Entre les fortes chaleurs et le manque de pluie, l’ex région Midi-Pyrénées subit actuellement un épisode de sécheresse exceptionnel. Tous les départements sont concernés par des restrictions d’eau. Régis Godec, co-secrétaire d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Midi-Pyrénées, dénonce un manque d’anticipation face à la sécheresse. Interview.
Fallait-il s’attendre à un épisode de sécheresse de cette ampleur en Midi-Pyrénées ?
La problématique en eau sur le bassin Adour-Garonne (territoire qui couvre en grande partie la Nouvelle-Aquitaine et l’Occitanie et plus marginalement l’Auvergne-Rhône-Alpes, ndlr) est clairement identifiée depuis des années. La consommation d’eau est extrêmement importante et il y a une baisse de précipitations. On sait qu’avec le réchauffement climatique et les phénomènes atypiques, notamment les sécheresses et les épisodes de canicule, cette problématique est accentuée. Les signaux d’alerte ont été donnés.
Des mesures de restriction de prélèvements en eau ont été prises dans tous les départements de Midi-Pyrénées depuis le début de l’été. Ces mesures sont-elles trop tardives face à la sécheresse ?
Les arrêtés sont tous pris trop tard dans la mesure où quand il s’agit de risques environnementaux c’est l’anticipation qui compte. Nous sommes un peu surpris de voir que d’un seul coup le gouvernement dit que nous allons manquer d’eau alors que nous alertons sur cela depuis longtemps. La prise de conscience chez les décideurs, politiques et investisseurs, est extrêmement lente alors qu’il y a une urgence climatique et ce n’est pas une urgence ponctuelle liée à un phénomène météorologique comme on a peut-être pu le penser en 2003. C’est un phénomène qui va devenir récurrent.
Il faut attendre d’être dans le mur pour prendre conscience de la réalité de ce que nous avons à vivre. Les solutions sont cherchées en urgence alors que nous pourrions avoir une politique systémique pour s’adapter. Des mesures sont prises, mais pour éviter d’énormes catastrophes comme le manque d’alimentation en eau potable. Nous pouvons le voir avec la création d’une cellule ministérielle de crise face à la sécheresse pour anticiper éventuellement des plans Orsec (Organisation de la réponse de sécurité civile, ndlr) dans les agglomérations. Mais il n’y a pas eu de gros changements sur la gestion de l’eau du bassin Adour-Garonne.
Justement, la gestion de la ressource en eau est-elle suffisante sur le bassin Adour-Garonne ?
C’est largement insuffisant. Nous constatons que les consommations sur l’étiage (période de l’année où le niveau d’un cours d’eau atteint son point le plus bas, ndlr) liés à l’irrigation sont démentielles et ne sont pas du tout en diminution. 70% des volumes prélevés le sont par l’agriculture. Depuis des années, nous savons que nous allons avoir de plus en plus de problématiques. Ce n’est pas le premier épisode de sécheresse. Mais nous n’avons rien fait pour faire évoluer le système agricole afin de s’adapter à cette problématique. Nous avons pourtant là un levier d’action considérable. Nous nous retrouvons donc avec des agriculteurs qui ne peuvent plus irriguer et dont les récoltes vont sécher sur pied.
Que faudrait-il faire pour diminuer l’irrigation en Midi-Pyrénées ?
Il faut une agriculture moins dépendante et moins consommatrice d’eau ce qui nécessite un changement de culture. De l’élevage extensif par exemple, en consommation d’eau, cela n’a rien à voir avec de l’élevage intensif. Il faudrait ainsi une politique d’accompagnement pour sortir de la dépendance à l’irrigation dans le bassin Adour-Garonne, car les agriculteurs sont les premières victimes de ce modèle. Ils investissent pour des systèmes d’irrigation et ont des crédits à rembourser derrière. Ils ne peuvent pas s’en sortir sans un investissement public fort.
En ce qui concerne les particuliers et les collectivités, ne faudrait-il pas limiter les prélèvements d’eau à l’année ?
Agissons là où les leviers sont les plus puissants. Ce n’est pas le cas du robinet qui reste ouvert quand on se lave les dents. Les responsables politiques ont souvent eu tendance à culpabiliser le comportement des particuliers alors que le levier d’action n’est pas là. Je ne dis pas aux gens de ne pas faire d’efforts. Mais quand la consommation est à 70 % pour l’irrigation sur la période d’étiage, c’est là qu’est la marge d’économie. D’autant plus que les gens ne comprennent pas pourquoi des restrictions sont appliquées dans leur vie quotidienne alors que des dérogations sont autorisées aux golfs.
L’arrosage des pelouses des golfs en ces temps de sécheresse est d’ailleurs vivement dénoncé, notamment par des collectifs écologistes. Que pensez-vous de cette dérogation qui leur est accordée ?
C’est choquant. C’est un symbole très fort d’injustice surtout lorsque nous ne savons pas si nous aurons de l’eau au robinet dans quelques semaines. Il faudrait arrêter d’arroser les golfs. Pour autant, c’est bien l’irrigation des cultures qui pose problème en termes de volume. J’attire par ailleurs l’attention sur la consommation d’eau liée aux centrales nucléaires.
La centrale de Golfech représente 15 à 20% des prélèvements sur l’année. La production électrique est complètement tributaire du phénomène de refroidissement du réacteur et donc de la ressource en eau. Mais cette production est extrêmement consommatrice, car le volume d’évaporation est important. Quand l’eau est précieuse nous commençons à regarder où il est possible d’économiser et 15% à 20% de l’eau prélevée, c’est très important.
La centrale de Golfech, dans le Tarn-et-Garonne, avait d’ailleurs obtenu une dérogation pour pouvoir fonctionner pendant la canicule en juillet. Ne trouvez-vous pas cela problématique ?
La canicule génère de la demande d’électricité pour refroidir les bâtiments, notamment. Il faut donc faire tourner les réacteurs et consommer de l’eau qui est manquante sur cette période. Non seulement nous consommons de l’eau du fleuve, mais nous déstockons aussi des volumes considérables dans les barrages des montagnes et ce stock est stratégique pour la production d’énergie de cet hiver. Toute l’eau qui passe par les barrages aujourd’hui est en effet une eau qui ne pourra pas être turbinée cet hiver lorsque surviendra ce qui est déjà identifié comme le plus grand problème énergétique que la France ait jamais connu.
Comment appréhendez-vous l’avenir face à cet épisode de sécheresse ?
J’ai envie de dire avec espoir. Nous avons des événements extrêmes qui peuvent peut-être nous aider dans la prise de conscience. Quand nous parlions du réchauffement climatique, il y a 10 ou 15 ans, c’était quelque chose d’assez abstrait pour les gens. Nous pouvions même débattre de la part de responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique. Là, c’est très concret entre obtenu une dérogation pour pouvoir fonctionner pendant la canicule, la canicule, la sécheresse, la pénurie d’électricité pour cet hiver… Tous les scénarios catastrophes sont réels à présent et se produisent chez nous. Les événements sont tellement forts que la prise de conscience pourrait être un accélérateur.
Je me dis qu’au plus vite nous allons nous réunir et travailler sur les évolutions de la gestion en eau avec un regard plus ambitieux. Il est encore temps d’agir. Mais l’horloge tourne. Il ne faut plus différer le temps de l’action. Plus on prend du retard, plus les mesures seront drastiques. Le réchauffement climatique et le dérèglement climatique sont là. Il faut agir rapidement pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre et avoir une vision complètement différente de notre rapport à la nature pour s’adapter au réchauffement et gérer la pénurie. C’est sans doute nouveau, nous avons l’impression d’avoir une abondance d’eau. Mais c’est une ressource précieuse, considérons là comme telle.
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