En offrant aux spectateurs de participer à la conception loufoque d’une théorie complotiste, le seul-en-scène Complots Industries détricote avec humour les mécanismes qui nous poussent à adhérer aux théories les plus fumeuse. Un antidote précieux au complotisme.
Réunion de crise. Le pôle création de la société Complots Industries est en alerte. En effet, tous les scénarios de vérités alternatives rédigés par ce service ont été refusés par la direction. En 55 minutes, Pierre Olivier Bellec, co-auteur et comédien du seul-en-scène humoristique Complots Industries, va devoir composer la nouvelle théorie qui alimentera les élucubrations de la communauté complotiste.
Un défi que cet employé fictif de l’une des plus secrètes entreprises du monde va tenter relever en s’appuyant sur l’imagination des spectateurs. Que ce soit lors de représentations tout public au théâtre ou dans des salles de classes lors d’interventions en milieu scolaire.
Ainsi, à la manière des matchs d’improvisation, le public est ponctuellement sollicité pour donner les motifs sur lesquels se tisse la trame narrative. « Je lui demande notamment de me proposer une victime, un coupable et un mobile. Ce sont les éléments de base qui me permettent de créer un complot bidon », explique le comédien de la Compagnie Avant l’incendie, à l’origine du projet.
« Nous avons fait confiance au jeu et à la magie du théâtre »
Un Père Noël voleur d’enfants, Bob Marley victime des Mayas ou un Poutine anthropophage qui cherche à lutter contre sa calvitie en dévorant de la chair humaine… Les théories conçues au sein de Complots Industries sont systématiquement plus fantaisistes que convaincantes.
En effet, ce spectacle initialement conçu pour un public scolaire n’a pas pour objectif de réfuter les théories existantes, mais plutôt de décrypter les mécanismes qui nous poussent à y adhérer. Et, selon Pierre Olivier Bellec, de poser les jalons d’une hygiène intellectuelle.
« Nous voulions surtout éviter la posture morale consistant à dire : ”tout ça c’est des conneries et ceux qui y croient sont des idiots”. Nous n’avons pas de solution définitive à donner. Seulement deux ou trois balises permettant d’éviter de tomber dans un raisonnement biaisé », précise le comédien qui confie avoir été lui-même parfois tenté par certaines de ces théories. Notamment dans les premiers temps de la crise sanitaire. « L’être humain à horreur du hasard. C’est une explication qu’il a du mal a accepter. C’est alors qu’on entend les fameux : ”C’est bizarre”.. ou ”comme par hasard” », observe-t-il.
Alors, plutôt que de s’embourber dans de grands raisonnements, Pierre Olivier Bellec et Victor Ginicis, co-auteur et metteur en scène du spectacle, ont fait le pari de l’humour et de la fantaisie. La terre est plate ; les premiers pas de l’homme sur la lune ont été filmés en studio par Stanley Kubrick ; l’Australie n’existe pas… Pendant la première partie de son solo, le comédien fait l’inventaire des théories les plus répandues… et fumeuses.
« L’être humain à besoin de fiction pour se rassurer »
« Nous avons fait confiance au jeu et à la magie du théâtre. Pratiquement sans décor ni accessoire, afin que le spectacle puisse être joué dans une salle de classe, j’incarne tour à tour une fusée en plein décollage, Neil Armstrong en apesanteur, Stanley Kubrick mettant en scène l’alunissage d’Apollo XI ou des complotistes en pleine falsification de preuves », énumère-t-il. Une performance jubilatoire pour le comédien comme pour son public.
Néanmoins, afin de renforcer la dimension pédagogique de leur proposition, les deux complices, ont fait appel à Nicolas Lafforgue, comédien, musicien et, surtout, titulaire d’un master en Histoire. Ce dernier étant chargé d’assurer la deuxième partie du spectacle Complots Industries. « Après mon solo, il prend une heure pour décortiquer ce qu’est une théorie du complot. Et, surtout, il confirme que tous les chiffres et données que l’on a présenté pendant le spectacle sont vrais », explique Pierre Olivier Bellec. Car cela semble invraisemblable mais, selon une enquête de l’Ifop pour la fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch, 65 % des français seraient tentés de croire à, au moins, une théorie qualifiée de complotiste.
« L’être humain à besoin de fiction pour se rassurer. Surtout quand il est confronté à des problèmes complexes. La difficulté, c’est de trouver l’équilibre. On peut douter et s’interroger, mais il faut un cadre. C’est l’art de ne pas être crédule sans tomber dans un scepticisme systématique », analyse Pierre Olivier Bellec. Une discipline intellectuelle dont il espère partager les rudiments en faisant pénétrer le public au cœur de la machine à complots. Car le meilleur moyen de cesser de croire aux théories complotistes est, peut-être, d’apprendre à les créer soi-même ?
Prochaines dates : Le 20 mai à 19h au Centre Culturel Renan (tout public) / Le 17 juin à 19h à la résidence universitaire de Chapou (tout public)
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