Les tissus jacquard sont frugaux. Leurs motifs, en fils croisés, ne nécessitent pas de teinture ou d’impression d’encre, deux procédés très polluants. Les Tissages de Charlieu, géant français du jacquard, ont décidé d’aller plus loin, en utilisant du coton bio et en respectant une charte éthique sociale et sociétale.
Qu’il s’agisse d’un vêtement de luxe produit par le groupe LVMH ou de son cousin populaire de la marque low cost Zara, il y a de fortes chances pour que l’habit ait été tissé à Charlieu, dans la Loire. 70 salariés travaillent autour de 80 métiers à tisser pour concevoir 800 nouveaux tissus chaque mois. La spécialité des Tissages de Charlieu (LTC), c’est le jacquard. Cette technique, inventée par Joseph-Marie Jacquard en 1801 a révolutionné le monde du tissu. Elle fut très mal reçue par les ouvriers de la soie, car, automatisée, elle les a privés d’une grande partie de leur activité. En revanche, le métier à tisser permet d’industrialiser la création de motifs par simple croisement de fils. Il n’est plus nécessaire de teindre un vêtement ou d’y imprimer de l’encre, deux procédés très polluants.
LTC disposait donc d’une bonne assise. Restait un problème épineux, celui de la provenance des textiles. Le coton en particulier, en plus de sa consommation d’eau, représente 25 % des pesticides déversés sur la planète et 45 % des matières premières utilisées par l’entreprise. « C’est pour cela que nous fournissons un effort important pour augmenter la part du coton bio dans notre chiffre d’affaires. Elle est aujourd’hui à 15% », explique Eric Boël, qui gère Les tissages de Charlieu depuis plus de vingt ans. Un effort louable quand on sait que le coton recyclé coûte en moyenne 20 à 30 % plus cher. « Le développement durable inclut l’idée de rentabilité. Nous ne sommes pas des ayatollahs du bio, il est aussi important de préserver la santé de l’entreprise », argue Eric Boël.
L’homme montre également sa bonne volonté en créant, avec un collectif de PME, le réseau AlterTex. Cette filière propose aux adhérents d’afficher la couleur sur leurs vêtements. Pour ce faire, elle a conçu une échelle de mesure des pollutions induites par leur fabrication. Trois indicateurs sont pris en compte : les émissions de CO2, la consommation d’eau et la pollution aquatique. En découle un score de A à E, comme pour les logements ou les automobiles : « L’idée, c’est qu’en adhérent à AlterTex, on participe à mettre en valeur un textile français qui répond à des normes environnementales et sociales très strictes. » Ces normes sont définies dans une charte dont l’engagement numéro un est de produire au moins 20 % de ses articles avec des tissus durables (biologiques, équitables ou recyclés).
Le quatrième point de la charte incite à “respecter une éthique sociale et sociétale”. «LTC est une entreprise partagée. C’est-àdire qu’elle doit être porteuse d’épanouissement humain», décrit Eric Boël. Le dirigeant affirme distribuer 25 % de ses résultats avant impôts à ses collaborateurs chaque année. Douze de ses salariés ont pu opter pour le télétravail. Douze, c’est aussi, en pourcentage ,la proportion de travailleurs handicapés à Charlieu, quand la loi en exige six. « Notre électricité est propre également, puisqu’elle provient exclusivement des barrages de Savoie », poursuit le dirigeant.
Reste que la majorité des cotons utilisés par Les Tissages de Charlieu vient encore de très loin et que le coton traditionnel représente la plus grande partie des stocks. « C’est un travail de longue haleine. Plus le bio et l’éthique seront mis en valeur, plus ils seront consommés. Plus ils seront consommés, moins ils seront chers, et donc viables économiquement », conclut Eric Boël.
Gabriel Haurillon
Photo : Tissages de Charlieu