Économiques, sociales, démographiques… Le réchauffement de la planète aura de nombreuses répercussions sur nos modes de vie. Violaine Lepousez, spécialiste des risques climatiques, dresse le panorama non exhaustif de ce qui devrait nous arriver dans les prochaines décennies. ©Violaine Lepousez
« Le dérèglement va impacter notre confort, notre santé, notre capacité à nous nourrir, à réfléchir et à travailler », prévient, pour commencer, Violaine Lepousez, qui analyse les risques climatiques au sein du cabinet de conseil Carbone 4, pionnier en la matière. Elle mène ses études en partant du principe que « le climat de 2050 est déjà embarqué. C’est demain. Quelles que soit nos réductions de gaz à effet de serre, nous serons à plus deux degrés par rapport à la température moyenne de l’ère préindustrielle ».
À cette date, le nombre des tempêtes, des inondations ou des épisodes de sécheresse, qui a triplé ces trente dernières années, n’aura cessé d’augmenter. Ainsi, alors que le montant des pertes dues aux catastrophes naturelles a atteint 1,6 milliard d’euros en France en 2019, la caisse centrale de réassurance (qui couvre les risques exceptionnels des sociétés d’assurance) estime que celui-ci progressera d’un tiers d’ici le milieu du siècle. « Et il ne s’agit que des coûts directs, qui sont la partie émergée de l’iceberg. En réalité, les impacts sont transversaux, sur l’ensemble de la chaîne de valeur », prévient Violaine Lepousez.
Elle prend l’exemple d’une entreprise pharmaceutique qui ne pourra plus avoir accès à telle ou telle plante produite dans une zone du monde dévastée, ou de circuits d’approvisionnement totalement interrompus, comme ce fut le cas, l’été dernier, avec la baisse du niveau du Rhin, qui a paralysé les échanges commerciaux dans ce bassin économique de premier plan. « Les périodes de chômage technique vont se multiplier faute de matière première disponible. Les chantiers de construction seront de plus en plus souvent suspendus à cause de la chaleur. Et il y aura des changements d’horaires de travail dans des secteurs entiers », à l’image de ce qui se passe, de nos jours, à Dubaï, dans les Émirats arabes unis, où les avions décollent majoritairement durant la nuit. D’autres conséquences sont à prévoir dans le domaine énergétique : « Nos capacités de production d’électricité seront mises à mal en période de sécheresse, car il n’y aura pas suffisamment d’eau pour refroidir les installations. Cela entraînera des limitations de consommation en plein été. »
Le secteur agricole sera parmi les plus touchés : « Produirons-nous encore du maïs dans le Sud-Ouest et toujours le même vin à Bordeaux ? Rien n’est moins sûr. Déjà, les viticulteurs ont échangé leurs cépages pour de plus résistants. » La question de l’approvisionnement alimentaire est centrale, aux yeux de la spécialiste, qui doute que l’on puisse maintenir le système mondialisé actuel : « Nous consommerons davantage de fruits et légumes locaux, cultivés notamment en agroforesterie, de manière résiliente. »
Certaines zones ne seront tout simplement plus exploitables, telle celle du bassin d’Adour-Garonne, dont le débit devrait se réduire de moitié d’ici trente ans. Les restrictions d’eau se multiplieront, autant pour les particuliers que pour les professionnels. Violaine Lepousez évoque aussi l’augmentation des épisodes météorologiques extrêmes, qui détruiront des récoltes et provoqueront des pénuries à l’échelle mondiale. « Dans les régions où les problèmes se cumulent, comme le Sahel, la population partira ailleurs. On parle de centaines de millions de réfugiés climatiques potentiels ».
Enfin, notre santé sera impactée par la hausse de la fréquence des pics de pollutions ainsi que par l’arrivée d’insectes vecteurs de maladie, comme les tiques ou les moustiques. Ces derniers, qui transmettent la dengue, « vont trouver des conditions tout à fait favorables en Europe ».
Pour imaginer le monde au-delà de 2050, Violaine Lepousez se base sur le RCP 8,5, le scénario le plus pessimiste du Giec, « qui correspond au niveau actuel de nos émissions ». L’augmentation des températures dépasserait alors largement les deux degrés. « C’est un seuil à partir duquel les scientifiques ne savent plus trop à quoi s’attendre. Il peut y avoir un emballement, à cause des boucles de rétroactions », précise-t-elle. Elle évoque des combinaisons de facteurs qui démultiplient les émissions.
Par exemple, le réchauffement fait aujourd’hui fondre le pergélisol en Arctique, ce qui va libérer d’énormes quantités de méthane, une molécule à l’effet de serre 25 fois plus important que celui du gaz carbonique. « On ignore comment vont réagir nos écosystèmes à une telle accélération. Toutes les espèces ne pourront pas suivre le rythme. » Et l’experte de citer, en guise d’avertissement et de conclusion, les propos d’Henri de Castries, le PDG d’Axa, lors de la Cop21 de Paris en 2015 : « Un monde plus chaud de quatre degrés sera impossible à assurer. »
Violaine Lepousez est ingénieure, expertes des risques liés aux impacts du changement climatique au sein du cabinet de conseil Carbone 4. Indépendant, celui-ci est spécialisé dans la stratégie bas carbone et l’adaptation au dérèglement.
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