Une personne sur cinq sera sujette à un trouble anxieux ou dépressif au cours de sa vie. En voici les causes, les effets et les conséquences.
Il ne faut pas confondre mal-être et malheur. « On peut se porter à merveille, tout en étant parfaitement malheureux », lance Michel Debout, psychiatre et professeur de médecine légale au CHU de Saint-Étienne. Il s’intéresse à la santé mentale de la population, que la crise sanitaire a fortement impactée. À 78 %, la proportion de Français se déclarant actuellement satisfaits de leur vie est en recul de 6 points par rapport à 2019, selon les chiffres du mois de juin dernier de Santé publique France. Ils sont 19 % à souffrir d’un état anxieux et 15 % d’un état dépressif, soit globalement 5 % de plus qu’avant l’apparition de l’épidémie. Les raisons de cette dégradation sont multiples. « De l’anxiété liée à la transmission du virus, à l’impact psychologique des confinements et de l’auto-isolement, aux conséquences liées au chômage, aux difficultés financières et à l’exclusion sociale, (…), tout le monde est affecté d’une manière ou d’une autre », estime l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un communiqué publié en juillet dernier. Michel Debout, spécialiste du suicide, qui a publié cette année Le journal incorrect d’un légiste, confirme cette impression d’« inquiétude généralisée ».
Crise sanitaire, dérèglement climatique, effondrement de la biodiversité… « Nous sommes plongés dans l’incertitude, et nous avons le sentiment d’être impuissants. C’est ce qu’il y a de pire pour la santé mentale. Car nous ne savons pas comment faire face ni contre quoi nous battre », explique Michel Debout. Par ailleurs, ce dernier identifie dans notre modèle de société de nombreuses sources de souffrances psychologiques. « Le système capitaliste encourage l’individualisme et donc le repli sur soi ; avec le chômage de masse, des millions de personnes se sentent inutiles ; l’inégalité entre riches et pauvres provoque un profond sentiment d’injustice ; les chaînes d’info en continu et les réseaux sociaux nous envahissent, en faisant appel à nos émotions, plutôt qu’à notre raison ». À cela s’ajoute les vicissitudes de la vie de chacun, ruptures amoureuses, tensions professionnelles, conflits familiaux… Collectives ou individuelles, les sources d’anxiété sont innombrables.
L’anxiété se manifeste sous diverses formes : sensation d’étouffement ou d’étranglement, palpitations ou accélération du rythme cardiaque, augmentation de la transpiration ou troubles du sommeil, vertiges ou nausées. Plusieurs régions cérébrales sont impliquées dans le phénomène : « Le cortex insulaire et l’amygdale sont suractivés chez les patients », indique les chercheurs de l’Inserm. Des neurotransmetteurs sont également incriminés, tout comme la sérotonine qui régule leur activité. « Néanmoins, les mécanismes à l’origine des dérèglements qui font basculer de l’anxiété physiologique aux troubles anxieux pathologiques restent encore à découvrir », indique l’Institut. Ceux-ci sont l’anxiété généralisée, le trouble panique, le trouble d’anxiété sociale ou de séparation, ainsi que certaines phobies spécifiques, comme l’agoraphobie. Selon la Haute autorité de santé, une personne sur cinq sera victime de l’un de ses troubles au cours de sa vie.
Cette statistique est identique pour la dépression, qui est fortement corrélée à l’anxiété. « Ceux qui en souffrent se dévalorisent, ils perdent le goût des choses, le sommeil, leur confiance en eux et leurs espoirs. Il ont tendance à se replier sur eux-mêmes et nourrissent des idées noires », décrit Michel Debout. Les cas les plus extrêmes plongent dans ce que l’on appelle la dépression mélancolique, « une pathologie sévère avec des bouffées délirantes, qui relève des urgences psychiatriques ». « Le patient se déteste lui-même. Il a des sentiments tellement négatifs qu’il peut devenir violent, envers lui et les autres. Il considère que la seule issue est la mort », explique le spécialiste. Chaque année, en France, près de 10 000 personnes dépressives mettent fin à leurs jours et plus de 175 000 font une tentative de suicide.
Les femmes sont en moyenne deux fois plus sujettes que les hommes à l’anxiété ou à la dépression, toujours selon les autorités sanitaires. « Une différence qui peut s’expliquer par la différence des positions sociales selon le sexe ou par le fait que les hommes sont moins enclins à admettre une dépression ». Les personnes aux plus faibles revenus et la tranche d’âge de 25 à 44 ans sont les plus exposés. Bien que l’on constate des troubles anxieux ou dépressifs à tous les âges de la vie, y compris chez le jeune enfant, comme l’illustre l’affluence dans les services pédopsychiatriques depuis le début de l’épidémie de Covid-19.
Hygiène de vie, méditation, communication non-violente, médecines douces, psychanalyse, thérapie comportementale ou traitement médicamenteux : il existe de très nombreuses méthodes pour apaiser ces troubles et autant de spécialistes. « Quelle qu’en soit la forme, ce qui est essentiel dans la prise en charge, c’est la disponibilité que le praticien manifeste à son patient : en l’écoutant, il lui dit qu’il a de l’importance. Et en lui donnant rendez-vous pour une prochaine séance, il lui dit qu’il a confiance dans sa capacité de vivre », souligne Michel Debout. Celui-ci considère que « la santé mentale devrait être au cœur de toutes les politiques publiques ». Il rappelle que l’OMS définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ».
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