Synonyme de luxe et de terroir, la truffe est un trésor de la nature et de la gastronomie. Elle incarne à merveille la cuisine simple et gourmande du Sud-Ouest. Diamant noir et occitan, celle du Périgord se déguste.
« Si j’avais un fils à marier, je lui dirais : “Méfie-toi de la jeune fille qui n’aime ni le vin, ni la truffe, ni la musique” », prévenait Colette, qui séjourna à Curemonte, en Corrèze, où l’on apprécie de manger truffé. Le diamant noir, à l’odeur et à la saveur incomparables, est symbole d’art de vivre épicurien et d’agapes culinaires. Mais aussi de mystère, car le précieux tubercule est le fruit d’une délicate alchimie terrienne et végétale, l’objet de guerres de chapelles sans fin — la meilleure truffe vient-elle du Périgord ou du Vaucluse ? – et de rituels hautement réglementés, jusqu’à finir dans l’assiette des gourmets.
Tuber melanosporum, ordre des Pezizales, famille des Tuberaceae, genre Tuber, est le résultat de la fructification d’un champignon ascomycète ectomycorhizien hypogé, symbiotique d’un arbre dit truffier tel qu’un chêne, un noisetier, un tilleul ou un charme. Ce fruit comestible naît dans les sols calcaires et se présente sous une forme globuleuse dont l’odeur caractéristique est liée à un thioéther appelé bis(méthylthio)méthane.
Après avoir grossi à l’abri des regards, la truffe se révèle en hiver grâce au flair des chiens et cochons rabasseurs et à l’oeil humain averti qui repère le « brûlé » — le fameux « rond de sorcière » — sous les arbres, le mycélium du champignon ayant un effet antibiotique. Mais la truffe reste mystérieuse : les chercheurs du CNRS se sont penchés sur son énigmatique sexualité avec une mère qui porte les spores comestibles et un père fécondant mais furtif détecté seulement par génotypage… Sa culture est donc empirique, basée sur la mycorhization d’arbres sur un terroir adapté et un soin méticuleux du sol… Mais surtout sur la bonne volonté de Dame Nature. « Le génie dans les arts et la truffe dans les champs s’affranchissent des règles de la culture ; on les trouve sans pouvoir les reproduire » constatait le Suisse Jean Antoine Petit, dit John Petit-Senn en 1846…
La truffe est donc affaire de terroirs et d’Histoire. En 1880, la France récoltait, selon Adolphe Chatin, quelque 1300 tonnes de Tuber melanosporum, originaires pour deux tiers du Sud-Est et un tiers du Sud-Ouest, mais la production s’est effondrée. Aujourd’hui, sa moyenne annuelle est d’environ 20 tonnes, essentiellement dans la Drôme, le Vaucluse et les Alpes de Haute Provence, et un peu dans le Lot et en Dordogne. Tuber melanosporum, couramment appelée truffe noire du Périgord mérite donc aussi son nom de truffe noire de Provence ou du Tricastin.
À ne pas confondre avec la truffe brumale ou musquée (Tuber brumale), la truffe blanche d’été (Tuber aestivum), la truffe de Bourgogne (Tuber uncinatum), ou les Tuber rufum, mesentericum ou excavatum, et encore moins avec l’insipide truffe de Chine (Tuber indicum)… Il reste que « le monde de la truffe est plus secret que l’organisation des Renseignements généraux » disait Peter Mayle dans son livre « Une année en Provence ».
Très codifié, ce monde s’articule autour de marchés officiels, les plus courus et approvisionnés de novembre à mars étant ceux de Richerenches, Carpentras, Lalbenque ou Limogne-en-Quercy et Uzès — qui dédie le mois de janvier au précieux tubercule avec notamment une somptueuse Fête de la truffe à Uzès le troisième week-end —, de cours très officiels (500 à 1000 euros le kilo), mais aussi de ventes “au cul du camion”.
Au coeur du Périgord noir, noir comme la truffe, mais avant tout comme le feuillage du chêne vert (et truffier), Sarlat est une jolie petite “Ville d’art et d’histoire”, avec son architecture médiévale de pierres dorées, sa Lanterne des morts du XIIe siècle, la maison natale de La Boëtie, l’ancienne église Sainte-Marie métamorphosée par Jean Nouvel et ses ruelles pavées bordées d’hôtels particuliers aux fenêtres à meneaux qui content autant d’histoires qu’il y a de châteaux dans la contrée. Dans ce terroir à Tuber melanosporum, là où le canard et l’oie dictent leurs lois, où les miques gonflent sous les édredons et où les croustous réinventent les tapas, a lieu fin janvier une très gastronomique Fête de la truffe, accolée comme il se doit à un marché officiel.
Ces jours dédiés au diamant noir sont l’occasion d’accueillir les lauréats du Bocuse d’Or et une “Académie culinaire du foie gras et de la truffe” et de récompenser les jeunes talents du trophée Jean Rougié.
Aux côtés du Périgord, suivi par le Lot ou le Tarn-et-Garonne et ses producteurs reconnus tels Pebeyre ou Gaillard, l’Aude perpétue les traditions des anciens qui cavaient entre Clape, Cabardès, Malepère et Corbières. Depuis 1975, près de 650 trufficulteurs audois ont planté plus de 700 hectares d’arbres truffiers adaptés au climat méditerranéen, chênes verts pubescents, kermès et même cyprès et pins d’Alep. Alors que les marchés réglementés de Moussoulens, Talairan et Villeneuve Minervois gagnent en notoriété, les initiatives se multiplient : stage et atelier truffe au Mas d’Antonin à Argeliers, bar à truffe et à vins de Philippe Barrière à Carcassonne et une Maison et musée de la truffe d’Occitanie à Villeneuve-Minervois. Riche de sa longue tradition trufficole, le grand Sud-Ouest n’a pas dit son dernier mot.
Servie marinée dans une sauce de gingembre et de cannelle par les Romains, appréciée par les Papes d’Avignon à la Renaissance, la truffe a véritablement acquis ses lettres de noblesse gastronomique avec Brillat-Savarin, qui écrivait en 1825 : « On peut regarder comme certain que la truffe est un aliment aussi sain qu’agréable, et qui, pris avec modération, passe comme une lettre à la poste. » Il ne fait pas de doute que ses nobles arômes s’accommodent le mieux de simplicité, mais surtout de gras, comme une omelette ou une purée truffée. Sans oublier les célèbres soupes Valéry Giscard d’Estaing ou poularde demi-deuil de Bocuse.