À l’image des astronautes qui partent en mission plusieurs mois dans une capsule exiguë, le confinement nous impose des conditions de vie éprouvante. Malgré l’expérience acquise au printemps, cette version automnale semble plus difficile à surmonter. Stéphanie Lizy-Destrez, enseignante-chercheuse à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace et spécialiste de la question des vols spatiaux habités, nous explique pourquoi.
Quelles sont les principales différences entre le premier et le deuxième confinement ?
À la différence de celui que l’on a connu au printemps, ce confinement ne ressemble plus du tout aux conditions que l’on rencontre dans les missions spatiales. Son caractère partiel induit un va et vient des gens, notamment entre leur lieu de travail et leur domicile. Paradoxalement, cela le rend plus compliqué à surmonter. Les Français ont plus de mal à le vivre. D’une part, parce que c’est le second et qu’il n’y a plus l’effet de nouveauté, mais également parce qu’ils sont victimes d’une perte de sens et d’adhésion. Nous jouons beaucoup plus avec les règles et les attestations pour sortir. Les gens respectent le confinement à la lettre, mais pas dans l’esprit.
Pourquoi cette démobilisation ?
Lors du premier confinement, les Français étaient portés par des enjeux forts. Ils se sentaient investis de missions : ne pas propager le virus et protéger la société. Cet automne, ils ont plus de mal à se les approprier. Or, c’est un facteur déterminant de succès. Quand un équipage part en mission, il est extrêmement enthousiaste et mobilisé par ses objectifs. C’est ce qui lui permet de maintenir un haut niveau d’efficacité et de performance malgré des circonstances éprouvantes. Sur ce deuxième confinement, les gens semblent plus majoritairement subir la situation. Que ce soit parce qu’ils perçoivent les mesures comme incohérentes, parce qu’ils doutent de leur efficacité ou parce qu’ils ont plus d’incertitude sur un retour rapide à des temps meilleurs.
« Les familles ont conservé un rythme finalement assez normal »
S’agit-il d’un confinement que l’on peut qualifier de désespérant ?
Plus que le premier, dans le sens où, aujourd’hui, les Français peuvent avoir l’impression que cette situation s’installe de manière plus durable. Il leur manque la perspective de l’aboutissement et le caractère exceptionnel du premier confinement. Que ce soit dans sa perception, mais également dans sa mise en œuvre. Avec les écoles qui sont restées ouvertes et le maintien d’une bonne partie de de l’activité économique, les familles ont conservé un rythme finalement assez normal. Les gens ne peuvent donc plus mettre à profit ce cadre inhabituel qui leur permettait, justement, de donner du sens à leur confinement : se retrouver en famille, renouer avec des hobbies, se lancer des défis personnels…
Le sens, c’est la clé ?
Oui, en tant qu’êtres humains, c’est une nécessité fondamentale. Chaque mission spatiale est unique et a ses propres enjeux. C’est un des facteurs de neutralisation de la routine. Il est important de s’en inspirer en période de confinement. Mais nous avons d’autres besoins tout aussi nécessaires. Comme maintenir des interactions sociales (c’est pourquoi il vaut mieux alterner télétravail et présentiel plutôt qu’être 100% du temps chez soi) ou rester maître de sa conception du temps. Pour qu’un individu puisse surmonter au mieux une épreuve, il a besoin de savoir quand celle-ci prend fin. Peu importe qu’elle dure deux heures ou huit mois. Cela lui permet de s’organiser et de se préparer, mentalement et psychiquement.
« Les Français supporteraient plus facilement un long confinement bien défini »
Il serait donc plus facile de supporter un gros confinement que des micro-confinements reconductibles ?
En théorie, oui. Les Français supporteraient plus facilement un long confinement bien défini, plutôt que de se retrouver dans un entre deux. On constate d’ailleurs que la période estivale et les vacances n’ont pas rempli leur fonction régénératrice. C’est un peu comme si l’on n’avait jamais quitté tout a fait le confinement. Il n’y a pas eu de remise à zéro, les gens sont restés dans cette problématique tout l’été. Finalement, c’est un peu comme si nous avions abordé ce nouveau confinement, directement dans le creux de la vague. Les gens sont abasourdis et déprimés.
N’est-ce pas normal d’être affecté par le confinement ?
Si, mais les études que nous avons menées sur l’impact du confinement durant les vols spatiaux habités nous ont permis de mettre en évidence que les sujets passent par trois phases successives et égales dans le temps. Tout d’abord, une période de sur-motivation et d’enthousiasme ou les personnes mobilisent fortement leurs compétences, puis une phase d’usure et d’ennui avant de retrouver un regain d’énergie en fin de mission. Sur ce deuxième confinement, les gens ne semblent pas être passés par cet premier temps où l’on souhaite mettre à profit la situation. Il y a une forme de résignation. Le fait que ces nouvelles restrictions sanitaires interviennent à l’automne, au moment ou les jours raccourcissent et la lumière diminue, pèse également sur le moral.
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