Après une année 2022 marquée par une sécheresse inédite en Haute-Garonne, le niveau d’eau dans la Garonne est au plus bas en ce mois de février. Une situation exceptionnelle mais qui est vouée à devenir la norme : en 2050, le déficit en eau sera de 1,2 milliard de mètres cubes sur le bassin Adour-Garonne. Pour limiter les impacts sur l’environnement et sur les habitants, le Département met en place plusieurs actions. Jean-Michel Fabre, vice-président de la collectivité, en charge notamment de la gestion de l’eau, et président du Syndicat mixte d’études et d’aménagement de la Garonne (SMEAG) dresse un état des lieux inquiétant de la situation hydraulique actuelle et revient sur les différentes manières d’en amoindrir les impacts.
Jean-Michel Fabre, l’année 2022 a été extrêmement sèche en Haute-Garonne, engendrant de nombreuses restrictions de l’usage de l’eau. Comment s’annonce l’année 2023 ?
En effet, l’année 2022 a été tout à fait particulière : elle a commencé par des inondations pour ensuite battre des records, à partir du mois d’avril, de températures et de manque d’eau. Nous avons donc dû amorcer le soutien d’étiage (lâcher d’eau) à la Garonne très tôt et le poursuivre plus longtemps (jusqu’au mois de novembre) qu’à l’habitude. En 2023, fait exceptionnel, nous avons lancé la cellule de crise de gestion de l’eau au mois de janvier. Actuellement, nous sommes déjà en manque d’eau car il ne pleut pas suffisamment et que le manteau neigeux est faible. La Garonne est au tiers (moins de 50 m3/seconde) de son débit moyen (150 m3/seconde). L’année 2023 s’annonce donc tout aussi difficile que la précédente. À la différence que, en 2022, les réserves d’eau et les nappes phréatiques étaient pleines au début du printemps, le stock neigeux était satisfaisant. Or, à l’heure où nous parlons, les réserves (eau stockée dans les barrages) sont historiquement basses, et nous savons que la plupart ne se rempliront pas complètement d’ici cet été. Sans compter qu’une nouvelle contrainte vient s’ajouter en 2023 : la crise énergétique. Car, pour soutenir la Garonne, nous utilisons les réserves hydroélectriques, qui servent également à produire de l’électricité. Ainsi, nous devons, et nous devrons, gérer régulièrement l’usage de ces réserves, ce que nous n’avions jamais eu à faire.
« Retenir l’eau doit maintenant être une véritable obsession »
Pour pallier ce manque d’eau, qui devient chronique, quels sont les premiers leviers à actionner pour préserver l’eau de manière naturelle ?
En premier lieu, la sobriété ! Et il ne faut pas en faire preuve que l’été ! Elle doit désormais devenir une habitude et ne pas être vécue comme une punition. Tout le monde doit faire attention à sa consommation d’eau, et ce toute l’année. Privilégier les douches aux bains, ne pas laver sa voiture toutes les semaines… Des gestes simples mais indispensables. Ensuite, nous devons faire en sorte que l’eau reste là où elle tombe. Par exemple en préservant les zones humides. Elles représentent une part importante de notre stockage naturel. Également, en incitant l’agriculture à évoluer, afin que les sols soient moins tassés et gardent mieux l’eau. Enfin, en apprenant à stocker l’eau en milieu urbain. Ceci est possible si nous arrêtons de tout bétonner et imperméabiliser les sols. A Toulouse, lorsqu’il pleut, toute l’eau tombée se retrouve dans la Garonne en une demi-heure. Retenir l’eau doit maintenant être une véritable obsession.
Quand la préservation naturelle de l’eau ne suffit plus, quels sont les grands projets mis en place par le Département de Haute-Garonne ?
Au vu de l’emballement du changement climatique, nous devons accélérer la mise en place de nos actions. Nous avons notamment lancé un projet unique en France (en Haute-Garonne et dans le Lot-et-Garonne) : la ré-infiltration de l’eau dans les nappes phréatiques durant l’hiver et le printemps. Cette expérimentation, qui a lieu en ce moment du côté de Saint-Martory, consiste à ponctionner l’eau des rivières alentour et du canal de Saint-Martory pour l’emmener vers des fossés de terre ou vers des étendues agricoles (en accord avec les agriculteurs) afin qu’elle pénètre progressivement les sols et parviennent jusqu’aux nappes. C’est une sorte d’inondation artificielle maîtrisée. Une partie de cette eau pourra ainsi se retrouver dans la Garonne cet été.
Nous travaillons également avec EDF pour disposer de stocks d’eau au moment où un lâcher est nécessaire. Concernant la Garonne, la majorité de l’eau lâchée provient des réserves d’EDF (70 millions de m3 l’année dernière) qui les exploite pour ses centrales hydrauliques. Et, d’ordinaire, en hiver, ces dernières sont pleines ; EDF en profite donc pour turbiner l’eau et produire plus d’énergie. Mais pour la première fois, sur certains barrages de montagne, ce turbinage a été stoppé pour garder le précieux liquide, en prévision d’une nouvelle sécheresse estivale.
D’autre part, nous mettons en place l’alimentation artificielle des réserves en pompant de l’eau dans les rivières alentour. C’est le cas pour le barrage du Filheit, en Ariège. D’habitude, c’est en mai que nous faisons le point sur les niveaux de cette installation et que nous décidons de rajouter de l’eau par pompage. Mais déjà en février, cette réserve n’est remplie qu’à 20% de sa capacité. Nous avons donc pris la décision de lancer le remplissage artificiel dès maintenant. Une opération qui ne sera même plus possible si le débit des cours d’eau voisins est trop faible.
Enfin, nous sollicitons les réserves non utilisées destinées à l’agriculture, situées sur le Touch. Là aussi, certaines peuvent être remplies de manière artificielle. Nous allons comme ceci chercher million de mètres cubes par million de mètres cubes. Nous exploitons au mieux les installations existantes avant de penser à en créer d’autres. D’autant que construire des barrages serait totalement inutile si l’on ne parvient plus à les remplir…
« Le devenir d’EDF est une question vitale désormais dans la gestion de l’eau »
Vous indiquez que la majorité de l’eau des étiages provient des barrages d’EDF. Ce producteur public d’électricité a donc un rôle central dans la gestion de l’eau ?
Il est capital aujourd’hui. Si l’on peut travailler avec EDF comme nous le faisons, dans l’intérêt général, c’est parce qu’il s’agit d’une entreprise d’essence publique, qui garde le sens du service public. Cela leur permet d’arbitrer en faveur de l’eau potable lorsque nous en manquons. Si des industriels étrangers avaient été à la tête d’EDF, ils auraient fait valoir leur contrat d’exploitation et n’auraient eu que faire des problématiques territoriales. Ainsi, le devenir d’EDF est une question vitale désormais dans la gestion de l’eau. Je rappelle que c’est avec le consentement de cette entreprise que nous avons pu réalimenter la Garonne l’été dernier. La Garonne qui alimente 1 million de personnes en eau potable, 70 000 hectares de cultures et de nombreuses industries dépendantes de l’eau comme l’usine de papier de Saint-Gaudens ou la centrale nucléaire de Golfech. Il s’agit ainsi d’une réelle bataille politique que de souhaiter qu’EDF reste dans le giron public.
Si la situation persiste, ce qui semble être le cas, y a-t-il un risque de manque d’eau potable ?
Oui ! Mais nous faisons tout pour que cela n’arrive pas. Cependant, l’été dernier, certaines communes n’avaient plus d’eau au robinet. Ces risques doivent d’ailleurs faire évoluer les usages que nous avons de l’eau potable qui, dans 90% des cas, est utilisée sans qu’elle ne soit nécessaire. Ne plus nettoyer les rues à l’eau potable, par exemple, pourrait permettre d’en économiser un certain volume.
« Ce qui est rare est cher »
Ce manque d’eau potable pourra-t-il avoir un impact sur le coût et donc sur le prix de l’eau potable ?
Le coût augmentera forcément. D’abord parce que ce qui est rare est cher. Ensuite, parce qu’il va falloir investir davantage pour préserver la ressource. Enfin, parce que les traitements qui permettent de passer d’une eau brute à une eau potable vont devenir de plus en plus complexes, l’augmentation de la température de l’eau et le débit moindre engendrant une multiplication des bactéries.
Quant au prix de l’eau potable, il s’agit-là d’une question politique. Nous le savons, l’augmentation des produits de première nécessité lèse toujours les plus précaires. Au Conseil départemental, nous sommes très attachés à la justice sociale et nous travaillerons donc sur des tarifs différenciés.
Pensez-vous que les Haut-Garonnais ont suffisamment pris la mesure de l’urgence ?
Avec la sécheresse de l’été dernier, les citoyens ont pris conscience de la gravité de la situation. Il est d’ailleurs à noter que la consommation d’eau est en baisse par habitant. Seulement, si l’on peut consentir des efforts sur la consommation d’énergie, il est difficile d’en faire beaucoup sur la consommation d’eau. Une fois que les premiers écogestes ont été mis en place, difficile d’aller plus loin. On ne peut pas se laver moins souvent. On ne peut pas boire moins d’eau. Il faut que les citoyens comprennent que la situation n’est pas encore catastrophique mais préoccupante et que tout le monde peut contribuer à ce qu’elle ne s’aggrave pas. Et je leur certifie que le Département est pleinement mobilisé sur ce sujet de la gestion de l’eau.
« Rebattre toutes les cartes serait irresponsable en cette période de manque d’eau »
Le passage de la compétence de la gestion de l’eau aux intercommunalités prévu en 2026 va-t-il fragiliser les politiques du Département en la matière ?
Cela va déstabiliser les politiques en œuvre, oui ! Pour éviter un trop grand chamboulement, nous avons mis en place un certain nombre de schémas départementaux, à l’image de celui de l’eau potable, des eaux usées, pour coordonner le travail des intercommunalités, ainsi que le projet Garonne Amont qui permet de maintenir l’équilibre entre les besoins et les ressources en eau. Il y a quelques décennies, la cohérence de toute la gestion était assurée par l’État qui avait toutes compétences. Depuis les lois de décentralisation, les acteurs se sont multipliés : les communes, les intercommunalités, les syndicats de rivière, les syndicats des eaux… Et le Département a instinctivement pris la main pour assurer la coordination. Une responsabilité qui nous semble naturelle puisque, je le rappelle, les départements ont été conçus autour des rivières. Mais, il faudrait cesser de modifier les règles tous les trois ans, nous gagnerions ainsi en d’efficacité. Il vaut mieux consolider ce qui est en place que de déstabiliser les organisations régulièrement. Nous prenons nos responsabilités. Rebattre toutes les cartes serait irresponsable en cette période de manque d’eau.
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