Un récent rapport sur l’aide sociale à l’enfance a été rendu public ; il révèle de nombreux dysfonctionnements. Et le phénomène n’est pas nouveau. Le Toulousain Rémi Benoit, placés durant seize ans, en témoigne dans son livre “Alors, heureux ?”.
Un rapport de la commission d’enquête sur la protection de l’enfance a récemment été rendu public. Celui-ci dresse « le constat d’une action publique profondément et structurellement dysfonctionnelle et d’un manque chronique d’implication de l’État » et formule 92 recommandations. Rapport que Rémi Benoit a lu avec attention, lui qui a été directement concerné par les problèmes au sein de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Ce photographe toulousain a effectivement été placé de ses deux ans et demi à sa majorité, soit de la fin des années 60 au milieu des années 80, après avoir été retiré à ses parents « au comportement instable » qui ne pouvaient s’en occuper. Un parcours de vie qu’il raconte dans son livre “Alors, heureux ?” publié en autoédition et réimprimé en février 2025. « J’avais besoin de raconter toutes ces choses qui n’avaient pas lieu d’être », livre Rémi Benoit qui a vécu la séparation avec ses parents, mais aussi avec ses sept frères et sœurs répartis dans des établissement différents, puis les maltraitances dans les foyers où il subit humiliations, coups, isolement, violences sexuelles…
Un travail qui a eu un effet cathartique. « Ça m’a fait du bien », confie le photographe qui s’est appuyé sur ses souvenirs et, surtout, son dossier administratif qu’il a pu consulter aux archives départementales en 2023 pour écrire son livre. « C’est assez solennel comme démarche. Il faut tout d’abord remplir un formulaire sur le site des archives. Lorsque la demande est acceptée, il faut ensuite réserver un créneau. Le jour du rendez-vous, durant lequel on peut être assisté par un référent à l’ouverture du dossier, on est conduit dans une salle de lecture où on peut consulter les différents documents. Mais on ne peut pas avoir de veste, ni de stylo pour éviter tout vol ou modifications des documents. On a juste un crayon à papier et une feuille volante. J’avais également un appareil afin de prendre des photos », témoigne-t-il.
Dans son dossier, Rémi Benoit retrouve, entre autres, des comptes-rendus d’assistantes sociales qu’il a décidé d’intégrer dans son livre. Et le contraste entre ce dont elles font état dans leur rapport et ce que le Toulousain peut raconter de son enfance est frappant. « Je ne leur parlais pas. Et elles ne rapportaient que ce qu’on disait et ce que leur disaient les adultes. C’est tout. Je pense qu’elles savaient certaines choses, mais elles n’ont pas noté, par exemple, qu’on m’avait retiré des bonnes sœurs pour cause de maltraitances. Même si j’aurais aimé qu’elles l’écrivent, ça aurait confirmé ce que j’ai vécu. Toutefois, qu’il soit décidé de me retirer de chez les bonnes sœurs en plein milieu de l’année scolaire, laisse deviner ce qu’il se passait », estime Rémi Benoit qui sera, tout au long de son enfance, ballotté de foyer en foyer. La maison d’enfants “Notre-Dame” à Montauban-de-Luchon, le centre d’accueil “l’Oustal” à Lévignac-sur-Save, la famille d’accueil Magnoac à Escanecrabe, le foyer “l’Accueil Toulousain” à Aucamville…
Problème qui est toujours d’actualité puisque la France est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de placements d’enfants en établissement. Malgré tout, ce qui a été le plus difficile pour le Toulousain est d’avoir été séparé de ses frères et sœurs. « Il y a eu des erreurs », regrette Rémi Benoit qui note d’ailleurs que le rapport de la commission d’enquête « évoque les séparations de fratrie », tout comme le manque de moyens. « Il n’y en avait déjà pas à l’époque. On n’avait pas d’équipement. Il n’y avait même pas de table ping-pong. Pour y jouer, on rassemblait des tables de la salle à manger et on y posait un carton en guise de filet. On allait bien à la piscine municipale et on jouait au foot, mais pour moi, qui aimais la musique, j’aurais aimé pouvoir pratiquer un instrument. Cela n’a pas été décelé par l’aide sociale à l’enfance », déplore le photographe qui « éprouve une forte frustration » face à cet acte manqué, lui qui aurait aimé être musicien.
« On est des sommes à gérer pour l’ASE. On est juste nourri, logé, blanchi », dénonce Rémi Benoit mais « il n’y a pas d’affection ». « Je pense que je n’ai jamais été pris dans les bras », livre Rémi Benoit qui estime ne « pas avoir été couvé dans le bon sens ». « C’est une forme de bulle protectrice l’aide sociale à l’enfance. Mais quand on en sort, c’est assez perturbant », révèle le photographe qui se souvient avoir « tourné mal à un moment donné », en faisant notamment référence aux larcins qu’il a pu commettre. « Quand on t’enferme dans un placard à quatre ans, tu deviens soit barjot, soit un criminel », estime-t-il. C’est son travail dans la création qui l’a sauvé. « Je ne sais pas comment j’aurais vécu sans ça », considère Rémi Benoit. Toutefois, il refuse de se montrer vindicatif, notamment envers ses parents, aujourd’hui décédés, qui ont également été des enfants de l’Assistance publique.
« On a beau dire, s’ils n’avaient été pas défaillants, nous ne serions pas passés par là. Mais connaissant leur parcours, j’ai de la compréhension et même de la compassion », indique-t-il. Quant à l’aide sociale à l’enfance, le photographe regrette tous ces « multiples placements » et qu’elle n’ait pas « au moins laissé la fratrie ensemble ». Mais il affirme ne pas ressentir « de rage, ni de colère ». Ce qui se ressent dans son livre qu’il a voulu écrire « comme un voyage » plutôt que comme un pamphlet. « Quelle expérience d’avoir vécu dans une ferme, puis chez des nonnes, dans un foyer et chez ma mère prostituée. C’est dingue pour un gamin, même si c’est un monde qui ne fait pas rêver », déclare-t-il avant d’ajouter : « Mais c’est mon histoire. Elle est ce qu’elle est et je ne peux pas la rejeter ». Une histoire malheureuse qu’il a « essayé de transformer en quelque chose de positif à travers son livre ». Et c’est chose réussie. « Des gens que je ne connaissais pas m’ont remercié pour mon récit », révèle Rémi Benoit qui, s’il ne dit pas s’il est heureux, est, en tout cas, en paix.
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