateliers, des conférences, des réunions, des soirées de soutien… Bref, plein d’événements anticapitalistes, car le lien entre libéralisme et destruction de la planète est largement démontré », glisse Suzie Poirrier, une des gérantes de la coopérative, tout en assurant le service de midi.
Si le collectif Rabastinois en transition a pu fédérer plus de 500 personnes à son apogée, l’essoufflement se fait aujourd’hui sentir. Parmi d’autres raisons, Nicolas Caprais évoque notamment l’émergence de la théorie anxiogène de l’effondrement : « Celle-ci remet en cause le caractère positif de notre mouvement. Même si la transition reste pour moi un moyen de préparer les bouleversements en cours ». L’association continue néanmoins d’exister pour accompagner les initiatives et tisser des liens entre les habitants, principal apport de la dynamique rabastinoise selon le militant : « Je suis convaincu que le simple fait que les gens se connaissent est le premier facteur de résilience. Sur ce point, nous sommes en avance sur d’autres territoires. »
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