L’association Toulouse Last Stock réunit chaque semaine plus d’une centaine de personnes dans des tournois du jeu vidéo Super Smash Bros. Charles Van Est est un des meilleurs compétiteurs. Petit zoom sur un e-sportif passionné par un loisir de plus en plus démocratisé.
La franchise de jeu vidéo Super Smash Bros fait office d’incontournable dans le paysage vidéoludique. Les chiffres de ses ventes révélés par Nintendo hissent même le dernier volet (Super Smash Bros Ultimate) à la 20e place des jeux les plus vendus au monde (plus de 30,4 millions d’exemplaires). Un succès rendu possible par la formule même du jeu : des combats très dynamiques où s’affrontent des personnages cultes de la pop culture comme Mario, Sonic ou Pikachu.
L’engouement est tel que les joueurs organisent de nombreuses compétitions. Qu’elles soient internationales comme la Genesis 9, qui s’est tenue le 23 janvier dernier et qui a rassemblé plus de 1 200 joueurs à San José en Californie, ou locales comme les tournois de l’association Toulouse Last Stock. Leurs événements hebdomadaires rassemblent plus de 100 personnes chaque jeudi au Game O’Clock, un bar de 300 m² situé au 10 boulevard d’Arcole à Toulouse.
Il faut s’imaginer des dizaines d’écrans, des manettes moites de sueur et des joueurs concentrés qui s’affrontent devant une foule passionnée dans une ambiance à la fois compétitive et bon enfant. Et, parmi eux, Charles Van Est est une sommité. C’est d’ailleurs le dernier vainqueur du “Stock O’Clock”, le tournoi qui a eu lieu le 14 avril dernier.
Ce Toulousain de 18 ans habite Montgiscard, suit des études en design graphique à l’ESMA d’Auzeville, et ne voit pas la compétition sur Smash Bros comme un simple passe-temps, mais bien comme une passion. Celui qui se fait appeler “Oxyzz” était en cinquième la première fois qu’il a essayé de mettre de se mesurer virtuellement à un adversaire bondissant. « J’ai découvert ce jeu chez des amis. Nous avons joué, ils m’ont écrasé, je n’ai rien compris. Par la suite, j’ai essayé d’en savoir plus sur ce jeu, pour ne plus perdre, et ça a été un vrai coup de cœur ».
À l’époque, il jouait sur l’itération 2008 du jeu (Super Smash Bros. Brawl sur Wii) et s’est très vite mis à s’entraîner sur l’édition suivante (Super Smash Bros. 4 sur Wii U et 3DS). « J’ai de suite été séduit par ces affrontements un peu aériens, où il faut lutter en sautant de plateforme en plateforme. C’est intuitif et facile à comprendre, contrairement à beaucoup de jeux de combat, il y a une grande liberté de mouvement. Il y a toujours des retournements possibles. Même mis en mauvaise posture, il est toujours possible de gagner ! » explique-t-il.
Toutefois, un entraînement conséquent est nécessaire. Chaque personnage du jeu, ils sont 80, lutte avec son propre style. Certains se battent à l’épée, d’autres avec leurs petits poings et certains avec des armes à distance. Les joueurs doivent donc s’entraîner avec un ou deux personnages afin de les maîtriser parfaitement. Charles Van Est a choisi Donkey Kong, le célèbre gorille de Nintendo, souvent dans une déclinaison toute violette et à la cravate jaune. Il l’aime pour son aspect polarisant : « Il peut encaisser beaucoup de coups et dispose de beaucoup d’outils pour rendre au centuple ce qu’il a subi ». Donkey lui a servi , en quelque sorte, de mentor pour apprendre à rester calme, à accepter les phases de jeu difficiles et à en profiter pour analyser l’adversaire.
Lors des gros tournois régionaux, Charles Van Est revêt même la fameuse cravate rouge signée “DK” en lettres dorées de son personnage. Un cadeau fabriqué avec beaucoup d’affection par une grande fan : sa mère. « Elle m’a aussi confectionné une casquette, des chaussures, des peintures, des poteries… Elle est encore plus fan que moi ! » constate-t-il en souriant. Un soutien de tous les jours, inconditionnel, devenu légendaire parmi les joueurs toulousains. Ils l’appellent la “DK Mom”. « Elle vient parfois assister aux rediffusions des matchs sur Twitch et discute dans le tchat avec les spectateurs et les commentateurs. Ils la connaissent. Smash est devenu une histoire de famille ! »
Tant et si bien que l’entourage du garçon s’intéresse de plus en plus à cette activité. « La communauté toulousaine est composée de gens adorables. Ils me motivent à venir chaque semaine et à attendre le jeudi soir avec impatience ! » Le Montgiscardais a ainsi pu lier de solides amitiés et se créer des souvenirs mémorables. « Pour mes 18 ans, ma mère m’a fait la surprise d’inviter chez moi plein de Smashers ! Je suis rentré, et ils me regardaient tous depuis le balcon. Nous avons joué toute la nuit, ils m’ont signé un méga t-shirt, c’était trop bien… »
Si beaucoup de clichés entourent les univers geeks, l’association “Toulouse Last Stock” (TLS) entend bien montrer une image positive de la communauté des gamers. Les soirées organisées par le collectif se veulent agréables et inclusives. « La TLS veut préserver l’intégrité de tout le monde en transmettant de bonnes valeurs, comme celles du respect des droits des personnes LGBT », résume Charles Van Est. Le tout, en permettant un cadre de rivalité sportive.
« Avec 96 participants maximum chaque semaine, nous sommes une des villes les plus actives du pays. Il y a un très bon niveau à Toulouse. L’équipe a encore du mal à gagner en déplacement dans d’autres régions mais cela nécessite juste de l’entraînement et de l’endurance mentale. Il faut rester concentré tout le long des tournois pour réussir à comprendre des stratégies de jeu de nos adversaires ».
Charles Van Est a presque une vision d’athlète de sa passion, il défend l’e-sport : « Smash, c’est un peu comme de la boxe mentale ! Certes, il n’y a pas de vrais efforts physiques, mais après tout, la pétanque ou le golf sont considérés comme des sports. » Pour lui, aucun autre exercice physique n’a été aussi efficace pour travailler sa concentration, sa motivation et son impassibilité : « Ce n’est pas pour rien si Smash est une discipline phare de l’e-sport ».
En termes de résultats, le singe piloté par Charles Van Est a remporté quelques tournois hebdomadaires et a déjà fini finaliste lors d’un tournoi régional en 2022. Mais c’est à charge de revanche : les challenges sportifs épicent le jeu. Le gamer a même des rivaux : « Avec Sirove, qui est sur Paris, nous nous faisons la guerre pour savoir qui est le meilleur joueur de Donkey Kong en France ! Et puis, il y a Kid, le meilleur joueur de la Ville rose. Il nous a tous appris l’humilité, du haut de ses 15 ans. »
Car l’adversité est source de motivation. Jusqu’à l’apparition du Covid, Charles Van Est jouait au basketball et se délectait des duels en un contre un. « J’essaie toujours d’être meilleur que l’autre, et de m’améliorer quand je ne le suis pas. C’est comme ça que Smash m’a happé et a changé ma façon d’appréhender les choses. Ça m’a aussi apporté le respect des gens et les valeurs du sport. Avant Smash j’étais juste un petit con ! » se souvient-il.
Mais la suite logique n’est pas vraiment une carrière rémunérée. « C’est encore très compliqué de devenir pro ou semi-pro. Je me concentre sur mes études de graphiste. Surtout que Nintendo, l’éditeur, ne soutient pas vraiment la scène e-sportive. Mais tout ce qui compte, c’est de prendre du plaisir tous ensemble et de continuer à rendre ma mère fière. »
Adrien Pateau
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