Lorsque la profession le permet, le télétravail est désormais rentré dans l’air du temps. Il a même participé à modifier les habitudes, l’organisation de chacun et la manière dont les salariés évoluent dans leur propre domicile. L’Agence d’urbanisme et d’aménagement de Toulouse (AUAT) a mené une étude auprès d’habitants de l’agglomération afin d’identifier ces nouvelles pratiques. L’on y découvre des changements profonds dans la façon dont les actifs toulousains adeptes du télétravail abordent leur vie professionnelle et personnelle.
22% des salariés français ont télétravaillé chaque semaine en 2021, selon les chiffres de l’Institut national de statistiques (Insee). Ils n’étaient que 4% en 2019. En deux ans, le nombre d’actifs ayant recours à cette nouvelle pratique a donc été multiplié par cinq. Au mois d’avril 2021, jusqu’à 31% des salariés ont été concernés. « Il semble donc bien que les mesures prises dans le cadre de la crise Covid-19 ont eu un impact sur la diffusion du télétravail en France et sur son ancrage dans les pratiques de travail », analyse l’Agence d’urbanisme et d’aménagement de Toulouse (AUAT). Rappelons effectivement que du 29 octobre 2020 au 9 juin 2021, le télétravail à 100% était la règle pour tous les salariés qui pouvaient effectuer leurs tâches à distance.
Dans l’agglomération, l’AUAT estime à 24% les emplois dans lesquels les employés toulousains peuvent avoir recours au télétravail, soit 130 000 emplois. La tendance étant « en moyenne de un ou deux jours de télétravail par semaine », constate l’agence. Le recours, toujours plus important, à cette pratique soulève ainsi plusieurs questions : celle de l’évolution du rapport au travail, mais aussi de l’organisation du quotidien. Ainsi, l’AUAT a mené une étude sur 42 habitants de l’aire métropolitaine afin d’identifier les modifications de comportements des salariés ayant recours au télétravail. De celle-ci émanent trois enseignements majeurs :
Certains salariés le pratiquent à 100%, d’autres une à deux fois par semaine. Peu importe la fréquence à laquelle les actifs y ont recours, les Toulousains interrogés sont unanimes sur la flexibilité qu’offre le télétravail. « Ils y voient l’opportunité d’organiser leur quotidien stratégiquement de manière à se dégager du temps pour d’autres activités », explique l’AUAT, qui observe que ceux qui ne télétravaillent pas du tout évoluent, la plupart du temps, dans des filières professionnelles qui ne le permettent pas. Une petite partie cependant pourrait travailler à distance mais ne le fait pas ; ceux-là ont souvent vécu de mauvaises expériences lors du confinement, à l’image de Manon, 22 ans, habitante de Colomiers : « J’avais quelques avantages mais j’ai vraiment mal vécu cette période. C’était horrible ! J’étais très seule. Je ne veux plus de télétravail, je ne veux pas être toute seule, je veux être avec des gens ! »
La majorité des télétravailleurs toulousains pratiquent “le télétravail stratégique”. Tout l’intérêt étant de bénéficier des avantages du lieu de travail et du domicile selon les besoins de son organisation personnelle. En effet, « faire le choix de travailler à la maison est souvent lié à la quête de gain de temps, particulièrement en réalisant ses tâches domestiques en parallèle de ses activités professionnelles de manière à se libérer du temps les soirs et le week-end », observe l’agence de l’urbanisme toulousaine. Quant à la présence au bureau, elle correspond à des besoins logistiques et techniques (réunions, utilisation d’outils…), mais surtout à un désir d’interactions avec les collègues. C’est ainsi que Maëva, 24 ans, qui habite le quartier Patte d’Oie à Toulouse, voit les choses : « J’aime bien cette flexibilité-là. Elle me permet de me mettre en télétravail quand j’ai des obligations. Si un jour j’ai pris un rendez-vous chez le médecin au milieu de la journée et que je reste en télétravail, cela ne dérange personne. C’est une question de communication pour prévenir et s’organiser. Mais j’aime bien aussi voir mes collègues. »
Et puis, il y a les télétravailleurs permanents. Il s’agit souvent de professionnels indépendants, qui pratiquent le travail à distance depuis longtemps, bien avant que la Covid ne les y oblige. « Pour la majorité d’entre eux, le télétravail fait partie intégrante de leur mode de vie, au point qu’il a influencé leur lieu de résidence ou l’aménagement de leur logement », analyse l’AUAT. Ceux-là disposent généralement d’un espace dédié à l’univers professionnel à l’intérieur même de leur domicile, voire même une pièce entière. Le travail fait ainsi partie intégrante de la vie de la maisonnée. Un véritable choix de vie.
Le principal avantage que relèvent les adeptes toulousains du télétravail reste donc la flexibilité. La possibilité de gagner du temps libre est omniprésente sous réserve d’une bonne organisation pour réaliser quand même les tâches attendues. « Certains interrogés ont fait part de leur(s) stratégie(s) pour pratiquer une activité sportive sur une pause repas rallongée, se rendre au marché tôt le matin ou prendre un rendez-vous médical dans la journée, quitte à organiser autrement sa journée de travail », affirme l’agence d’urbanisme. Tout est une question d’aménagement de son agenda, comme le confirme Sandrine, 55 ans, qui vit à Pibrac : « Le télétravail va me permettre de pouvoir faire mon ménage sur une journée complète, par petits morceaux, et de me libérer plus de temps le week-end, parce que je ne serai pas partie à 7h du matin, et pas rentrée à 18h en en ayant plein les bottes ; de faire mes courses entre midi et deux et d’avoir moins de monde ; de dire « Ah ! Il est 16h et il fait beau. Je raccroche et je reprends à 18h » et puis d’aller se balader ; de pouvoir caser des rendez-vous, et de pouvoir retravailler par la suite… »
En revanche, cette liberté dans l’organisation de son emploi du temps conférée par le télétravail peut aussi se transformer en inconvénient. Les horaires mouvants ne permettent plus de faire la différence entre les moments de la vie professionnelle et ceux de la vie personnelle. Les frontières deviennent ténues, qu’il s’agisse de temporalité ou même d’espace. Car lorsque le lieu de vie et de travail sont les mêmes, il devient difficile de faire la part des choses, l’un empiète sur l’autre, et vice versa. « Une absence de frontières concrètes entre les heures de travail et celles de non-travail peut être gênante parce qu’on peut se faire déborder. Quand on travaille chez soi, il me semble que c’est beaucoup plus difficile de déconnecter, le travail est sous nos yeux », témoigne Pascale, 53 ans, qui habite le quartier Saint-Cyprien à Toulouse.
Le secret réside alors dans les conditions d’exercice du télétravail. Celles-ci passant immanquablement par l’aménagement de son domicile. « La taille du logement, son niveau d’occupation, sa luminosité, l’environnement extérieur… Tous ces éléments sont autant de facteurs qui entrent en jeu dans l’appréciation de la pratique du travail à distance », constate l’AUAT au cours de son enquête. Ainsi, certains Toulousains qui pratiquent le télétravail ont investi dans du mobilier de bureau, quand d’autres réaménagent leur lieu de vie pour y intégrer un espace de travail. Les plus jusqu’au-boutistes ayant même réalisé des travaux d’extension pour construire une nouvelle pièce dédiée à leur travail. C’est le choix pour lequel a opté Fabrice, 44 ans, qui habite à Saint-Agne (Toulouse) : « Il me fallait absolument un espace dédié dans lequel je pouvais m’enfermer pour m’isoler. Dans notre projet de construction, il y avait vraiment un bureau dédié. Et quand on a acheté notre maison, nous avons fait construire la mezzanine qui est une pièce spécialement réservée au télétravail. »
Quand cela n’est pas possible pour des raisons budgétaires ou de place, il est indispensable de gérer la cohabitation des usages et des occupants d’un même espace. Lorsque l’on travaille au même endroit où l’on cuisine, ou que l’on pose ses dossiers et ordinateur sur la table du salon, il faut prendre la peine de débarrasser ses affaires pour que le lieu retrouve son usage initial à chaque fin de journée. Ceci pour le confort du télétravailleur comme de ceux qui évoluent dans la maison.
Autre dimension à ne pas négliger lorsque l’on télétravaille : la consommation d’énergie. Si le travail à la maison permet de réduire les dépenses liées aux transports, il ne faut pas oublier qu’il augmente celles liées à l’électricité du domicile. En restant à la maison, le télétravailleur consomme forcément plus : lumière, recharge de l’ordinateur ou du téléphone, chauffage… « Car le confort reste une condition essentielle à la bonne pratique du travail à distance », termine l’agence d’urbanisme.
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