Comme de nombreuses voies à Toulouse, la rue Réclusane tire son nom d’un épisode historique ou religieux de la ville. La pratique moyenâgeuse ayant inspiré cette rue du quartier Saint-Cyprien est des plus curieuses, et pourtant courante à l’époque : emmurer des femmes vivantes. Mais pourquoi ?
Emmurer des femmes vivantes. Si de nos jours la pratique fait froid dans le dos et ne pourrait faire référence qu’à un thriller psychologique à succès, elle était pourtant courante au Moyen Âge. En effet, celles que l’on appelait “les recluses” étaient enfermées à vie dans un réduit de 9 mètres carrés maximum, dont l’entrée était condamnée derrière elles, « soit que sa serrure soit cachetée à la cire, soit que le bâti en ait été cimenté, soit qu’elle soit verrouillée de l’extérieur », précise l’historienne Paulette L’Hermite-Leclercq, professeur (retraitée) d’histoire du Moyen Âge, à l’Université de la Sorbonne (Paris), dans un article intitulé “Reclus et recluses dans le Sud-Ouest de la France“, paru dans l’ouvrage “La femme dans la vie religieuse du Languedoc” (Éditions Privat).
Si quelques unes ont été condamnées à être enfermées pour avoir commis un crime, presque toutes les recluses étaient volontaires. Car il s’agissait là d’un privilège, d’un accomplissement religieux, un acte de foi ultime, dans lequel elles renonçaient au monde pour se consacrer à la prière. Mais au-delà d’un sacrifice personnel, ce retrait de la société avait surtout une vocation collective, car les recluses priaient pour les autres, pour repousser les épidémies, pour assurer les bonnes récoltes d’une saison, pour la protection de la cité… Elles avaient en réalité, du Moyen Âge à la Révolution française, un rôle sociétal : “morte au monde”, elles protégeaient la ville en assurant « une surveillance spirituelle », explique Paulette L’Hermite-Leclercq. D’ailleurs, leur positionnement n’était pas aléatoire.
Les “reclusoirs” étaient placés à des endroits stratégiques, souvent accolés aux édifices religieux, comme en témoigne l’architecte Viollet-le-Duc : « Il était d’usage de pratiquer, auprès de certaines églises du Moyen Âge, de petites cellules dans lesquelles s’enfermaient des femmes renonçant pour jamais au monde. Ces reclusoirs avaient le plus souvent une petite ouverture grillée s’ouvrant sur l’intérieur de l’église. »
Ainsi, ils se trouvaient principalement aux portes de la ville et sur les ponts. À Toulouse, les textes font état d’au moins dix de ces “geôles” : « Le testament d’Arnaud d’Avignonet mentionne sept d’entre elles : sœur Lombarde et sœur Germaine, recluses du Pont-Neuf ; la recluse de Saint-Cyprien, celle de Saint-Barthélémy, celle de Saint-Michel du Barri ; sœur Bertrande, recluse de Saint-Agne ; sœur Jeanne, recluse du couvent du Mont-Carmel. Mais il en existait d’autres à la porte Saint-Etienne, à la porte Arnaud-Bernard et à la porte Narbonnaise », recense Henri Ramet, président de la cour d’Appel de Toulouse dans son ouvrage “Histoire de Toulouse” (1935).
Celle qui retient notre attention est la recluse de Saint-Cyprien dont le reclusoir se trouvait porte d’Isle, attenant au couvent des clarisses de Saint-Cyprien, plus exactement au croisement des allées Charles-de-Fitte et de la rue… Réclusane, alors appelée rue des Dames-de-la-Porte. Un endroit alors très fréquenté, condition sine qua non à l’installation de ces cellules. Car la survie de ces femmes emmurées vivantes était conditionnée à la charité des citoyens.
La recluse de Saint-Cyprien est, comme toutes les autres, totalement dépendante, rappelle Paulette L’Hermite-Leclercq : « Si on l’oublie, elle meurt de faim, de soif, de froid. » Sans aucune issue, celle qui a délibérément choisi de mourir au monde, ne ressortira jamais de l’endroit où elle a été enfermée. Elle reçoit même, avant d’entrer dans son reclusoir, l’extrême onction. Reconnaissants de ce sacrifice, ce sont les citadins qui la nourrissent par une fenestrelle, seule ouverture vers l’extérieur. Toutefois, cette dernière devant rester infranchissable est équipée de barreaux et d’un volet. On lui apporte également de l’eau et du bois de chauffe. Ses excréments sont retirés par une petite ouverture au ras du sol, quand une autre, donnant sur l’église, lui permet d’écouter la messe. A l’intérieur, la recluse ne dispose que d’un lit misérable, d’une table et d’un tabouret. Et bien sûr, d’un autel et d’un crucifix.
Austérité qui garantissait la concentration pleine et entière de la recluse sur la prière. Se couper ainsi de la société et une telle privation de liberté est aujourd’hui réservée au repris de justice. Mais, au Moyen Âge, cette « prison devient un paradis, la porte du Ciel ; le tombeau un berceau où germe la graine d’immortalité bienheureuse », confirme Paulette L’Hermite-Leclercq en évoquant le reclusoir. Un dernier hommage sera rendu à ces femmes, notamment celle de la porte de l’Isle à Saint-Cyprien, en donnant le nom de Réclusane à l’une des rues de Toulouse ayant été témoin de cette pratique.
Commentaires
Marsegne le 10/03/2025 à 17:28
Horreur
Nathy le 10/03/2025 à 19:11
Tu vas adorer
Bassy le 10/03/2025 à 05:13
Très très intéressant vive des articles de la sorte merci
Martine Laurans-OZIOL le 10/03/2025 à 07:20
Merci pour cet article. Je connaissais l’existence de cette pratique au Moyen Âge et cela m’interpelle beaucoup car cela met en évidence la difficulté que nous avons depuis toujours à donner du sens à notre existence sur terre, à comprendre la raison de nos souffrances, à faire appel à une dimension qui nous dépasse. C’est vraiment bouleversant également de voir que c’était des femmes qui sacrifiaient ainsi leur propre vie. Quelle abnégation !
Morère le 10/03/2025 à 12:49
Merci pour cet article très intéressant
montfraix le 10/03/2025 à 10:53
horreur