Alors que le taux d’incidence de la Covid-19 atteint 1 224 cas pour 100 000 habitants en Haute-Garonne, Jacques Izopet, chef du service de virologie du CHU de Toulouse, estime que les mesures sanitaires ont été levées bien trop rapidement. Il fait le point sur la situation épidémiologique et sur ce à quoi il faut s’attendre dans les prochaines semaines, voire les prochains mois.
Jacques Izopet, nous avons, un temps, espéré que l’épidémie de Covid-19 était dernière nous, or ce n’est pas le cas. Qu’elle est la situation épidémiologique actuelle?
Depuis la mi-mars, de manière concomitante à la levée des mesures sanitaires, nous avons observé une légère recrudescence des cas d’infection à la Covid-19. La courbe qui était alors descendante s’est infléchie pour repartir à la hausse. Plus précisément, nous étions à un taux de positivité des tests de 20% à la mi-mars, ce qui reste élevé, pour afficher aujourd’hui un taux de 30%. Une augmentation significative donc de l’infection. En revanche, la pression hospitalière reste faible pour l’instant : les hospitalisations ont beaucoup diminué par rapport à celles observées au pic de la 5e vague, elles sont désormais stables. Nous notons tout de même une petite augmentation des entrées en soins critiques liée à l’hospitalisation de personnes immunodéprimées qui ne répondent pas à la vaccination. Nous sommes donc loin d’une surcharge des services hospitaliers.
La 5e vague que nous connaissons a été marquée par deux sous-variants différents d’Omicron : le BA.1 et le BA.2. Le dernier étant devenu majoritaire (plus de 95% des infections) depuis trois semaines. Quant aux variants Alpha et Delta, ils ont complètement disparus depuis le mois de février. Le BA.1 et le BA.2 disposent tous deux d’une contagiosité plus importante que les variants précédents, mais d’une virulence moindre. Et ils ont généré une immunité croisée, c’est-à-dire qu’une personne ayant été infectée par le variant BA.1 a moins de risque de l’être par le BA.2. De plus, le variant BA.2 échapperait un peu moins aux anticorps neutralisants. Autrement dit, les vaccins sont plus efficaces contre ce variant que sur les précédents et permettent de mieux contrôler l’épidémie.
Vous évoquez un taux de positivité des tests de 30%. Est-ce dû à une recrudescence des tests comme cela a déjà été le cas ?
Les deux phénomènes se neutralisent. Certes, la fréquence du dépistage peut influer sur le taux de positivité des tests mais, depuis quelques semaines, leur nombre est en nette baisse (plus de 250 000 tests ont été réalisés ces sept derniers jours dans la région Occitanie, NDLR) par rapport au mois de janvier et février. Le taux de positivité étant ramené à la quantité de tests effectués, nous ne le surestimons pas puisque nous dépistons moins.
La chute du nombre de tests est due à une certaine banalisation, et peut-être une moindre inquiétude. Car si la contagiosité des variants Omicron est importante, leur virulence l’est moins. De même, le contact-tracing est beaucoup plus aléatoire. On ne teste plus systématiquement tous les contacts d’une personne infectée, comme cela était le cas lors des vagues précédentes.
Pourtant le taux d’incidence, de 1 200 en Haute-Garonne, est extrêmement élevé actuellement. La vague que nous subissons est-elle suffisamment prise au sérieux ?
Effectivement, au regard des chiffres, il n’y a aucune raison de baisser la vigilance. D’autant que, de manière très nette, l’allègement des mesures sanitaires à partir de mi-mars a conduit à une hausse du nombre de cas de Covid-19. Cette dernière n’est pas due à l’arrivée du variant BA.2 mais bel et bien à une baisse des restrictions sanitaires. Dans un même temps, je pense que l’importance d’une troisième dose a été négligée en termes de communication. Alors que l’on sait que le vaccin protège d’une forme grave de la Covid-19, mais aussi d’une transmission de personne à personne.
” Laisser se propager le virus comme on le fait en ce moment, fait courir un risque important aux personnes fragiles “
Ainsi, même s’il est toujours difficile de préconiser des règles générales, il est nécessaire d’inciter les gens à se protéger et à protéger les autres. La suspension des gestes barrière est une levée d’obligation mais en aucun cas une interdiction. Personnellement, je considère que, lorsqu’il existe un regroupement de personnes dans des endroits mal ventilés comme des magasins par exemple, le port du masque doit y être indispensable. De même, à l’extérieur, dans des rues très fréquentées. En réalité, je préconise le masque dans tous les lieux à forte densité de population, en intérieur comme en plein air. C’est une règle de bon sens dans le contexte actuel. J’estime que laisser se propager le virus comme on le fait en ce moment, fait courir un risque important aux personnes fragiles.
Il n’y a pas lieu de revenir à des mesures drastiques comme nous les avons connues. Néanmoins, il ne faut pas faire de banalisation excessive dans la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Le SARS-CoV-2 mute en permanence. Cependant les derniers variants semblent moins virulents. Peut-on penser que les prochains le seront de moins en moins ?
Effectivement, pour les premiers variants (Alpha, Delta…), les données semblaient indiquer une sévérité accrue par rapport aux précédents. Or, depuis l’arrivée d’Omicron, la virulence est moindre. Pour l’instant, il est difficile de faire des paris sur l’avenir et d’affirmer que les futures mutations du virus perdront en gravité. En revanche, il n’y a pas de raison qu’il s’arrête de muter, ni de se répliquer à vitesse grand V. Ainsi, il faudra sûrement réadapter les vaccins. Ces derniers, protégeant contre les formes les plus graves, ont rendu énormément de service. Néanmoins, ils n’empêchent pas les infections. Et si l’on veut limiter le risque de voir apparaître de nouveaux variants, il faudra limiter d’abord leur contagiosité.
Olivier Véran, ministre de la Santé, parle encore d’immunité collective. Le virus étant en constante évolution, cette dernière est-elle envisageable ?
L’immunité collective peut s’appréhender en termes de protection contre une infection, mais aussi contre les formes graves. Elle sera atteinte lorsque 70% de la population sera vaccinée ou/et déjà infectée. On parle d’ailleurs d’immunité mixte ou hybride. Ceci grâce à l’immunité croisée qui, acquise lors de la contraction d’un variant, protège contre le suivant. Ainsi, même si le virus mute, les personnes ayant été infecté par la Covid seront immunisées contre tous variants… même s’il est vrai, la protection n’est pas absolue.
A quoi faut-il maintenant s’attendre à court et moyen termes ?
Nous observons aujourd’hui une recrudescence des infections mais l’on peut espérer, du fait de l’immunité croisée, que le pic sera plus faible qu’au mois de janvier. Mais tout dépendra de l’évolution des mesures sanitaires collectives contre la Covid-19. En d’autres termes, si les taux d’incidence continuent à augmenter, il faudra peut-être penser à revenir à des contraintes sanitaires un peu plus drastiques que celles qui sont en vigueur actuellement.
” Je ne pense pas que nous ayons besoin d’injections régulières au-delà d’une quatrième dose pour les plus fragiles “
Dans tous les cas, un nouveau confinement ne sera pas la disposition adéquate pour contrôler l’épidémie. L’efficacité de ce dispositif reste encore à prouver, et contre le variant Omicron notamment, il n’est pas sûr qu’il s’agisse de la mesure la plus efficace. Ainsi, les approches classiques telles que les mesures barrière, la vaccination, le dépistage et l’isolement sont les seuls piliers qui nous permettront de maîtriser l’épidémie.
Est-on alors “condamnés” à enchaîner les doses de vaccins tous les trois mois ?
Tout dépend de l’évolution des futurs vaccins. En l’état actuel des choses, la troisième dose me semble justifiée au vu des niveaux d’immunisation que l’on obtient. Mais je ne pense pas que nous ayons besoin d’injections régulières au-delà d’une quatrième dose pour les plus fragiles. Ceci grâce à la nouvelle génération de vaccins. Ils seront sûrement plus efficaces et permettront d’avoir des injections plus espacées.
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