En Haute-Garonne, le Défenseur des droits est représenté par 13 délégués qui interviennent lors d’un litige entre un particulier et l’administration. Au total, en 2021, ils ont été sollicités 2 288 fois dans le département. Colette Gayraud, l’une d’entre eux, et coordinatrice des délégués de l’ex-région Midi-Pyrénées, revient sur ses missions, la nature des saisines. Elle avance également une théorie pour expliquer la hausse de ces dernières.
Colette Gayraud, en quoi consiste la fonction de “délégué du Défenseur des droits” ?
Il s’agit d’une fonction bénévole, qui a été créée en 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Ce dernier a réuni les prérogatives du médiateur de la République, de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), de la Commission nationale de déontologie de la sécurité et du Défenseur des enfants, pour créer le Défenseur des droits, dont le rôle est désormais inscrit dans la Constitution. Les délégués du Défenseur des droits (13 en Haute-Garonne) lui sont rattachés afin de traiter les dossiers locaux. Ainsi, nous recevons, sur rendez-vous, les Haut-Garonnais pour leur garantir un bon accès au droit. Nous intervenons lorsqu’un citoyen connaît un litige avec une institution comme la Caisse d’allocations familiales (Caf), Pôle emploi, la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat)… Notre rôle est d’autant plus essentiel que toutes ces structures ont supprimé les guichets physiques. Notre mission est d’abord de recevoir la parole du citoyen qui estime être lésé. Ensuite, nos liens privilégiés avec ces administrations nous permettent de résoudre les contentieux à l’amiable (dans 75% des cas) et de nous assurer que les personnes qui nous sollicitent aient bien accès à leurs droits.
Dans quels cas peut-on saisir un délégué du Défenseur des droits ?
Un particulier peut demander à nous rencontrer s’il a une réclamation ayant trait à des dysfonctionnements du service public. C’est le cas dans 90% de nos dossiers. Mais nous pouvons également être saisis pour des discriminations, pour des manquements aux règles déontologiques qui encadrent les activités des professionnels de la sécurité ou des requêtes concernant le droit de l’enfant.
Nina, jeune fille de 14 ans, a subi de graves violences en 3e. Afin de ne plus être en contact avec ses anciens camarades violents, ses parents demandent une dérogation pour son entrée en 2nde. Ils souhaitent qu’elle puisse intégrer un autre lycée que son lycée de secteur. A cette demande de dérogation sont joints les justificatifs de dépôt de plainte faisant état des violences. N’ayant aucune réponse au sujet de son affectation, Nina n’allait plus en classe et restait au domicile de ses parents.
Les parents de Nina se rapprochent d’un délégué du Défenseur des droits qui appelle le Rectorat le jour même de la saisine. Nina a été admise au lycée demandé deux jours plus tard.
Nous faisons l’intermédiaire entre les citoyens et l’administration. Et souvent, nous parvenons à obtenir des réponses rapides, que les particuliers attendent parfois des mois. D’abord, parce que les gens qui nous sollicitent ne savent pas toujours ce à quoi ils ont droit, ni les procédures qu’ils ont la possibilité de déclencher. Ensuite, parce que, contrairement à nous, ils n’ont pas les contacts nécessaires au bon avancement de leur demande. Enfin, parce que les organismes ont pour obligation de nous répondre sous deux mois maximum.
Les administrés peuvent donc nous saisir pour obtenir des explications quant à une décision administrative, ou simplement pour s’assurer de leurs droits, demander des renseignements sur leur situation. En revanche, si nous ouvrons un dossier et que nous constatons une fraude, nous cessons immédiatement notre travail. Toutefois, nous ne la dénonçons pas.
Comment peut-on saisir un délégué du Défenseur des droits ?
Via le site Internet du Défenseur des droits, les citoyens peuvent identifier les délégués de la Haute-Garonne. Il est ensuite possible de prendre rendez-vous par mail ou par téléphone. Mais les délégués tiennent également des permanences en différents lieux, notamment à la préfecture. Il est donc également possible de les y rencontrer directement. Généralement, il faut compter 15 jours à trois semaines entre la saisine et le premier entretien.
Pouvez-vous dresser un bilan des saisines effectuées en 2021 ?
Nous avons comptabilisé 12% de saisines supplémentaires par rapport à 2020, pour enregistrer près de 2 300 dossiers en 2021, dont 1 545 étaient des réclamations et 743 des demandes d’informations ou des réorientations vers une procédure judiciaire. Nous avons également relevé une trentaine de fraudes, notamment des personnes à qui la Caf réclamait des trop-perçus de Revenu de solidarité active (RSA). En étudiant le cas, nous nous sommes aperçus que le plaignant résidait à l’étranger pendant qu’il percevait les prestations sociales, ce qui est illégal. Nous avons donc refermé le dossier.
Vous évoquez une hausse de 12% des saisines en 2021. A quoi est-ce dû ?
La crise sanitaire est la première explication. Durant cette période, les administrations se sont fermées de plus en plus à l’accueil des bénéficiaires. Elles ont pris du retard dans le traitement des procédures. Et les gens ont été davantage touchés par les difficultés. Cette augmentation a également été conséquente en 2020. Pour preuve, en 2018-2019, nous n’étions que neuf délégués du Défenseur des droits en Haute-Garonne, et nous sommes désormais treize. Personnellement, pour l’année 2022, je traite déjà 170 dossiers. Et nous ne sommes qu’en juillet…
Quels ont été les principales thématiques des saisines en 2021 ?
Les saisines concernaient majoritairement la protection sociale (29%). La plupart du temps, nous avons reçu des gens qui ne comprenaient pas, et qui contestaient, les décisions de la Caf. Généralement, la Caisse d’allocations familiales ne justifie pas une baisse ou l’arrêt d’une prestation ; elle se contente, en deux lignes, de stipuler qu’elle cesse le versement, ce que les bénéficiaires ne comprennent pas. Ne disposant plus de guichet pour obtenir des renseignements, les allocataires se trouvent donc dépourvus et se tournent vers nous. Les situations sont similaires à la CPAM quand un salarié en arrêt de travail ne parvient pas à savoir pourquoi le montant de son indemnité ne correspond pas à ce qu’il attendait. Ou à la Carsat, quand les pensions ne sont pas versées immédiatement. Les gens ont tout simplement besoin de comprendre, ou de faire rectifier des informations administratives, de préciser des situations, mais ils ne trouvent plus de guichet pour expliquer leur cas…
Tatiana et Bruno sont tous deux âgés de 91 et 90 ans et anciens salariés agricoles. Ils cherchaient en vain à faire modifier leur allocation de solidarité, dont le montant ne correspondait pas au montant auquel ils avaient droit.
Ils ont saisi le délégué du Défenseur des droits, qui, après de nombreux échanges de mails avec la caisse du régime agricole, est arrivé à obtenir la régularisation de l’allocation avec un effet rétroactif en mars 2022. Ainsi, après 11 mois de négociation, les réclamants ont vu leur allocation de solidarité passer de 175,04 euros à 297,20 euros par mois, avec une régularisation d’environ 4 000 € chacun.
Dans un même temps, en Haute-Garonne, 21% des saisines du Défenseur des droits relevaient du droit des étrangers. Désormais, la plupart des rendez-vous en la matière ne se prennent plus que sur Internet, et la démarche n’est pas toujours simple pour les demandeurs. D’autant que le système a été long à se mettre en place… Il faut expliquer en quelques phrases son cas, qui souvent dans ce domaine reste particulier. Auparavant, en se présentant à la préfecture, les étrangers parvenaient à préciser leur situation, notamment en ce qui concerne le regroupement familial. De plus, cette procédure peut être longue et les demandeurs ne sont pas informés de l’avancée ou non de leur dossier.
Mona, ressortissante tunisienne, ingénieure et docteure en génie électrique a déposé en octobre 2020 une demande de regroupement familial auprès de l’OFII afin d’être rejointe par son mari. La procédure ne semblant pas progresser, Mona en est très affectée et se retrouve sous traitement médical (antidépresseurs). Elle saisit alors le délégué du Défenseur des droits qui a pu obtenir le traitement de sa demande par les services de l’OFII.
Enfin, en 2021, le droit routier représentait 15% de nos dossiers. L’essentiel des réclamations étant dues à des mauvaises manipulations ou des dysfonctionnements informatiques. Lors de la cession d’un véhicule par exemple, toutes les démarches pour la carte grise se font sur Internet. Et il suffit que la procédure ne soit pas bien validée pour que l’acheteur ne reçoive jamais son certificat d’immatriculation. Ainsi, l’acheteur pourra être verbalisé pour défaut de papiers, pendant que le vendeur pourra recevoir les amendes routières pour un véhicule dont il n’est plus le propriétaire. Des situations bloquées pour lesquelles les conducteurs ne trouvent pas d’interlocuteur administratif.
Hugues a demandé, sur le site de l’ A.N.T.S. le 27 janvier 2021, l’échange de son permis de conduire ivoirien contre un permis français. N’ayant obtenu aucune réponse, il a saisi le Défenseur des droits.
Le délégué a envoyé un courrier au service compétent pour qu’il délivre le document dans les meilleurs délais. Les services ont indiqué que le permis avait été mis en production. Le réclamant a reçu son permis quelques jours plus tard.
Votre activité témoigne d’un dysfonctionnement de l’administration française. En quels termes ?
Au vu des différents cas que nous rencontrons, je peux avancer que la dématérialisation de toutes les démarches administratives est la principale cause de l’incompréhension, voire des litiges. L’informatique a permis de simplifier les procédures, mais encore faut-il que cela fonctionne, que le système prenne en compte les cas particuliers, et que les citoyens en maîtrisent l’usage. Un formulaire sur ordinateur ne pourra jamais remplacer un échange humain. Mais il n’existe plus de guichet, tout est numérisé. L’administration ne se met plus à portée des gens. Cela nuit à la bonne compréhension des décisions. Pour nous, il s’agit d’une rupture de l’égalité de traitement entre les gens.
Quelles seraient les recommandations du Défenseur des droits à l’égard de l’administration ?
Il faudrait rouvrir des guichets pour maintenir un accueil des personnes. C’est peut-être un peu idéaliste ! Alors, peut-être faudrait-il en fermer moins… Et je pense que l’administration l’a également constaté, en témoigne l’ouverture des Maisons France Services. Ce peut être une réponse adaptée. De même, à la préfecture, des services civiques accompagnent les gens qui viennent faire leurs démarches sur ordinateur. L’État a compris que la présence humaine était indispensable. L’informatique ne peut pas tout.
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