Depuis le 1er septembre dernier, une nouvelle étape dans la mise en place de la Zone à Faibles Émissions (ZFE) a été franchie à Toulouse. Désormais, les utilitaires, camionnettes et camions arborant une vignette Crit’Air supérieure ou égale à 4 ne peuvent plus circuler à Toulouse. Une mesure qui touche directement les artisans qui se rendent en intervention ou sur chantier dans la Ville rose. Pour la Chambre de métiers et de l’artisanat de Haute-Garonne, cela va fortement impacter l’activité de certains corps de métier. Son président, Lucien Amoros, revient en détail sur l’impact de la ZFE de Toulouse sur les artisans.
Lucien Amoros, la Zone à Faibles Émissions (ZFE) est maintenant opérationnelle. Quelle est la proportion d’artisans concernés par cette mesure ?
Le ministère de la Transition écologique a publié des données qui montrent que, à ce jour, 16% des utilitaires du parc automobile de Toulouse, majoritairement détenus par des artisans, ne peuvent plus rouler dans leur propre ville. Si l’on étend l’observation de ces statistiques aux intercommunalités voisines, dans lesquelles sont basées de nombreux artisans intervenant régulièrement dans la Ville rose, le chiffre monte à 31%. Et en janvier 2024, quand plus aucun véhicule dont la vignette Crit’Air affichant une valeur supérieure ou égale à 3 ne pourra pénétrer dans Toulouse, 53% des utilitaires seront concernés. Heureusement, la majorité des utilitaires détenus par des artisans sont généralement classés Crit’Air 2 car il s’agit essentiellement de diesel (95% de la flotte), immatriculé après le 1er janvier 2011. Cela s’expliquant par la possibilité, jusqu’en 2022, de récupérer la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur ce type de véhicules. Quant aux utilitaires Crit’air 1 ou électriques, ils sont très rares (moins de 5%).
Quel est votre sentiment quant à cette mesure ?
Depuis la crise sanitaire et économique engendrée par la Covid-19, les entreprises sont très affectées. D’autant que les périodes d’instabilité se succèdent (guerre en Ukraine, augmentation des matières premières et de l’énergie…). Et même si l’on ne peut pas être contre une décision qui vise à faire en sorte que nous puissions mieux respirer, elle pèse énormément sur les artisans car elle se rajoute à des difficultés déjà importantes. Beaucoup vont mal le prendre ! D’autant plus quand les contrôles vont se mettre en place et que les amendes vont commencer à tomber. Autrement dit, si la mesure est salutaire, les modalités de sa mise en place et son calendrier sont peut-être trop compliqués pour les artisans.
Avez-vous des remontées des artisans concernant la ZFE mise en place à Toulouse ? Comment accueillent-ils la mesure ?
Pour l’instant, même si la ZFE est opérationnelle, les contrôles n’ont pas été mis en place. Les artisans ne subissent donc pas encore les conséquences, ce n’est pas encore concret pour eux. Elle ne fait donc pas partie de leurs préoccupations pour le moment, eux qui en ont déjà beaucoup à gérer. Mais, dans un an ou deux, lorsqu’ils recevront leurs premières amendes, j’ai peur que ce soit très compliqué ! D’autant que, d’après ce que j’ai compris, les contrôles seront menés via un système automatique. Ainsi donc, les artisans qui viendront tous les jours à Toulouse recevront à la fin de la semaine plusieurs contraventions. Je trouve cela assez brutal ! J’espère que les pouvoirs publics vont être conciliants dans un premier temps…
D’autres, et je pense notamment à ceux qui travaillent dans le bâtiment et qui assureront des chantiers hors zone ZFE, seront amenés à venir chercher du matériel à l’intérieur du périmètre et se feront surprendre, c’est sûr… Surtout que la signalétique n’est quand même pas très claire !
Sur les plus de 250 activités dans lesquelles évoluent nos artisans, chacun sera impacté différemment, voire pas du tout. Certains, comme les plombiers par exemple, ne gardent pas leurs véhicules très longtemps, ce qui les amène à disposer de Crit’Air 2 ou 1. Ceux-là n’auront donc pas de questions à se poser. En revanche, tous les métiers de service comme les coiffeurs à domicile, les couturières… vont subir rapidement et fortement ces nouvelles règles. De même que les professions, type maçon, qui utilisent des véhicules très spécialisés comme des bennes, des plateaux ou des toupies, et qui n’en changent pas fréquemment.
« Dans un an ou deux, lorsqu’ils recevront leurs premières amendes, j’ai peur que ce soit très compliqué ! »
Ceux-là disposent justement de dérogations ? Ces dernières sont-elles suffisantes pour permettre aux artisans de travailler ?
Les artisans disposant de véhicules très spécialisés, ou de véhicules-ateliers peuvent effectivement bénéficier d’une dérogation, mais uniquement pour trois ans. Le problème n’est ainsi que reporté. En dehors de ceux-là, aucun utilitaire, camionnette ou camion n’ont obtenu d’exception à la règle. Nous aurions entre autres apprécié une tolérance supplémentaire pour les “petits rouleurs”, comme cela est le cas à Montpellier. Est considéré comme petit rouleur le propriétaire d’un véhicule parcourant moins de 8 000 kilomètres par an.
Nous avons discuté avec la Mairie pour tenter d’obtenir des dérogations plus importantes, mais ils se sont montrés intransigeants. Toutefois, nous poursuivons le dialogue sur certains points problématiques comme cette fameuse dérogation “petit rouleur” ou encore l’aménagement d’heures durant les lesquelles plus de véhicules pourraient être exemptés, voire durant lesquelles les règles de la ZFE ne s’appliqueraient pas. De même, la dérogation qui a été accordée aux entreprises en cessation de paiement nous semble totalement inutile, celles-ci étant vouées à disparaître dans les mois qui suivent. Nous souhaiterions plutôt une exemption temporaire basée sur les chiffres des entreprises dont le bilan montrerait qu’elles n’ont pas les moyens d’investir dans un nouveau véhicule. Cela leur laisserait le temps de provisionner dans ce but. Si la Mairie ne veut pas entendre les situations différentes, mais logiques, les entreprises vont quitter le territoire, ou mettre la clé sous la porte. Nous allons faire de nouvelles propositions communes avec les organisations consulaires et les organisations professionnelles, pour ne pas que cette ZFE tue l’économie.
La dimension écologique de la ZFE est-elle entendue par les artisans ?
J’avoue qu’ils ont du mal à la saisir. Ils ne comprennent pas en quoi un véhicule vieux de 15 ans serait plus nocif qu’un Porsche Cayenne récent. Qu’ils sortent du pot d’échappement du premier ou du second, un kilo de CO² est un kilo de CO². Les artisans ont ainsi l’impression que l’écologie pure n’est pas le but de cette mesure mais qu’il s’agit de faire partir les activités économiques des villes pour qu’elles deviennent des havres de paix pour bourgeois. Les pouvoirs publics n’ont envisagé que le problème de la pollution locale, qui est réel, sans l’appréhender de manière globale. Ils ont imposé une contrainte, sans vraiment y apporter de solutions : les aides financières ne sont pas suffisantes, nous ne voyons pas de grande révolution concernant l’aménagement des pistes cyclables ou des transports en commun… Ainsi, les artisans ne comprennent pourquoi il leur est demandé un énième effort quand l’ensemble de la société ne semble pas avancer vers une réelle transition écologique.
Quel impact la ZFE de Toulouse va avoir sur l’activité des artisans ?
Les plus touchés seront sans nul doute les artisans de la mécanique ou de la carrosserie automobile installés dans la zone de la ZFE. Ceux-là travaillent essentiellement auprès de clients qui possèdent des voitures Crit’Air 3, 4 ou 5. Leur activité va s’écrouler et ils ne pourront même plus vendre leur fonds de commerce. Ensuite, comme nous l’avons vu, les artisans du bâtiment situés en dehors de Toulouse métropole qui ne pourront plus accéder à la ville, ni s’approvisionner en matériau. À terme, je pense d’ailleurs que les négoces en tout genre vont déserter Toulouse pour s’installer hors zone ZFE. Pour finir, les petits artisans qui interviennent à domicile vont également souffrir car ils officient souvent avec de vieux véhicules.
« Les artisans ne comprennent pourquoi il leur est demandé un énième effort quand l’ensemble de la société ne semble pas avancer vers une réelle transition écologique »
Quelle est la difficulté principale que pose la ZFE de Toulouse pour les artisans ?
Elle est bien sûr financière, mais également administrative. Les deux étant finalement liées. Il existe des aides aux professionnels pour leur permettre de changer leurs véhicules, mais elles ne sont pas suffisantes, pas assez incitatives pour passer à l’électrique. En effet, même avec un coup de pouce, le reste à charge est encore supérieur à un véhicule thermique. D’après nos simulations, pour l’achat d’un gros fourgon électrique neuf coûtant 55 000 euros, un artisan pourra prétendre à la prime de l’État à la conversion de 2 500 €, le bonus écologique de 2 000 €, la prime de Toulouse Métropole de 6 000 € et l’écochèque de la Région Occitanie de 3 000 €. Soit un total de 13 500€. Reste 41 500 € à décaisser. Sachant qu’un véhicule thermique coûte 33 000 €, les calculs sont rapides. Un artisan préfèrera opter pour un véhicule thermique Crit’Air 2, sur lequel il ne percevra aucune aide.
Les démarches pour obtenir des aides ne sont pas des plus simples non plus. En effet, si l’artisan veut pouvoir bénéficier des quatre existantes, il devra constituer quatre dossiers différents, avec des conditions différentes, dans des guichets différents. La Chambre de métiers et de l’artisanat, se propose d’ailleurs de devenir le lieu d’un guichet unique ce qui simplifierait grandement les choses pour les artisans.
A l’inverse de ceux qui vont subir, certains artisans vont-ils profiter de cette ZFE à Toulouse ?
Effectivement, certains ont saisi la perche et sont passés à l’électrique, mais leur part est tellement infime qu’elle en est invisible. Nous observons également des artisans, qui évoluent dans le tertiaire, passer à la cyclomobilité. Ce dernier phénomène n’est pas négligeable, d’autant que l’offre de vélos-utilitaires et de vélos-cargos électriques est maintenant intéressante. Cette tendance devient même un argument marketing.
Et les métiers évoluant dans la sphère du vélo vont, eux, fortement se développer. L’activité de l’industrie et des réparateurs de deux roues, par exemple, explose.
« Pour un guichet unique concernant toutes les démarches liées à la ZFE, et la mobilité de manière plus générale »
Quel est justement le rôle de la Chambre de métiers et de l’artisanat dans cette transition ? Quels accompagnements prévoyez-vous ?
Au mois de mars dernier, nous avons fait une étude auprès de nos ressortissants sur l’ensemble de la Haute-Garonne, et nous sommes aperçus que la moitié n’étaient pas au courant des nouvelles règles induites par la mise en place du dispositif, voire ignoraient même l’existence d’une ZFE à Toulouse. Le manque de communication et d’informations à ce sujet est criant. Nous allons donc marteler le message à nos artisans. À nous d’expliquer par exemple que, même s’il est cher à l’achat, un utilitaire électrique sera vite amorti. Au travers de réunions publiques, de newsletters…, nous allons rappeler les règles élémentaires de cette zone, leur expliquer les enjeux de cette révolution de la mobilité… Nous souhaiterions également devenir le guichet unique pour toutes les démarches concernant la ZFE, et la mobilité de manière plus générale. Une sorte de conseil en mobilité pour les entreprises qui permettrait aux artisans de réaliser un audit de leur structure, de choisir le meilleur mode de déplacement, de prendre connaissance de toutes les aides auxquelles ils ont droit… Un travail de longue haleine !
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