Léonard Bertos, écrivain toulousain, sort un nouveau roman mettant la power-fantasy au service de la déconstruction sociale. Un livre d’aventure particulièrement contemporain, aussi gênant que déroutant, et très allégorique.
« Le journal de Fersac, c’est l’histoire d’un orc cherchant à se faire une place dans une société civilisée ». Léonard Bertos résume ainsi son dernier livre. Un épais roman fantastique édité par Hugo Stern sous forme de récit d’aventures, à mi-chemin entre l’analyse d’une époque et l’histoire de monstres. « L’orc est une incarnation de l’altérité. Son regard met l’humanité face à elle-même ». Et le reflet aperçu dans les yeux de Fersac, une créature incarnant le virilisme même, est particulièrement dur.
Le roman prend la forme d’un récit subjectif découpé en quatre livres, racontant l’histoire du narrateur nommé Fersac. Sa découverte de la civilisation humaine de Saturnia prend un tragique tournant quand, apprenant qu’une comtesse est tombée enceinte de lui, il doit partir à sa poursuite à travers le monde pour la sauver des nombreux seigneurs voulant la revendiquer, elle et son enfant à naître, par intérêt politique. En effet, ils pourraient ne pas apprécier la surprise de sa descendance. Tout au long de ce périple, le héros va découvrir l’univers imaginé par Léonard Bertos, inspiré de classiques du genre comme les ouvrages de JRR Tolkien ou le jeu vidéo Morrowind, et de nombreux personnages.
« Fersac est un protagoniste pétri d’humiliations. À commencer par la honte de soi face au reste de la société dans ce qu’elle porte comme normativité », résume l’auteur. En effet, la saveur du journal passe par le fait que les personnes qui croisent la route de l’orc ne connaissent pas la honte. Certains comprennent qu’ils devraient être embarrassés par leurs actes et essaient de se racheter. « D’autres ont conscience qu’ils devraient être frappés d’opprobre, mais sont trop puissants pour agir en conséquence. C’est fondamentalement un récit sur ce thème. Une histoire de monstre débordante de violences et de situations ridicules ».
D’ailleurs, l’ouvrage est destiné à un public averti. Le texte est parsemé de brutalité et de sexualité crues. La couverture, elle-même, est un avertissement. L’orc, dessiné par l’auteur lui-même, est entouré de lames menaçantes dont une pointe sous sa propre gorge. « Comme s’il signifiait que personne ne pouvait lui faire plus mal que ce qu’il s’inflige lui-même ». De fait, un petit texte figurant au début de l’ouvrage, prévient les âmes sensibles, souhaite une agréable lecture cathartique et qualifie les pages qui suivent comme étant réservées aux « plus braves ou aux plus malsains ».
Et si, le Journal de Fersac est une démarche purement artistique, entreprise sur cinq années, elle s’inspire de réflexions introspectives. « J’ai écrit cette histoire après mes études, quand j’étais au plus mal. Mon but, à l’époque, était simplement d’explorer, avec le plus de sincérité possible, mon état mental. C’est une expérience que je ne pourrai jamais reproduire, car elle est le témoin d’une période précise de ma vie. Ce que j’espère, c’est que les gens qui se sentent seuls et pris au piège de la précarité pourront trouver un peu de courage à la lecture ».
En découle, la dédicace de début de livre. Un petit bout de phrase fort de sens : « À ceux qui ne s’en sortent pas ». Non pas à ceux qui se reconnaissent, par exemple dans les caractères pervers et violents des personnages, mais à ceux qui luttent et se cherchent eux-mêmes. « Toute une nuance ». Cette dédicace et le propos du livre revêtent une importance particulière dans le contexte actuel. Car les critiques attendent au tournant tout artiste mettant en avant des comportements condamnables. Dernier exemple en date, l’auteur de bandes dessinées Bastien Vivès avait été déprogrammé du festival d’Angoulême suite à la gronde entourant certains de ses dessins mettant en avant la pédophilie.
Léonard Bertos, lui, porte sciemment une approche opposée : « Du moment que l’auteur prend le parti d’être le plus sincère possible, il écrira forcément des choses inavouables. Il existe une tradition littéraire en France qui le permet. Le problème vient du positionnement. Il faut être dans la conscience de soi, partager les problèmes pour pouvoir les traiter, là où d’autres encensent et valorisent ces parts sombres d’eux-mêmes. En revanche, il faut préserver le droit des gens à ne pas voir certaines choses ». D’où l’importance des paragraphes de contextualisation en préambule.
Aujourd’hui, l’auteur va mieux. « J’ai remplacé l’écriture automatique et guidée par le mal-être par des sentiments positifs ou de révolte ». Mais Fersac le suivra sans doute pour toujours : « J’aime bien coiffer ma moustache comme si c’était des cornes de sanglier », comme un dernier reste de son personnage, quelque peu autobiographique, dont il sera dépossédé par l’interprétation que les lecteurs en feront.
Le livre est, depuis peu, disponible en précommandes. Pour une disponibilité effective prévue début juillet sans date exacte.
Adrien Pateau
Depuis l’an 39 du Troisième Empire, les orcs nés sur le territoire saturnien sont considérés comme citoyens. Ces cahiers et feuilles volantes que nous avons rassemblées constituent, fait unique, un journal de voyage écrit par un orc du nom de Fersac gro-Bagrosh. Fersac, jeune chasseur du Clan Bagrosh, qui à l’aulne de ce nouveau droit, fut chargé par son chef de la mission de découvrir comment un orc de l’Union Clanique allait pouvoir s’intégrer à la société saturnienne. En tirant naïvement ce fil, Fersac était loin de se douter de quelles atrocités il allait être le témoin, la victime, et l’auteur. Le Journal raconte la déroute d’un jeune orc qui tente d’échapper au destin que sa naissance lui réserve. Un roman sombre et grotesque réservé à un public adulte et averti.
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