Plusieurs élus de l’agglomération toulousaine ont écrit au ministre de la Transition écologique pour lui faire part de leurs inquiétudes quant à la mise en œuvre de l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) sur leur territoire. Parmi eux, Jacques Oberti, président du Sicoval et maire d’Ayguesvives. Il précise ses positions dans le Journal Toulousain et explique en quoi cette mesure, bien que louable, « n’est pas équitable au vu des particularismes de notre région ». Interview.
Jacques Oberti, vous avez signé un courrier commun à plusieurs élus locaux pour dénoncer la façon dont était mise en œuvre l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN) pour 2050. Qu’est-ce cette mesure impose exactement ?
L’objectif ZAN est imposé par la loi Climat et Résilience, volonté du président de la République à la suite de la Conférence sur le climat. Le but général de cette loi est de limiter l’artificialisation des sols. Ainsi, depuis 2021, il est demandé aux territoires, communes, départements, régions de réduire de 50% le rythme de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, par rapport à la décennie précédente. Entre 2021 et 2031, nous devrons donc consommer la moitié de ce qui a été prélevé les 10 années avant. Et de 2031 à 2041, la moitié de la moitié, c’est-à-dire 75% par rapport à 2021. Pour arriver à zéro artificialisation en 2050. Pour cela, il faudra densifier, reconstruire la ville sur la ville. Nous avons également la possibilité de compenser notre consommation de foncier : nous pouvons artificialiser une zone si nous en désartificialisons une autre. Sur le papier, le principe est louable, mais il pose toutefois quelques questions.
« Beaucoup de zones d’ombre qui rendent difficile la mise en œuvre »
Lesquelles ? Quels problèmes posent l’objectif ZAN ?
La loi est passée, mais les outils à notre disposition pour atteindre cet objectif comportent beaucoup de zones d’ombre qui rendent difficile la mise en œuvre. Les règles de calcul de l’artificialisation vont changer au fur et à mesure que la loi va s’appliquer et nous ne les connaissons pas. D’autant que, même si le compteur tourne depuis août 2021, les documents d’urbanisme qui déterminent l’aménagement du territoire ne sont pas à jour. Le PLU (Plan local d’urbanisme) le sera en 2027 par exemple. Ainsi, des communes, qui continuent de consommer sur la base des documents précédents, vont afficher une surconsommation et n’auront plus du tout de crédit ensuite.
De même, le principe de compensation n’est pas clair. Nous n’en connaissons pas les modalités. “Renaturer” pour pouvoir artificialiser si nécessaire est une démarche intéressante, mais dans quelles conditions ? Ainsi, la mise en œuvre concrète de cette loi sur les territoires, aussi justifiée qu’elle soit, est tellement opaque et mal connue qu’elle entraîne autant d’émoi sur ses modalités que sur ses principes. Ce flou laisse aux services déconcentrés de l’État la possibilité d’interpréter les textes à leur façon.
Vous évoquez également une incohérence de calcul concernant les crédits d’artificialisation (quota de terres qui pourra être consommé dans chaque région, intercommunalité ou commune). Selon vous, ceux de la région Occitanie ne seraient pas suffisants. Pourquoi ?
Un rapport de l’Insee établit une prospective, à l’horizon 2070. L’institut nous apprend que la population française va continuer de croître lentement jusqu’en 2035, pour arriver à 69 millions d’habitants, puis qu’elle va décroître pour revenir à 68,4 millions. Ainsi, les technocrates qui travaillent sur la loi en déduisent qu’à partir de 2035, il ne sera plus nécessaire d’artificialiser puisqu’il y aura moins d’habitants. Sauf que, quand on entre dans les détails, on s’aperçoit qu’une seule région va à l’encontre de cette tendance et va continuer à accueillir toujours plus d’habitants jusqu’en 2070 : c’est l’Occitanie. Même, l’Insee révèle que notre région est composée des départements qui vont croître le plus d’ici 2070, notamment la Haute-Garonne. Si l’on applique la loi stricto sensu, de manière homogène dans toutes les régions, elle sera forcément déséquilibrée puisque l’Occitanie devra accueillir toujours plus de population avec un crédit de surface qui ne correspondra pas à son évolution démographique.
Autre spécificité de notre territoire, la Haute-Garonne qui, en plus de voir sa population augmenter inexorablement, accueille toujours plus de jeunes. Il faudra donc aussi créer les emplois correspondants, des écoles, des services de mobilité… Or, nous n’avons aucune visibilité quant aux infrastructures que l’État va nous permettre de construire. Voici un exemple : contrairement aux autres régions qui ont déjà la LGV et donc déjà consommé le foncier inhérent, l’Occitanie va devoir amputer ses crédits d’artificialisation des années futures pour débloquer le foncier dont elle a besoin pour accueillir la LGV à son tour. Nous avons donc demandé à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, de sortir les crédits de la LGV de l’enveloppe de crédits globale. Et nous avons eu une fin de non-recevoir. Ce n’est pas équitable ! La région Occitanie est particulière, exceptionnelle, il faut que l’État la considère comme telle. Si la loi veut être équitable et juste, il faut qu’elle s’adapte aux spécificités de chaque territoire.
« Ne pas réitérer les erreurs des années 1970, et éviter de créer des ghettos »
Dans le courrier envoyé à Christophe Béchu est également abordé le problème des logements sociaux. De quelle manière l’objectif ZAN peut-il tendre davantage ce secteur ?
La mixité sociale est effectivité une des problématiques. Nous avons beaucoup de communes SRU, ayant l’obligation de développer 20% de logements sociaux sur leur territoire. Mais pour ne pas réitérer les erreurs des années 1970, ne pas concentrer ce type de logement sur une même zone et éviter de créer des ghettos, nous avons besoin d’une maîtrise foncière importante. Ainsi, nous sommes d’accord pour faire un effort en densifiant, mais il y a un seuil qu’il ne faut pas dépasser. Cela serait contre-productif. Le gouvernement doit prendre tout cela en considération pour donner à chaque commune les mêmes chances de se développer, qu’elle soit urbaine, périurbaine ou rurale.
Outre les difficultés pour les collectivités locales d’appréhender cet objectif ZAN, quelles vont être les conséquences pour les citoyens ?
Ceux qui vivent déjà sur le territoire risquent de voir leur environnement se densifier. Certains l’accepteront, d’autres moins. Si le propriétaire d’une maison de plain-pied voit pousser un immeuble de quatre étages sur la parcelle mitoyenne, je doute qu’il approuve mais certaines communes n’auront peut-être pas d’autres choix si elles ne peuvent plus consommer de foncier.
De plus, si la possibilité de construire sur de nouvelles terres se réduit, cela va entraîner de la spéculation et une augmentation des prix. Nous ne pourrons ainsi plus assurer la mixité sociale car si les terrains sont chers, nous ne pourrons plus y bâtir de logements sociaux. Or, il en manque. Sur le Sicoval par exemple, nous ne couvrons que la moitié des besoins, ce qui veut dire que 50% des demandes sont en souffrance.
Enfin, toute une catégorie de la population ne pourra plus accéder à certains biens. À ceux-là, il faudra expliquer qu’ils devront habiter à 40 kilomètres de leur lieu de travail. Une aberration pour une loi écologique que de contraindre les habitants à allonger leur trajet domicile-travail.
« Je ne comprends pas qu‘une région dont le nombre d’habitants va augmenter ait la même contrainte de densification qu’une autre qui va en perdre »
Sur votre territoire du Sicoval, qu’en est-il de la consommation foncière ?
Nous avons déjà commencé à la réduire. Par exemple, nous pratiquons le bimby, c’est -à-dire la division parcellaire pour densifier et limiter l’étalement urbain. Cela a été d’abord le cas sur ma commune d’Ayguesvives, à Escalquens, ou encore à Odars, et maintenant toutes les communes s’y mettent. Mais la loi Climat et résilience ne tient pas compte des efforts déjà réalisés, ce qui est détestable ! Ainsi, une ville qui aura mené une politique volontariste en la matière aura le même crédit qu’une autre qui n’aura pas été vertueuse… Ce n’est pas normal ! Bien sûr, nous respecterons la loi et, en 2030, nous aurons réduit notre consommation foncière de 50%, mais ce sera peut-être aux dépens d’une mixité sociale judicieuse, d’une industrialisation locale ou de créations d’emplois sur les bassins d’habitation…
Que demandez-vous à l’État ?
De considérer différemment les régions car leur trajectoire d’accueil va être inégale. Qu’il partage les crédits d’artificialisation en fonction des particularités et des besoins de chaque région et donc qu’il alloue plus de crédits à l’Occitanie. Qu’il prenne en compte le caractère exceptionnel de notre région, et de la Haute-Garonne plus spécifiquement. Je ne comprends pas qu’une région dont le nombre d’habitants va augmenter ait la même contrainte de densification qu’une autre qui va en perdre. Cela se négocie au niveau national… encore faut-il connaître les règles du jeu.
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