La technologie sauvera-t-elle l’humanité du désastre écologique annoncé ? Dans le monde, certains transhumanistes y croient dur comme fer et élaborent des scénarios de science-fiction. Chirurgien dentiste à Lille et membre de l’Association française transhumaniste, Antoine Viseur défend une vision plus raisonnable de ce courant de pensée controversé.
Antoine Viseur« Pourquoi les choses sont ce qu’elles sont ? » Ce raisonnement caractéristique de l’enfance, Antoine Viseur ne s’en est jamais réellement départi. Il y a de cela six ans, il a même découvert la théorie lui permettant de mettre un mot sur sa pensée : le transhumanisme. Pour définir ce terme qui nourrit implacablement une foule de fantasmes, d’espoirs et de peurs, le jeune homme de 28 ans renvoie à ces quelques lignes du site Wikipedia, qu’il juge satisfaisantes : « Il s’agit d’un mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer la condition humaine. »
Dans un monde où le dérèglement climatique menace justement cette dernière, la théorie attire toujours plus d’adeptes. Dans la Silicon Valley notamment, on mise gros sur la puissance salvatrice de la technologie. On y imagine un futur de science-fiction dans lequel l’Homme, doté d’un exosquelette intelligent et de puces dans le cerveau, sera plus performant et pourra, par exemple, voir dans l’obscurité ou ne plus connaître la fatigue. En attendant, Antoine Viseur, lui, implante des prothèses. Il est chirurgien dentiste à Lille. Un métier qui lui sert d’exemple pour vulgariser le concept. « Porter un implant dentaire ou des lunettes est déjà une forme de transhumanisme », développe le correspondant pour la région Hauts-de-France de l’Association française transhumaniste (AFT).
Dans l’univers hétérogène du transhumanisme, l’AFT appartient au courant considéré comme le plus sage. Se qualifiant de technoprogressiste, elle défend une vision du progrès technique au service de l’humain et de l’écologie. « Nous sommes conscients des dérives possibles de la théorie. Plus une technologie est puissante, plus elle est potentiellement dangereuse. Notre objectif est donc de lancer le débat pour que la société puisse décider, en toute connaissance de cause, de l’utilisation qu’elle souhaite en faire », avance Antoine Viseur. Ainsi, face aux projets privés d’un Elon Musk, ingénieur et entrepreneur milliardaire, qui planche, entre autres, sur la navigation sur Internet par la pensée, l’AFT appelle plutôt à l’augmentation des moyens de la recherche publique afin qu’elle bénéficie au plus grand nombre.
De même, les transhumanistes technoprogressistes ne se conçoivent que dans un développement véritablement durable. L’association vient donc, à ce titre, de produire un manifeste dans lequel elle avance ses propositions pour enrayer le réchauffement climatique et la chute de la biodiversité. Celui-ci prône la décroissance du recours aux ressources non renouvelables, l’accroissement de la capacité de stockage de celles qui le sont, le développement de la robotisation pour des cultures ciblées et de la recherche sur la nourriture in vitro afin de se passer des élevages, l’utilisation efficace de l’intelligence artificielle et des imprimantes 3D ou encore la restriction des pratiques commerciales encourageant à la surconsommation. « L’enjeu nécessite un changement des comportements en profondeur. Il ne s’agit pas seulement de s’améliorer sur le plan biologique et technologique, mais aussi moral », précise le chirurgien.
Selon ce mouvement, l’éducation a ainsi un rôle prépondérant à jouer, notamment dans la libération de la condition des femmes, « premier levier pour lutter contre la surpopulation ». Tout comme les neurosciences : « Il y a dans la société des comportements de prédation qui sont des vestiges préhistoriques n’ayant plus de sens de nos jours. Dans un futur lointain, il est possible d’imaginer des implants neurologiques pour faire baisser l’agressivité. » Si la perspective peut paraître aujourd’hui insensée, Antoine Viseur assure que la vitesse à laquelle se font les progrès invite à remettre en cause en permanence les certitudes du moment. Un exercice vertigineux de curiosité intellectuelle qu’il s’applique au quotidien dans sa vie personnelle, qu’il s’agisse de parer à une éventuelle infertilité ou d’envisager sa mort : « Tout est plus facile quand on y a déjà réfléchi. Lorsque l’on est pris de court, on fait souvent les mauvais choix. »
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