Afin de lutter contre les déserts médicaux, l’Union régionale des professionnels de santé (URPS) des médecins libéraux d’Occitanie a mené une analyse détaillée de la situation. Son président, Jean-Christophe Calmes, revient sur les inégalités d’accès aux soins sur le territoire, en explique les raisons et avance des pistes de réflexion pour les limiter.
Jean-Christophe Calmes, avec 6 214 médecins généralistes, soit 9,9 pour 10 000 habitants, quelle est la situation de l’Occitanie en terme d’accès aux soins ?
Pour l’instant, la région se trouve dans la moyenne française, avec 4,2 consultations par an et par habitant, quand la moyenne nationale est de 3,9. Sauf que, en Occitanie, nous avons un problème de répartition. Nous disposons d’une bande littorale et de plusieurs grandes villes peuplées et denses médicalement, mais plus on s’en éloigne et moins on trouve de médecins. Ainsi, ces statistiques sont trompeuses puisque le taux de généralistes par habitant est supérieur dans certaines zones, et très inférieur dans d’autres. Nous dénombrons notamment moins de 3,5 consultations par an et par habitant sur un tiers du territoire. Notre crainte étant que cette pénurie s’étende à l’ensemble de la région.
Aujourd’hui, en Occitanie, combien de temps faut-il, en moyenne, pour obtenir un rendez-vous chez un généraliste ?
Tout dépend si vous avez un médecin traitant ou pas ! Si oui, vous aurez un rendez-vous dans la semaine, le délai médian étant de 5 jours. Ce qui est tout à fait correct pour une consultation courante comme le renouvellement d’un traitement. En revanche, pour une urgence, ou une pathologie pédiatrique, dans 90% des cas, la prise en charge peut être faite dans les 48 heures. Pour cela, certains médecins réservent jusqu’à cinq rendez-vous par jour aux urgences. D’autres rallongent leur temps de travail. Ainsi, un généraliste effectue en moyenne 52 heures de travail hebdomadaire.
60 % des médecins libéraux d’Occitanie confient ne plus pouvoir accepter de nouveau patients…
Nous parlons là d’accepter d’être le médecin traitant d’un patient. Et effectivement, il y a moins de médecins pour une population en constante augmentation, ce qui explique ce chiffre. Il faut savoir qu’un médecin traitant a le devoir de suivre de près ses patients et que c’est très chronophage. La plupart ne se sentent donc pas en capacité de s’occuper consciencieusement d’une patientèle dépassant les 1 000 personnes.
Pour l’heure, quels sont les territoires d’Occitanie où la densité médicale est la plus faible ?
Certaines zones sont en véritable détresse, l’accès aux soins y est très difficile. Mais il est compliqué d’identifier des régions précises car le territoire est morcelé devant cette réalité, et le phénomène ne répond à aucune règle. Dans certaines zones urbaines comme le Mirail à Toulouse, la Paillade à Montpellier ou l’Île de Thau à Sète, il n’y a presque pas de médecins, alors que nous sommes en pleine ville. De même, la situation est favorable dans certaines zones rurales et totalement catastrophique dans d’autres. En Occitanie, les déserts médicaux sont ainsi difficiles à appréhender, ce qui rend les actions pour y remédier d’autant plus compliquées à mettre en place. Par exemple, la situation est stable aux alentours de Rodez, mais elle est désastreuse dans le reste de l’Aveyron. On ne peut donc pas prévoir un plan de sauvegarde pour le département, puisque l’état des lieux diffère au sein même d’un seul territoire.
Comment expliquer la création de déserts médicaux en Occitanie ?
D’abord par la démographie médicale. Le nombre de médecins dans la région ne cesse de diminuer ; le résultat de 30 ans de politique de restriction du numerus clausus. Ce dernier a été récemment rouvert mais il faudra 10 ans pour en observer les retombées, le temps nécessaire pour former un médecin. Ainsi, jusqu’en 2030, la courbe va continuer à décroître pour ensuite remonter et atteindre à nouveau les niveaux actuels en 2035.
De même, le corpus médical a changé. Nous ne sommes plus sur le modèle ancien du médecin, qui était en général un homme subvenant aux besoins de sa famille, et disposant d’une secrétaire. Aujourd’hui, le généraliste est majoritairement une jeune femme (60 % de réussite en première année), qui doit également concilier vie professionnelle et vie familiale. Elle est ainsi moins disponible sur le temps médical. Un nouveau modèle qui s’applique également aux jeunes hommes.
Ces jeunes médecins ont également des conjoints, appartenant à une catégorie socio-professionnelle qui nécessite un environnement économique développé. Ils privilégieront donc des secteurs géographiques dynamiques comme la Haute-Garonne, au détriment de départements tel que les Hautes-Pyrénées par exemple.
Pour finir, les politiques d’aménagement du territoire en Occitanie sont aussi responsables des déserts médicaux. Nous avons constaté que partout où les pharmacies, les boulangeries et les bureaux de Poste ferment, les médecins disparaissent. Autrement dit, si les pouvoirs publics ne font rien pour redynamiser certaines régions, l’offre médicale ne s’y développera pas.
« Se réorganiser pour mieux soigner »
Dans un même temps, l’étude de l’URPS des médecins libéraux d’Occitanie révèle qu’un tiers d’entre eux ont 60 ans et plus. Quelle en sera la conséquence, et à quelle échéance ?
Ils vont prendre leur retraite dans les années qui viennent. Nous allons donc perdre une quantité considérable de médecins. En sachant que 10 à 15 % ont déjà dépassé l’âge de départ à la retraite, et continuent à exercer. Ces derniers ont été fatigués par la Covid-19, et beaucoup lâchent prise et vont cesser leur activité. Un phénomène inquiétant. D’autant que, d’ici 2030, il n’y aura pas assez de nouveaux médecins pour les remplacer. Il faut donc répondre à ce problème autrement, en se réorganisant pour mieux soigner, comme par exemple avec le développement des maisons pluridisciplinaires de santé.
Pour lutter contre les déserts médicaux, des zonages ont été mis en place pour inciter les médecins généralistes à s’installer dans les territoires les plus fragiles. Quelle est leur efficacité ?
Ce zonage est réalisé par l’Agence régionale de santé (ARS) en fonction d’indicateurs observant l’adéquation territoriale entre l’offre et la demande de soins en médecine générale. Mais il s’agit-là d’un combat d’arrière-garde, totalement illusoire, car il n’est plus question d’attirer des médecins dans certaines zones. Le problème étant généralisé, le besoin est permanent et réel dans tout le pays. De plus, ce dispositif impose une contrainte supplémentaire à une profession déjà difficile. Sachant que 10 % des médecins de 30 à 40 ans, et 20 % des 40 à 60 ans pensent déjà à changer de métier, cela ne me semble pas très judicieux, voire contre productif.
Le salariat des médecins par les collectivités est-il une solution plus pertinente ?
Dans cette proposition, il s’agit de sortir des médecins du libéral pour les placer dans des centres de santé. Autrement dit, vous avez pris une ressource pour la mettre ailleurs. C’est creuser un trou pour reboucher celui d’à côté. Ce n’est donc pas très efficient comme dispositif. La Région, qui porte ce projet, aura, je pense, beaucoup de mal à trouver des médecins volontaires. De plus, cette méthode coûte aux contribuables. Doivent-ils accepter de payer des soins d’une part au travers de leurs cotisations sociales, et d’autre part au travers de leurs impôts locaux ?
« Il faut des salariés pour les médecins, pas des médecins salariés »
Quelles solutions propose alors l’URPS des médecins libéraux d’Occitanie ?
Selon un rapport de l’ARS, nous savons que les médecins originaires d’un territoire ont tendance à y revenir. Ainsi, aider des étudiants en santé, issus de régions où il existe une pénurie de généralistes, en leur attribuant des bourses, peut être une solution. En contrepartie, ils s’engagent à exercer cinq ans dans ce même territoire. Le département de la Haute-Garonne a opté pour ce levier et cela fonctionne.
Également, faire des stages est généralement très incitant. Ce qu’ont très bien compris l’Aveyron et la Lozère par exemple. Ces départements ont créé des conditions attractives pour les stagiaires, en déployant des Maisons d’internes ou d’étudiants, qui proposent des activités de loisir, des sorties… En adoptant cette politique il y a 10 ans, l’Aveyron est le seul département à afficher une démographie médicale positive.
Jouent aussi les conditions d’exercice. Simplifier l’accès aux aides conventionnelles à l’embauche de salariés ou disposer des emplois aidés des collectivités permettraient aux médecins de recruter des assistants médicaux qui géreraient les dossiers, des infirmiers qui prendraient en charge certains actes, des secrétaires médicales qui s’occuperaient de la prise de rendez-vous… Bref, donner aux généralistes la possibilité de se constituer une équipe. Il faut des salariés pour les médecins, pas des médecins salariés.
A quoi faut-il s’attendre à court terme ? Quelle sera la situation en 2025 ?
Dans trois ans, 140 territoires vont enregistrer une densité médicale vraiment très basse, et 200 sur 290 se trouveront dans une position réellement problématique. La situation est très tendue et si l’on agit pas urgemment, en réorganisant la manière de soigner d’une part, et en donnant plus de moyens aux médecins pour assurer leur mission d’autre part, l’accès aux soins pourra être encore plus difficile dans certains territoires.
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