Si l’on a coutume de dire que le sport est vertueux, qu’il est « école de la vie », qu’il est un formidable outil d’insertion, il convient de nuancer l’adage. De quelles valeurs parle-t-on ? Et surtout, comment faire en sorte que l’activité physique devienne un vecteur d’inclusion sociale ? Car, contrairement à ce que l’on peut communément penser, cela ne va pas de soi…
34 % des Français disent n’exercer aucune activité physique selon le dernier “Baromètre national des pratiques sportives” réalisé en 2018 par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc). Pour Arnaud Jean, président de l’Ufolep (association sportive affinitaire de la Ligue de l’enseignement) qui compte plus de 380 000 licenciés dans l’Hexagone, c’est la preuve que le sport n’est pas inclusif par essence. Il peut même s’avérer excluant. « Par manque d’installations disponibles, par l’inadaptation des sports à certains publics, par une image véhiculée par les médias qui ne font référence qu’au sport-compétition… De nombreuses personnes estiment que l’activité physique n’est pas faite pour elles », constate-t-il.
Une opinion partagée par François Le Yondre, sociologue du sport et maître de conférence à l’université Rennes 2 : « Le sport n’est qu’une activité sociale autour de laquelle se tisse des relations. Ces dernières pouvant être inclusives ou, au contraire, excluantes. » Lorsque le sport n’est considéré qu’en termes de compétition, il induit l’affrontement, l’échec, la rivalité, la comparaison avec l’autre. Il peut alors distinguer, discriminer, diviser, classer.
« Le sport n’est rien en soi, seule son utilisation produit des effets sociaux négatifs ou positifs », poursuit le sociologue. Ainsi, le sport ne devient vecteur d’insertion que s’il est employé comme tel. Encore faut-il avoir conscience du processus par lequel l’activité physique conduit un individu à s’épanouir. Comme l’a remarqué François Le Yondre dans ses travaux, même utilisé à bon escient, le sport peut avoir des effets pervers.
Dans certains stages à destination de chômeurs de longue durée, les concepteurs des programmes ont choisi la pratique de sports d’endurance, aquatiques, de la musculation ou encore de la course à pied, dans l’objectif de ramener les participants vers l’autonomie et la responsabilité d’eux-mêmes. « Même si la démarche est louable, elle est finalement stigmatisante, car les organisateurs sont partis du principe que le public ciblé était donc dépourvus de ces valeurs », précise le sociologue.
Ainsi, pour que le sport arbore une dimension inclusive, il convient d’abord d’identifier les objectifs éducatifs à atteindre et de bien connaître des difficultés du public concerné. « Nous n’utiliserons pas la même discipline si le but est de développer la confiance en soi, de donner accès au sport à tous, ou encore d’améliorer son rapport au corps », explique Arnaud Jean qui veille à ce que les programmes d’insertion proposés par l’Ufolep soient réellement pertinents. « De même, une activité n’aura pas la même efficacité selon qu’il s’agisse d’un travail mené auprès de jeunes déscolarisés, de réfugiés, de prisonniers ou de femmes battues », poursuit-il.
Et le sociologue de mettre l’accent sur l’importance des conditions de la pratique. « En effet, la manière dont un animateur sportif transmet des valeurs, des règles ou des aptitudes est capitale dans un processus d’insertion sociale », assure-t-il. « Il est primordial que les encadrants aient conscience de ce qui se joue durant leurs séances », estime François Le Yondre.
Ce qui est rarement le cas, comme le déplore le président de l’Ufolep. « La plupart des éducateurs sportifs sont uniquement formés à la pratique de leur discipline, mais pas à la dimension sociale de leur rôle », regrette-t-il. Selon lui, ne pas connaître les spécificités des publics avec lesquels ils travaillent peut s’avérer contre-productif. C’est pour cela que l’Ufolep s’apprête à lancer un diplôme d’éducateur sociosportif. Un nouveau métier qui permettrait d’utiliser, de manière plus pertinente, le sport en tant qu’outil d’éducation et d’insertion. « Cette filière assurerait la formation de professionnels qui développeraient des compétences de travailleurs sociaux et d’animateurs sportifs », se félicite Arnaud Jean.
En attendant, des initiatives visant à faire du sport un vecteur d’insertion sociale fleurissent dans toute la France. Et ce auprès de publics très variés. Qu’il s’agisse de football en marchant pour que les personnes âgées puissent garder un lien social, de karaté pour que les femmes victimes de violence se réapproprient leur corps, ou d’athlétisme pour aider les autistes à maîtriser leurs angoisses. Un petit échantillon des nombreux projets que le JT met en exergue dans ce dossier du mois d’octobre.
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