Daniel Soulez Larivière, avocat de l’entreprise Grande Paroisse (filiale de Total) qui exploitait l’usine AZF à Toulouse, et de son ancien directeur, vient de publier “Anatomie d’un fiasco judiciaire” chez Albin Michel. Dans son livre, il dénonce « les dysfonctionnements » dans le traitement judiciaire de l’affaire. Interview.
Daniel Soulez Larivière, pourquoi avoir écrit ce livre sur l’affaire AZF ? Et surtout, pourquoi le publier à quelques jours des 21 ans de l’explosion ?
C’est mon quinzième livre. Cela fait 40 ans que j’écris sur la justice et son fonctionnement. Ayant été dans la bataille judiciaire pendant 20 ans, j’ai vu tous les vices de la procédure, et il était donc naturel d’écrire un livre sur ce sujet. Quant à la date de sortie, il s’agit d’une coïncidence. Ce n’était pas du tout volontaire. J’ai mis trois ans à écrire “Anatomie d’un fiasco judiciaire”. Et les délais d’édition sont tels que c’est tombé le 15 septembre.
Ne craignez-vous pas la réaction des victimes à la lecture de votre livre ?
Le fait d’écrire un livre n’a pas vraiment choqué. Les victimes elles-mêmes en ont écrit. Tout le monde a le droit d’écrire. Écrire un livre n’a jamais été autre chose qu’une tentative de recherche et d’amélioration de la société. Je pense que cela peut être utile pour éviter qu’un tel événement ne se reproduise. Je ne pense pas que cela ravive plus la douleur que les livres des victimes elles-mêmes. Jamais personne n’a critiqué, moi le premier, le fait que certaines victimes aient réalisé des livres. Je trouve cela très bien.
Écrire un livre n’a jamais été autre chose qu’une tentative de recherche et d’amélioration de la société
Comment vous êtes-vous saisi de l’affaire AZF ?
Le jour de la catastrophe, le directeur juridique de Total, Alain-Marc Irissou, que j’ai connu lors d’affaires aéronautiques, m’a téléphoné pour me dire : « Vous savez ce qui s’est produit ce matin. Il faudrait qu’un avocat aille sur les lieux dès demain pour voir ce qui se passe. » J’ai donc demandé à mon ami Jacques Monferran, avocat à Toulouse, de s’y rendre. Les choses se sont ensuite enchaînées. Il y a eu la mise en d’examen de 13 salariés de l’entreprise. Mon cabinet et trois de mes associés ont commencé à les défendre. J’ai géré tout cela et me suis retrouvé en chef d’orchestre de l’ensemble de la défense : Grande Paroisse, propriétaire de l’usine, et M. Biechlin, directeur d’AZF.
AZF a été une affaire importante pour vous ?
C’était très passionnant. Ce métier est intéressant quand on travaille énormément et dans cette affaire c’était le cas. J’avais des réunions toutes les trois semaines pour faire le point sur les recherches et les investigations. Cela m’a occupé énormément, presque à mi-temps pendant 20 ans. La gravité de l’affaire, m’a aussi marqué. C’est l’accident industriel le plus grave depuis la guerre. La nature même d’une affaire, quand elle a cette importance, oblige à se passionner et à s’investir. C’est notre boulot et notre devoir de le faire. Cette affaire remet également en cause des mécanismes juridiques français très intéressants. Cela montre des failles de notre système judiciaire qui manque de modestie et de rigueur.
En effet, vous dénoncez de nombreux dysfonctionnements dans l’affaire AZF, comme l’orientation de l’enquête. Pourquoi ?
Le procureur de la République a dit, au bout de trois jours, qu’il s’agissait d’un accident à 90 ou 99 %. Cela a orienté toute l’enquête sur l’accident et a éliminé l’attentat. On ne peut pas commencer une affaire judiciaire de la sorte. Jacques Chirac (alors président de la République, NDLR) et Lionel Jospin (Premier ministre de l’époque) ont décidé de calmer le jeu, très légitimement, et de nuancer les hypothèses. Rappelons que l’explosion a eu lieu seulement 10 jours après l’attentat du World Trade Center. Malheureusement, le procureur a pris une position qui a empêché la recherche de l’existence possible d’un attentat. Je ne dis pas du tout qu’il s’agissait d’un attentat, mais cela faisait partie des possibilités à explorer. Sauf que ça n’a pas été vraiment étudié. Au final, on ne sait toujours pas.
Je ne dis pas du tout qu’il s’agissait d’un attentat, mais cela faisait partie des possibilités à explorer
Justement, dans votre livre, vous citez un article de Charlie Hebdo, titré : “Tout a explosé, sauf la vérité”. Est-ce ce que vous pensez ?
Nous n’avons effectivement pas trouvé la vérité. Le tribunal de Toulouse en a pris acte. Il a dit qu’il était possible que cela soit un attentat et qu’il était probable qu’il s’agisse d’un accident chimique, mais nous n’avons pas de preuves. Or, sans preuve, c’est la relaxe. Nous ne sommes pas là pour inventer des choses. C’est ce que le tribunal de Toulouse a acté avec la relaxe. Mais cela n’a pas été accepté par le système et il y a donc eu un appel du parquet qui a condamné Grande Paroisse et Serge Biechlin. Appel cassé pour défaut d’impartialité. Dans un second procès en appel, la cour d’appel de Paris a confirmé la condamnation en allégeant la peine. Mais, pour ma part, les arguments du tribunal ne tiennent pas.
C’est-à-dire ?
La cour d’appel de Paris a tenu des raisonnements sophistiques très regrettables. Elle a condamné sur des supputations. En effet, elle a avancé : « Pour qu’il y ait explosion, il aurait fallu prouver la présence de chlore. Or, cette substance n’a jamais été observée sur les lieux. Pour cause, le sol aurait été lavé. Logiquement, cela prouve qu’il y avait quelque chose, et que ce quelque chose aurait très bien pu être du chlore. » Avec cela, vous envoyez au bûcher tous les gens qui ne vous plaisent pas. C’est un arrêt déplorable.
Une réouverture du dossier serait-elle possible aujourd’hui ?
Je ne pense pas qu’il soit possible de reprendre une instruction, sauf si quelqu’un dit : « C’est moi qui ai mis un détonateur dans le tas de nitrate ! » Mais on l’aurait déjà trouvé.
Ainsi, continuent de chercher les causes de ce drame, tous ceux qui se sont intéressés à cette affaire, ou qui en étaient les protagonistes, à l’image de Serge Biechlin. Le problème reste que nous nous trouvons toujours face à des hypothèses et non des preuves. Il faut accepter de faire le deuil. Nous ne pouvons pas trouver de preuves parce qu’elles ont disparu ou se sont effacées.
Continuent de chercher les causes de ce drame, tous ceux qui se sont intéressés à cette affaire
Mis à part AZF, d’autres affaires vous ont-elles marqué à ce point lors de votre carrière ?
J’ai commencé par une erreur judiciaire à 29 ans. Un agent du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), l’ancienne direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), a été condamné pour trahison. J’étais convaincu que c’était une erreur judiciaire et nous avons fini par avoir raison. Mon ami Gilles Perrault, journaliste, écrivain et scénariste français, a écrit un livre sur le sujet qui s’appelait “Erreur”. Dans celui-ci, il expliquait qu’il s’agissait d’une condamnation aberrante. Finalement, six mois après la parution de son livre, le président Pompidou a gracié l’agent condamné à 15 ans de prison. Il est sorti au bout d’un an. J’avais donc déjà eu des affaires complexes avant AZF.
« Le droit pénal est un droit qui s’interprète strictement. Il s’agit là d’un pilier de notre démocratie. »(extrait du jugement de relaxe prononcé par le tribunal de Toulouse en 2009)
Le 21 septembre 2001, dix jours après l’attentat du World Trade Center, l’explosion de l’usine AZF à Toulouse a fait 31 morts, des centaines de blessés, et des dégâts considérables. La plus grande catastrophe industrielle depuis la guerre.
On ne saura jamais pourquoi, car toute recherche efficace des causes a été rendue impossible.
Daniel Soulez Larivière, qui fut l’avocat de l’entreprise et de son directeur, décrit les incroyables dysfonctionnements dans le traitement judiciaire de ce drame, ayant abouti à leur condamnation en appel en 2017, alors qu’en première instance les juges avaient prononcé une relaxe faute de preuves. Comme s’il fallait à tout prix en faire des coupables.
La justice doit-elle rechercher la vérité ou condamner pour offrir un exutoire ?
En éclairant les dérapages du système qui contribuent à la défiance des citoyens, l’auteur invite à réfléchir à l’avenir de notre justice.
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