L’ancienne athlète, Sandra Forgues, est la marraine de la 30e Marche des Fiertés à Toulouse. Retour sur son parcours, de sa médaille d’or aux Jeux d’Atlanta en 1996 à son coming-out transgenre.
« C’est un honneur », déclare Sandra Forgues. L’ancienne athlète transgenre est la marraine de la 30e édition de la Marche des Fiertés à Toulouse qui aura lieu ce samedi 7 juin. « La Pride, sous son côté festif qui peut parfois apparaître un peu démesuré, est surtout une commémoration des événements de Stonewall (affrontements entre les clients d’un bar gay de New York, le Stonewall Inn, et les forces de l’ordre qui ont eu lieu dans la nuit du 28 juin 1969 après une descente de la police, NDLR). Derrière cet événement, il y a donc nos aînés qui ont souffert, ont été emprisonnés et dont les vies ont été brisées à cause de l’homophobie et de la transphobie. Ma participation à la Pride est un hommage à toutes ces personnes qui ont osé s’afficher et ont subi des moments terribles pour que nous puissions vivre », déclare Sandra Forgues avant de rappeler : « La seule revendication de la communauté LGBTQIA+ est d’exister et d’avoir les mêmes droits que n’importe qui ». En la choisissant comme marraine, l’association Pride Toulouse, qui organise l’événement, « a souhaité mettre en lumière une personnalité charismatique et au parcours extraordinaire ».
Extraordinaire, c’est le mot. D’abord, la Tarbaise Sandra Forgues a obtenu, avec Franck Adisson, une médaille d’or de canoë-slalom aux Jeux Olympiques d’Atlanta en 1996. « J’ai rencontré mon équipier lorsque nous étions en catégorie cadet. Nous avions alors 13 ans. Deux ans après, nous étions champions du monde junior et puis tout s’est très vite enchaîné. Nous sommes devenus champions du monde senior et avons décroché une médaille d’or olympique », raconte Sandra Forgues qui a réalisé sa carrière sportive de céiste dans la catégorie masculine avant sa transition. « À ce moment-là, je pensais que je pouvais guérir. Mais on ne guérit pas de soi-même, on est soi-même », confie celle qui est aussi l’une des premières grandes championnes à avoir annoncé son coming-out trans en 2018. Une « grande libération » pour Sandra Forgues qui, alors âgée d’une quarantaine d’années, se débarrasse enfin « du personnage qu’elle a créé pour montrer à la société, à ses parents et à elle-même qu’elle était un homme ».
« On ne connaissait rien sur la transidentité quand j’étais jeune. C’était encore considéré comme une maladie mentale. Le mot n’existait même pas d’ailleurs, on parlait de transsexuel et d’un certain nombre de choses. Quand j’ai vu dans une glace que je n’étais pas une fille, alors que je voulais en être une, j’ai donc tout fait pour construire un personnage de garçon », confie l’ancienne athlète qui « a longtemps résisté jusqu’au jour où elle tombe en dépression sans s’en rendre compte ». « J’ai compris que j’étais une personne transgenre. J’avais alors toutes les informations nécessaires à ce sujet avec Internet. Mais je tremblais sur place, j’étais perdue », se souvient-elle. Sandra Forgues hésite alors à se lancer dans une transition. « J’ai pensé écrire une lettre, que les gens liraient à mon enterrement, et dans laquelle je raconterais que j’avais vécu une vie heureuse parmi mes proches, mais, qu’en fait, je n’avais pas vécu ma vie. Puis j’ai imaginé leur réaction, qu’ils se demanderaient pourquoi je n’avais pas fait ma transition. Et donc, je me suis dit qu’avant de mourir, j’allais la faire », rapporte l’ex-athlète.
Autre difficulté, et de taille : faire son coming-out médiatique. « Quand j’ai fait ma transition, je ne mesurais pas ce que cela impliquait. Puis, au fur et à mesure, je me suis rendue compte du poids qui pesait sur ma personne. Je me voyais fuir au Canada, y faire des ménages. J’étais prête à refaire ma vie et à vivre dans des conditions moins faciles, mais dans lesquelles je me retrouvais », livre Sandra Forgues. Mais elle ne fuit pas et décide d’annoncer sa transidentité dans un article de L’Équipe. « J’ai été championne olympique, c’est quand même un pari plus fou. Donc je me suis dit que j’allais le tenter », révèle-t-elle. L’ancienne kayakiste affirme ne « pas avoir pâti d’une médiatisation négative », même si l’article a été repris « partout et en boucle, que ce soit dans la presse people ou les journaux télévisés ». « Une fois cette grande vague passée, ça a été plus facile à vivre parce que les réactions étaient très positives », assure Sandra Forgues. Quant à son entourage, il a été « un vrai soutien dès le départ » de sa transition.
Toutefois, la médaillée olympique avoue : « Pour mes deux enfants, cela a été très compliqué. C’était ma grande crainte, mais je le comprenais entièrement. Et, si ça a pris un certain temps, tout est rentré dans l’ordre à présent. Pour mes parents, ça a également été compliqué au début. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir un entourage qui est très bienveillant ». Entourage avec lequel elle partage la passion du sport. « Pas plus tard que ce week-end, j’ai fait une descente en kayak sur l’Aude en famille. C’était vraiment génial », sourit Sandra Forgues qui a aussi pu refaire du kayak avec Franck Adisson à l’occasion du parcours de la flamme olympique dans les Hautes-Pyrénées le 19 mai 2024. Elle était la pagayeuse du canoë qui filait sur l’Adour à Bagnères-de-Bigorre, tandis que son ancien coéquipier portait la torche. « J’ai vécu un moment vraiment extraordinaire », livre-t-elle avant d’ajouter : « Ça m’a tellement replongée dans mon passé, non pas dans ce que j’étais, mais dans ce que je faisais. À tel point qu’aujourd’hui, je revis mes souvenirs comme si je les avais vécus en tant que Sandra, en tant que celle que je suis aujourd’hui. Et j’ai eu une vie extraordinaire ».
Outre le kayak, Sandra Forgues fait du handball féminin en club. « Le sport, ça ne m’a jamais lâché et ne me lâchera jamais. Je crois que j’en ferai jusqu’à ma dernière heure », rit celle qui se verrait bien vivre « 300 ans de plus », maintenant que « cette tristesse qu’elle avait au fond d’elle a complètement disparu ». « Tous les matins, je souris. Être soi-même, ça n’a pas de prix », considère l’ancienne kayakiste. Aujourd’hui, elle ne se bat plus contre elle-même, mais contre les « injustices », dont elle a « horreur », et « pour la vérité ». « J’en ai marre d’entendre des inepties », lâche Sandra Forgues qui poursuit : « Il faut arrêter de penser qu’une femme trans est un homme. Parce que d’abord elle a un cerveau de femme. C’est avéré ». Elle rappelle aussi qu’une personne transgenre « l’est dès la naissance ». « Je n’ai pas choisi d’être gauchère. J’ai dû faire avec. La transidentité c’est pareil », soutient Sandra Forgues qui s’est donnée comme rôle « d’éduquer les gens » au sujet de la transidentité. « Il y a un devoir de leur apprendre des choses et de les acculturer », considère l’ancienne athlète, même si elle « préférerait ne pas avoir à expliquer tout ça ».
« Mais, quand ça crée de l’injustice et des souffrances, il le faut », appuie-t-elle. Et cela concerne notamment le monde sportif. Sandra Forgues a d’ailleurs été co-présidente de la commission ministérielle sur la transidentité dans le sport de haut niveau, dont le rapport souligne « la nécessité d’une approche non dogmatique et fondée sur les connaissances scientifiques pour résoudre les divergences ». « J’ai été invitée à étudier ce phénomène-là. Et le fait est qu’il y a une très grande possibilité d’inclusion des personnes trans dans le sport, avec évidemment quelques règles et vérifications à opérer. Mais la grande majorité des sportives trans ne remettent pas en cause l’équité dans la catégorie féminine », certifie l’ancienne céiste qui est toujours présidente du conseil d’administration du CREPS et travaille en tant que responsable du système d’information de l’entreprise adaptée DSI. Pleinement « épanouie » dans son quotidien, Sandra Forgues souhaite à présent que la transidentité ne soit « plus un sujet ». « C’est comme ça, ça arrive. Et c’est normal », conclut-elle.
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