Il est des professions plus difficiles à assumer que d’autres. Fossoyeur, contrôleur fiscal, thanatopracteur, égoutier… Certaines ont une mauvaise réputation, d’autres sont simplement inenvisageables pour la plupart d’entre nous. Sébastien Lion, lui, est nettoyeur de l’extrême. Un métier qui donne la chair de poule, mais pas toujours pour les raisons que l’on pense. Portrait.
« Nettoyer des reste humains, des bouts de cervelle ou un tas de déchets d’un mètre vingt avec une vieille dame dedans, ce n’est pas quelque chose de normal. » Sébastien Lion, fondateur de la société 7 Oclean, parle de son métier sans détours ni pincettes. Installé à Montpellier, ce nettoyeur de l’extrême est l’un des rares professionnels de la propreté spécialisé dans le nettoyage de scènes de crimes et les situations d’insalubrité exceptionnelles : suicides, accidents, logements de personnes victimes du syndrome de Diogène, dératisation ou lutte contre les cafards… Un métier « profondément humain » où il faut pourtant savoir « fermer son cœur et débrancher son cerveau ».
Car il y a des nettoyages qui laissent des traces indélébiles. En deux ans d’activité, Sébastien Lion a effectué cinq interventions liées à des affaires judiciaires. Des missions qu’il n’est pas prêt d’oublier. « Vous vous souvenez de chacun de ces nettoyages », martèle-t-il avant d’entrer dans les détails. « Ce ne sont pas toujours des crimes, il y aussi des morts naturelles. Des suicides, des accidents ou des personnes dont le décès a été tardivement signalé et qui se sont vidées. Mais après certains accidents ou quand une personne s’est tiré une balle dans la tête, c’est un carnage et il y en a partout. Même dans les interstices des meubles », avertit le nettoyeur qui, dans ces cas là, intervient après l’enlèvement du corps par la police et la clôture des relevés judiciaires.
Alors pour surmonter le choc d’une scène traumatisante, Sébastien Lion a sa méthode. « Avant d’ouvrir la porte, on se renseigne sur la nature de l’opération, sans entrer dans les détails, puis on se met en condition. Pour cela, je me concentre et je me focalise sur la dimension technique. J’essaie de ne plus voir de la merde et du sang, mais des particules rouges ou marrons à nettoyer », dévoile-t-il. Une fois équipé de sa combinaison blanche et de tous ses équipements de protection (masque antivirus, gants et surchaussures), celui-ci peut commencer le travail. Et, malgré l’ampleur de la tâche, pas question d’y aller au karcher « comme un bourrin ». Vaporisateur, nébulisateur et petites brosses… Le nettoyage extrême est, en fin de compte, une tâche minutieuse.
« Parfois je parle aux restes des personnes que je nettoie »
Mais, malgré ce self-control, il n’est pas toujours facile de contenir ses émotions. D’autant que certains nettoyages supposent d’entrer dans l’intimité d’une famille fraîchement marquée par une drame. « L’empathie est automatique. Vous vous mettez dans la peau de la personne, de sa vie, des souffrances endurées. Parfois je parle aux restes des personnes que je nettoie, je leur demande ce qui s’est passé. C’est pour épargner l’affect que j’essaie d’éviter de connaître trop de détails. Dans certains cas, je préfère ne pas savoir si un enfant était présent », confesse Sébastien Lion. Alors quand certains ont recours à un psy pour vider leur sac, lui se contente de rouler une vingtaine de kilomètres en moto pour mettre un peu de distance avec un travail pas tout à fait « normal ».
C’est d’ailleurs une dimension qui l’a séduit quand il s’est reconverti, après 20 ans passé dans le commerce du tissus. Un peu par ras-le-bol de la hiérarchie et un peu par défi. « Ramasser les morceaux de crâne d’une personne qui s’est tiré une balle dans la tête, c’est une chose que tout le monde ne peut pas forcément faire. Nettoyeur extrême est un métier dangereux physiquement, avec des risques de contamination, autant que psychiquement », explique Sébastien Lion qui voit avant tout son métier comme un service à la personne. Et pour cause, c’est un événement familial qui lui a fait prendre conscience de l’utilité du métier. « Mon beau père est mort étouffé dans son sang et c’est sa femme qui a été obligée de nettoyer. J’ai trouvé cela inacceptable ».
« Si je passe trop de temps sans faire un Diogène ou des cafards, ça me manque »
« J’aime cette sensation d’arriver et que mon passage produise un effet de choc avant-après. Pour certaines personnes, c’est une renaissance, une deuxième chance dans la vie. Même s’il est technique, mon travail est au cœur de l’humain », assure-t-il avant d’évoquer les larmes d’une vieille dame redécouvrant son appartement débarrassé des immondices accumulés pendant des années. Un souvenir qui lui donne encore aujourd’hui la chair de poule.
Car Sébastien Lion aime son métier. Il assume d’ailleurs, sans trop pouvoir l’expliquer, être passionné par ce qui concerne le post-mortem. « Je ne sais même pas ce qui m’attire là-dedans. Peut-être la dimension solennelle et hors-norme que représente le funéraire et le judiciaire », esquisse-t-il, conscient que ce trait de personnalité puisse surprendre ceux qui le rencontrent. « Les gens me prennent pour un fou car je parle de mon métier avec passion. C’est peut-être dur à imaginer, mais si je passe trop de temps sans faire un Diogène ou des cafards, ça me manque », dévoile-t-il. Car, après tout il n’y a pas de sot métier et chacun peut cultiver le goût du travail bien fait. Même si cela consiste à « ramasser des excréments ou de la cervelle ».
« Les gens me demandent d’éradiquer leur femme ou un voisin »
Une fois l’incrédulité et la surprise passées, la plupart de ses interlocuteurs finissent par saluer le courage nécessaire à l’exercice d’une telle besogne. Ou par se croire drôles. « Souvent, les gens m’appellent Monsieur Propre bien que je ne sois pas chauve. Ou alors, ils me demandent d’éradiquer leur femme ou un voisin gênant. Parfois j’entre dans leur jeu et je leur annonce un tarif à cinq chiffres. Mais, à la longue, ces blagues sont lassantes », s’amuse Sébastien Lion. Et s’il affirme s’épanouir dans son travail, il ne le conseille pas à tout le monde. « Il faut être solide mentalement et être prêt à voir des choses abominables ». Pour ensuite, en fin de journée, tout ranger dans un coin de sa tête et retrouver, comme lui, sa vie de père de famille comblé.
Commentaires