Collectes, distributions de repas pour les plus démunis, soutien aux soignants… Pendant le confinement, les réseaux sociaux, habituellement accusés de dégrader le lien social, ont été le théâtre de nombreuses initiatives d’entraide. Alain Kiyindou, professeur des universités et directeur du laboratoire Médiations, informations, communication et arts à l’Université Bordeaux-Montaigne décrypte le phénomène de nos pratiques solidaires en ligne.
Généralement accusés de dégrader le lien social, les réseaux sociaux se sont-ils avérés, au contraire, un vecteur de relation, de solidarité et d’entraide, pendant le confinement ?
Ce que l’on appelle communément “les réseaux sociaux” sont, en fait, les réseaux sociaux numériques. Tout d’abord, nous ne pouvons pas affirmer de manière péremptoire que ces derniers sont un facteur de désocialisation, même s’il est indéniable qu’ils ont un impact considérable sur le lien social. En réalité, comme tout les outils, ils sont capables du pire comme du meilleur. Tout dépend de l’usage que l’on en fait. Toutefois, il faut reconnaître qu’il ne s’agit pas d’un outil tout a fait neutre. Les réseaux sociaux sont, avant tout, un instrument marketing et un lieu de mise en scène de soi. Ce qui, a priori, exclut la dimension collective et solidaire. Mais cette représentation est lacunaire. Il existe de nombreux autres usages, notamment d’expression de la solidarité, qui n’ont pas attendu le Covid pour apparaître.
Quelles sont les pratiques solidaires ”traditionnelles” sur les réseaux sociaux ?
En premier lieu, nous pouvons citer le financement participatif, le crowdfounding, qui a permis à de nombreuses personnes de contribuer au développement de projets qui ne les concernaient pas de prime abord. Qu’ils soient culturels, de recherche, entrepreneuriaux ou solidaires. C’est le cas, par exemple, des cagnottes qui sont lancées après une catastrophe ou un drame. Grâce aux réseaux sociaux, une personne dont la maison a brûlé peut lancer un appel à la solidarité qui peut avoir une portée internationale. De même, certains utilisent les réseaux sociaux pour partager leur douleur suite à la perte d’un proche. Ils s’en servent comme d’un lieu commémoratif virtuel pour entretenir la mémoire d’une personne.
Quelles sont celles que l’on a vu apparaître lors du confinement ?
Lors du premier confinement, nous avons surtout vu apparaître énormément d’actions en faveur des soignants. Des propositions de garde d’enfants, de livraison de repas et, même, d’hébergements gratuits. Il y a eu également des hashtags d’encouragement pour les applaudir à 20 heures ou pour relayer des demandes émanant de leur part ou de personnes vulnérables. Les réseaux sociaux ont également permis de relayer des initiatives venant de personnes qui fabriquaient des masques ou qui proposaient du troc solidaire ainsi que des actions d’écoute pour les plus isolés. De manière générale, on retrouve sur les réseaux sociaux tous les champs et toutes les dimensions de la solidarité traditionnelle. Avec beaucoup de propositions liées à la vie quotidienne comme aider quelqu’un à aller faire ses courses, s’occuper des animaux domestiques ou imprimer des attestations pour les gens qui n’ont pas d’imprimante. Il est impossible d’être exhaustif sur tout le catalogue d’aides que l’on peut trouver. Il y en a beaucoup plus que nous pouvons l’imaginer.
« Le gros point fort des réseaux sociaux numériques, c’est leur maniabilité et leur accessibilité »
Qu’est-ce qui rend les réseaux sociaux aussi pertinents dans ce type de démarches ?
Le gros point fort des réseaux sociaux numériques, c’est leur maniabilité et leur accessibilité. Pour les utiliser, il suffit de télécharger une application sur un téléphone portable. À la différence d’un site internet qui est fastidieux à développer ou à actualiser, les réseaux sociaux sont très faciles à manier. Ils ne requièrent pas de compétences particulières, ni pour l’émetteur de l’information, ni pour son destinataire.
C’est une forme de communication dont la mise en œuvre nécessite peu de technologie et représente un faible coût financier et intellectuel. Par ailleurs, les usagers profitent de la force de frappe marketing des géants du numérique. Sans ces plateformes, ces derniers devraient se battre pour être référencés sur Internet et, finalement, risqueraient d’être invisibles.
Certains réseaux sociaux numériques sont-ils plus adaptés que d’autres au démarches solidaires ?
Cela dépend tout d’abord de l’objectif et de la cible que l’on cherche à toucher. Il est important de choisir l’outil adapté. Parfois, c’est même la communication traditionnelle qui va être la plus appropriée. Par exemple, si je veux mobiliser mon voisinage, c’est le porte-à-porte et le bouche à oreille qui vont être les plus efficaces, car ce groupe social n’existe pas en tant que tel sur Facebook ou WhatsApp. Si je souhaite mobiliser mon entourage, mes amis ou des connaissances, c’est WhatsApp qui sera le plus pertinent.
Enfin, Facebook est très utile pour communiquer au delà de ces cercles et s’adresser aux amis de nos amis. Grâce à un effet boule de neige, cette application permet d’élargir notre communauté.
Quels sont les réseaux sociaux privilégiés pour mobiliser ?
En France, nous avons tendance à considérer que la solidarité s’exprime principalement sur Facebook, mais c’est parce qu’elle a une dimension publique. L’accès à cette solidarité y est, en général, anonyme et ouvert à tous. En revanche, sur WatsApp la solidarité s’exprime à travers des groupes clos, entre personnes ayant déjà des liens, et n’est donc pas nécessairement visible alors qu’elle est significative.
« À la sortie de cette crise, nous aurons appris quelque chose »
Quelles sont les conditions qui favorisent la mobilisation ?
Nous pouvons affirmer qu’une mobilisation est réussie quand un appel sur les réseaux sociaux numériques vient se superposer à une communauté existante, qui a déjà une tradition de solidarité. Par exemple la famille, une communauté religieuse ou le voisinage.
Ce développement des pratiques solidaires sur les réseaux sociaux est-elle une mutation pérenne ?
Les périodes de crise sont des moments ou les personnes s’interrogent sur le sens de leur vie. Elles ressentent de manière plus prégnante la nécessité de faire quelques chose de responsable, de prendre part à la résolution collective de la situation. Les réseaux sociaux ont grandement contribué à cette prise de conscience. Il semble évident que la pandémie va nous marquer à jamais et changer nos habitudes. Cet élan de solidarité ne va pas disparaître brusquement, même s’il n’aura plus la même ampleur quand la situation sera revenue à la normale. Mais, une bonne partie de la population qui a découvert cet engagement solidaire conservera quelque chose de ces pratiques. À la sortie de cette crise, nous aurons appris quelque chose.
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