À 32 ans, Anissa Mekrabech est une cheffe d’entreprise avertie. Cette jeune Toulousaine, atteinte d’une surdité moyenne, est l’inventrice du masque inclusif. À travers son parcours, parfois sinueux, elle souhaite aujourd’hui démontrer qu’une success-story entrepreneuriale peut parfaitement s’écrire au féminin.
Déjà particulièrement recommandé depuis mars 2020, le masque devenait obligatoire dans tous les lieux clos accueillant du public le 20 juillet de la mêle année. Une nouvelle habitude beaucoup plus contraignante pour certains d’entre nous que pour d’autres. Anissa Mekrabech est atteinte d’une surdité moyenne bilatérale. Et même si elle est appareillée, elle s’appuie sur la lecture labiale pour faciliter la communication. Une pratique rendue impossible par le port d’un masque chirurgical ou en tissu par ses interlocuteurs. C’est alors qu’elle imagine le masque inclusif. Une idée qui allait faire d’elle une jeune entrepreneuse à succès.
Le 3 avril 2020, alors qu’Anissa Mekrabech se rend à la pharmacie de son quartier à Toulouse, elle se retrouve nez à nez avec une préparatrice masquée, derrière une vitre en plexiglas, qu’elle ne peut approcher, distanciation sociale oblige. « Nous sommes parvenus à nous comprendre, mais cela a été très compliqué », se souvient la jeune femme. Une situation délicate dont elle n’est pas la seule à pâtir. « J’ai immédiatement pensé que beaucoup d’autres personnes devaient se trouver, comme moi, dans l’impossibilité de communiquer à cause d’un simple bout de tissu, et j’ai donc réfléchi à une solution », explique-t-elle.
Ainsi est né le premier masque dit inclusif. Il s’agit d’un masque disposant d’une fenêtre transparente laissant les lèvres apparentes. « Mon premier modèle a été fabriqué avec les moyens du bord, pour en éprouver l’usage », précise la Toulousaine. Et rapidement, un second prototype voit le jour. Le tissu utilisé est plus respirant et l’ergonomie plus travaillée pour que le matériau ne colle pas à la bouche. Une fois finalisé, le masque est envoyé à la Direction générale de l’armement (DGA), chargée d’homologuer les dispositifs de protection.
L’homologation en poche, Anissa Mekrabech lance la commercialisation de son invention sur son site Internet. Rapidement, son masque inclusif connaît un vif succès et la jeune femme doit trouver un partenaire industriel pour le fabriquer à grande échelle, ainsi qu’un partenaire financier pour créer son entreprise. « Mais en plein confinement, difficile de discuter avec les banques », témoigne-t-elle. « La seule que j’ai rencontrée n’a pas cru à mon projet, pensant que l’obligation du port du masque ne durerait pas plus de trois mois », précise la Toulousaine.
Elle se tourne donc vers une solution de financement participatif, et affiche un objectif de 5 000 euros. Finalement, elle récolte 18 563 euros grâce à 400 donateurs différents. Une somme qui lui permet de lancer, avec ses deux associées, la société ASA Initia (initiales des prénoms des trois fondatrices Anissa, Souad et Aïda) en mai 2020. « Quand j’y repense, il s’agit d’un réel pari », confie-t-elle. Une persévérance qui paye aujourd’hui.
En effet, si l’intérêt d’un masque inclusif reste marginal pendant les deux premiers mois d’existence d’ASA Initia, l’obligation de porter un dispositif de protection dans tous les lieux clos en juillet 2020 a fait exploser les ventes. Les premiers gros clients tels Amazon, Pôle emploi, la SNCF, certaines collectivités ou le ministère de l’Éducation nationale passent commande. « À ce jour, mon invention s’est écoulée à 5 millions d’exemplaires, générant près de 500 000 euros de chiffre d’affaires au total », détaille Anissa Mekrabech.
Un développement qui permet à l’entreprise d’employer les quatre associés maintenant, trois salariés à temps plein et un à mi-temps. Et d’assurer son autofinancement : « Nous ne fonctionnons que par le biais de précommandes ce qui nous garantit une solidité financière. » Pour cette ancienne créatrice en maroquinerie, il s’agit-là d’une belle réussite qu’elle voudrait ériger en exemple.
D’abord, vis-à-vis des femmes. « Je souhaiterais que certaines d’entre elles s’inspirent de mon expérience pour leur démontrer qu’avec de l’audace et de l’obstination, tout est possible », commente Anissa Mekrabech. Même si, elle l’avoue, cela n’a pas toujours été facile. « Le monde des affaires est impitoyable et essentiellement composé d’hommes. Il faut ainsi constamment prouver sa légitimité en tant que femme », souligne-t-elle. Mais qu’importe, la jeune cheffe d’entreprise prend ces postures pour de la jalousie, et redouble d’efforts pour s’imposer.
Ensuite, vis-à-vis des personnes en situation de handicap. « Il ne faut pas se morfondre, mais plutôt chercher à améliorer son quotidien. C’est comme cela que je suis parvenue à me réaliser », avance-t-elle, précisant que, « dans mon cas, ma surdité a même légitimé ma présence sur ce marché ».
Comme à son habitude, elle transforme les obstacles en opportunités. Ainsi, consciente de la disparition à court terme du besoin en masques, avec la levée des contraintes sanitaires, elle a déjà pensé à diversifier les activités de son entreprise. ASA Initia s’apprête à se reconvertir dans la prestation de services et l’accompagnement de projets inclusifs. « Nous nous sommes heurtés à de nombreux écueils durant le développement de notre société et nous souhaitons maintenant en prémunir les porteurs de projets », termine-t-elle.
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