Si vous traversez le département de l’Aveyron, et plus particulièrement le village de Roquefort-sur-Soulzon, vous pourrez apercevoir les seules usines autorisées à fabriquer le fromage du même nom. Les marques “Société” et “Papillon” devraient vous parler, mais ils ne sont pas les seuls à répondre aux critères de l’Appellation d’Origine Protégée (AOP), qui fête ses 100 ans cette année. Plongez dans l’univers du Roquefort.
Vous connaissez sûrement les marques de Roquefort, “Société” ou “Papillon”, proposées en supermarché, mais il en existe d’autres. En effet, au cœur de l’Aveyron, à Roquefort-sur-Soulzon, situé au Sud de Millau, cinq autres usines s’activent tout au long de l’année pour produire plusieurs milliers de tonnes de ce fromage, résultat d’un mélange de lait de brebis et d’un champignon, le Penicillium roqueforti. Les différentes techniques d’affinage et le travail du Roquefort permettent à chacun des sept fabricants de la Confédération Générale de Roquefort de créer un produit unique. Cette année, leur organisation fête les 100 ans de l’Appellation d’Origine Protégée (AOP). Mais l’histoire de ce fromage remonte à bien plus loin dans le temps.
« Il y a des millions d’années, les plateaux calcaires du Combalou, à la lisière des Causses, se sont effondrés, laissant place à des grottes naturelles dans cet amas rocheux. La nature y a lancé un défi à l’Homme, qui l’a relevé avec détermination, créant un fromage à la saveur unique : le Roquefort », comme le raconte la Confédération. La légende raconte qu’un berger aurait oublié son sac dans une grotte. À son retour, il aurait découvert que son fromage de brebis était devenu bleu, et que son pain avait moisi. Cette moisissure n’étant autre que le Penicillium roqueforti.
Puis l’idée lui serait ensuite venue de fabriquer du Roquefort en utilisant ce lait cru de brebis en le transformant d’abord en fromage frais et en lui ajoutant ensuite une dose du champignon. Et c’est ainsi que l’on confectionne encore ce produit. Brassé, moulé et salé, il est ensuite transféré dans les caves naturelles des fabricants, à Roquefort-sur-Soulzon, au cœur de l’Aveyron, où l’affinage commence. Sous terre, le Penicillium roqueforti se développe alors lentement dans la pâte du fromage, créant les marbrures bleu-vert caractéristiques.
Les conditions particulières des caves, notamment la circulation d’air frais et l’humidité, favorisent la prolifération du champignon et sont essentielles pour un affinage réussi. Après au moins 14 jours, les fromages sont finalement emballés pour ralentir le développement de la moisissure et passent par une maturation lente. Au bout de plusieurs mois, le Roquefort est prêt à être découpé et conditionné pour être vendu. Ce processus complexe et minutieux, supervisé par des affineurs expérimentés, respecte ainsi les critères de l’AOP et un savoir-faire traditionnel.
Officiellement, les premières mentions écrites du Roquefort apparaissent en 1070. Mais, déjà en 1666, le Parlement de Toulouse décrète que seuls les fromages affinés dans les caves de Roquefort-sur-Soulzon peuvent porter ce nom, protégeant ainsi son authenticité. Plusieurs siècles plus tard, le 26 juillet 1925, le Roquefort devient le premier fromage à obtenir une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC), reconnaissant officiellement son lien exclusif avec son territoire de production. Cette reconnaissance sera renforcée en 1996 avec l’Appellation d’Origine Protégée (AOP) au niveau européen, garantissant son élaboration selon des règles strictes et respectueuses du savoir-faire traditionnel.
Les critères de l’AOP sont donc bien définis. Le Roquefort doit son goût inimitable à son environnement. En effet, il est fabriqué exclusivement avec du lait cru et entier de brebis de race Lacaune, élevées dans le « Rayon de Roquefort », qui s’étend sur six départements du Sud du Massif Central : l’Aude, l’Aveyron, le Gard, l’Hérault, la Lozère et le Tarn. En revanche, son affinage a obligatoirement lieu dans les caves naturelles de Roquefort-sur-Soulzon, dont les « fleurines » de ces dernières (fissures naturelles) assurent une ventilation idéale pour le développement du Penicillium roqueforti. Ce processus fait ainsi travailler 3 000 éleveurs de brebis, et plus de 2 000 salariés.
Ainsi, « il n’y a pas deux Roqueforts qui se ressemblent », assure Marie-Laure Combes, de la Maison Combes, créée en 1923. Son mari, Vincent, troisième génération de maître artisan fromager, y produit le Roquefort “Le Vieux Berger”, plutôt doux et onctueux en bouche. C’est le plus petit fabricant de l’AOP. Chaque année, la Maison Combes produit 180 tonnes de Roquefort, bien en deçà des 10 000 tonnes annuelles de “Société”. « Nous représentons moins de 1% de la quantité totale de Roquefort fabriquée. Mais nous avons les mêmes règles à respecter, le même cahier des charges que les autres usines », précise Marie-Laure Combes.
Pour autant, il n’existe aucune concurrence entre les fabricants, selon la représentante de la Maison Combes, et voilà ce qui les différencie. « Nous avons toujours été les plus petits. C’est un choix puisque nous sommes artisans et que nous souhaitons maintenir une fabrication traditionnelle à la main. C’est d’ailleurs ce que les clients recherchent de plus en plus. Et nous n’avons pas les mêmes circuits de distribution que les autres. Nous travaillons essentiellement avec des détaillants, crémiers, fromagers, les boutiques ou les marchés. » Et, concernant le lait, il est collecté exclusivement auprès de huit producteurs, répartis entre le causse Comtal, le Rougier de Marcillac et le plateau du Ségala. Pour finir, la famille Combes ne travaille qu’une seule souche de Penicillium roqueforti, contrairement à d’autres producteurs.
Un autre fabricant mise également sur la fabrication artisanale : la Maison Carles. Cette dernière, fondée en 1927, fait aussi partie des usines encore gérées par une famille originaire de Roquefort. Son fondateur, François Carles, a installé l’une de ses premières laiteries dans le village de Verrières, au cœur du Rougier de Camarès. En 2012, sa petite-fille Delphine Carles est revenue aux sources en implantant une nouvelle laiterie à proximité de celle d’origine, tout en préservant un mode de fabrication traditionnel. Le lait est collecté auprès de 15 producteurs situés dans la vallée du Rance et la plaine alluviale du Dourdou. Sa production annuelle : 230 tonnes par an.
Dans ce même paysage, deux familles poursuivent la production de leurs fromages, depuis plusieurs générations, mais de manière industrielle. La première, Vernières, est installée depuis 1890. Mais son ancrage remonte encore plus loin, puisque des documents cadastraux datant de 1664-1671 attestent déjà de la présence de la famille Vernières à Roquefort, où elle possédait cinq des 18 caves. Aujourd’hui, l’entreprise, dont la fromagerie est située à Villefranche-de-Panat, est dirigée par la cinquième génération. Le lait servant à produire leur Roquefort provient de 52 producteurs, répartis entre le bocage du Lévézou et le plateau du Ségala. Avec une production annuelle de 1 200 tonnes, dont un tiers destiné à l’export, Vernières reste un acteur incontournable du Roquefort.
La seconde, la maison Gabriel Coulet, incarne la tradition familiale depuis cinq générations. Tout commence en 1872 lorsque Guillaume Coulet, en creusant une cave à vin sous sa maison, découvre des fleurines naturelles propices à l’affinage du Roquefort. Il se lance alors dans la fabrication fromagère, et c’est en 1906 que son fils Gabriel donne son nom à l’entreprise. Le lait est collecté auprès de 100 producteurs répartis entre le causse Comtal, le Rougier de Marcillac et le Nord du Lévézou. Chaque année, environ 2 000 tonnes de Roquefort sortent de la fromagerie située à Sébazac-Concourès, au Nord de Rodez. Résultats : quatre fromages différents sont à y découvrir : “Petite Cave”, “La Vieille Cave“, “La Cave” et “La Cave Bio”.
Il existe également une coopérative : “Les fromageries occitanes”. Créée en 1976, elle est le résultat d’un regroupement d’éleveurs locaux qui ont acquis les caves des établissements Alric Frères, producteurs de “La Pastourelle”. Soutenue par la coopérative Centre-Lait, elle s’est implantée durablement dans le paysage du Roquefort. Son lait est collecté auprès de 170 producteurs situés entre les monts de Lacaune, la vallée du Rance et les hauts cantons de l’Hérault. Sa production annuelle atteint 2 200 tonnes. Son fromage, “La Pastourelle”, est fondant et frais en bouche.
Enfin, les deux derniers fabricants sont les plus répandus dans le commerce. D’abord les fromageries Papillon, et ses 2 250 tonnes de Roquefort produites chaque année. Ce n’est pas la plus ancienne maison, pour autant, elle a été créée en 1906 par Paul Alric et se distingue par son fournil dédié à la cuisson du pain de seigle, essentiel à l’ensemencement du Penicillium roqueforti. Cette tradition a été préservée jusqu’à aujourd’hui, avec un four en briques réfractaires construit en 1976. Le lait, quant à lui, provient de 130 producteurs du plateau du Lévézou, dont 23 engagés dans l’élevage biologique, une démarche initiée dès 1974. Sa gamme se décline en quatre produits : le Papillon “taste noir”, le bio, le “Révélation” et le “Rouge”, caractérisés par des saveurs plus ou moins fines et fondantes en bouche.
Enfin, le dernier producteur n’est plus à présenter… Ou peut-être que si. Vous connaissez le logo et le packaging vert du Roquefort “Société 1863“, mais avez-vous déjà goûté aux autres marques du fabricant ? Sur les 10 000 tonnes produites par an par l’usine aveyronnaise, plusieurs fromages vous sont proposés. Que ce soit le Roquefort “Cave Abeille” aux saveurs équilibrées, le puissant “Cave des Templiers”, ou encore le “Caves Baragnaudes” fin et onctueux… Il y en a pour tous les goûts. La maison Société est la plus ancienne de Roquefort, fondée en 1851. Son rayon de collecte s’étend sur tout le territoire de l’appellation, avec environ 1 000 producteurs de lait, situés du Larzac à la Montagne Noire.
À vous de les découvrir maintenant…
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