Fraîchement élue au bureau de l’Association des Maires de France, Karine Traval-Michelet, l’édile socialiste de Colomiers, revient sur les principales problématiques que rencontrent ses homologues dans tout l’Hexagone : violence envers les élus, baisse des dotations de l’État, statut des maires… Les premiers magistrats des communes de France sont inquiets et l’ont fait savoir lors du 105e Congrès des maires et des présidents d’intercommunalités, qui avait lieu du 21 au 23 novembre. Interview.
Karine Traval-Michelet, en tant que première magistrate de la ville de Colomiers, vous vous êtes rendue au 105e Congrès des maires fin novembre. Qu’attendiez-vous de ces rencontres ?
Le Congrès des maires est un moment important et attendu pour nous permettre de nous retrouver, d’échanger, de participer à des ateliers sur des sujets qui font le quotidien des plus de 36 000 maires de France. Nous y trouvons donc des idées inspirantes à dupliquer dans nos communes. Nous y faisons aussi entendre notre voix et interpellons le gouvernement quant à nos principales problématiques. Cette année, la thématique était : “Les communes attaquées, la République menacée”. Et nous avons pu y faire remonter notre inquiétude face à la violence réelle envers les élus. Confronter les expériences de chacun nous permet de ne pas nous sentir isolés. Nous sommes généralement le nez dans le guidon, tellement absorbés par notre tâche qui nous prend 24 heures sur 24, sept jours sur sept, qu’il s’agit là d’un moment de respiration dans un climat de plus en plus difficile.
« Je reçois parfois des lettres anonymes très virulentes, avec des menaces… »
La question de la hausse des violences envers les élus était donc au cœur du Congrès. Avez-vous vous-même été victime de ce type d’agression ?
Je reçois parfois des lettres anonymes très virulentes, avec des menaces… Je porte plainte bien sûr, mais il n’y a pas de suite. Ainsi, si je n’ai pas été victime directement, je sens quand même monter une tension et je vois les incivilités se multiplier. Les critiques s’expriment désormais de façon parfois violente, notamment sur les réseaux sociaux qui modifient notre rapport aux citoyens. Il y est exigé une forme d’immédiateté qui nous place dans une difficulté à dérouler un argumentaire nécessaire pour répondre à certaines problématiques soulevées par nos administrés. Nous faisons face à des invectives qui nous ciblent nous les élus. Le paroxysme ayant été atteint lors des récentes violences urbaines, jusque là cantonnées aux grandes villes, qui ont été recensées dans les zones plus rurales. Des attaques aux symboles de nos communes que sont les écoles, les bâtiments publics, les bibliothèques… qui nous ont beaucoup frappées. Le rapport que peuvent avoir les citoyens à leur service public de proximité s’est dégradé.
Comment s’explique, selon vous, cette défiance envers les pouvoirs publics de proximité ?
Les causes sont multiples : une défiance globale envers un système politique, des vécus difficiles, l’inquiétude concernant la question environnementale, la préoccupation des fins de mois et de l’avenir des enfants…
Nous savons que le maire reste l’élu de proximité le plus apprécié des citoyens, car le plus accessible. Cependant, il est également le plus accessible quand il s’agit de se plaindre… même si les problématiques en question ne sont pas de sa compétence. Ainsi, les personnes qui invectivent les maires ne lui en veulent pas forcément personnellement, mais il est le seul interlocuteur à qui elles peuvent faire part de leurs difficultés. Et plus la commune est petite, plus les élus sont confrontés à cette agressivité, qui tourne parfois à l’agression.
🎙️ La semaine dernière, Karine Traval-Michelet intervenait à la table ronde « Logement : les maires en première ligne face à la crise » au congrès de @l_amf.
— Groupe MSED – Toulouse Métropole (@GroupeMSED) December 1, 2023
En présence du ministre du Logement, elle a pointé le manque de moyens des collectivités pour faire face à ce défi ! pic.twitter.com/mfnrAqexyY
Les maires sont également confrontés à la baisse des dotations de l’État, ce qui a été l’un des sujets abordés au Congrès… De quoi parle-t-on exactement ? Quelle est la perte financière pour votre ville de Colomiers ?
La dotation globale de fonctionnement (DGF), que verse l’État à toutes les communes en contrepartie des compétences qui ont été transférées aux Municipalités, s’est amoindrie au fil du temps. À Colomiers, en 2013-2014, il y a dix ans, nous percevions 6 millions d’euros de DGF par an. Aujourd’hui, nous n’avons plus que 1 million d’euros. Nous avons donc perdu 5 millions d’euros par an, ce qui représente pratiquement le montant de notre épargne. Nous demandons donc à l’État de redoter l’enveloppe et de l’indexer a minima sur l’inflation. Élisabeth Borne est venue au Congrès en rajoutant 100 millions d’euros dans l’enveloppe de la dotation globale de fonctionnement. Un premier pas, mais qui n’est pas suffisant !
Quant à la fiscalité propre des communes, nous ne pouvons plus compter sur la taxe d’habitation. Sa suppression est une bonne chose pour les citoyens, mais c’est problématique pour les communes, puisque cela nous prive de ressources et d’un lien fiscal direct avec les habitants. Or, participer à l’impôt commun, c’est aussi participer à la vie de sa commune. Le gouvernement a certes compensé cette suppression de la taxe d’habitation, mais il l’a fait à la hauteur de sa valeur en 2019. Ainsi, si en 2019, la Ville percevait 5 millions d’euros au titre de cet impôt (taux à 11%), ce qui était le cas à Colomiers, ce sera désormais la somme versée par l’État. Donc, les dynamiques démographiques ne comptent plus, ce qui devient problématique pour accueillir de nouveaux habitants. La fiscalité locale repose maintenant sur la seule taxe foncière, et donc sur les propriétaires et les grandes entreprises. Nous avons d’ailleurs dû augmenter la taxe foncière pour nous assurer des recettes.
Les maires demandent alors une “révolution fiscale” pour la mise en place d’une “contribution territoriale universelle” au travers de laquelle chaque habitant participerait à la vie de sa commune. Parce que si les recettes baissent, les charges elles ne cessent d’augmenter.
« La fiscalité locale repose maintenant sur la seule taxe foncière, et donc sur les propriétaires et les grandes entreprises »
Cette situation oblige-t-elle la Ville de Colomiers à revoir certains projets à la baisse, à les repousser, voire à les annuler ?
Pour l’instant, nous n’en sommes pas encore là ! Néanmoins, on ne peut pas demander aux habitants de faire des efforts et de payer davantage sans engager des économies de fonctionnement. Ainsi, tous les dispositifs municipaux sont revus : sont-ils nécessaires ? Utiles ? Ne se chevauchent-ils pas avec d’autres ? Dans un même temps, nous avons réduit la température dans nos locaux, réalisé des investissements de rénovation énergétique… Ainsi, nous travaillons sur des économies de fonctionnement plutôt que sur une baisse des investissements. Notre épargne nous permet encore de tenir ce schéma, mais elle diminue forcément, les recettes ayant baissé et les dépenses ayant augmenté.
L’un des thèmes abordés lors du Congrès est celui du statut des maires. Quelle est votre position ?
Beaucoup de maires estiment aujourd’hui que le statut n’est pas, ou plus, adapté aux conditions d’exercice de leur mandat. L’attractivité de la fonction est remise en question, et dans certaines communes, monter des listes électorales devient difficile. Concilier la vie personnelle et un mandat municipal, maintien d’une activité professionnelle… sont autant de problématiques auxquelles un maire doit faire face. À ce sujet, une commission d’étude est en cours et une proposition de loi devrait en émaner courant 2024. Mais d’ores et déjà, la Première ministre a annoncé, pour les élus des petites communes, une dotation complémentaire qui devrait permettre d’augmenter leurs indemnités. Mais le sujet est plus vaste.
Si l’on veut attirer de nouveaux citoyens prêts à s’engager pour leur commune, il faut pouvoir garantir un véritable statut de l’élu local avec des indemnités plus importantes, une protection sociale, une retraite, des droits liés à la fin d’un mandat… Cela éviterait de surcroit d’afficher une moyenne d’âge des maires de 61 ans comme c’est le cas aujourd’hui. Et je ne parle là que des maires… car nous recensons plus de 500 000 élus sur le bloc communal. Il faut aussi permettre aux adjoints, qui pour la plupart poursuive une carrière professionnelle en parallèle, de venir en mairie et d’exercer leur fonction.
« Des indemnités plus importantes, une protection sociale, une retraite, des droits liés à la fin d’un mandat… »
Ce sont ainsi tous les sujets que vous porterez, maintenant que, rappelons-le, vous avez intégré le Bureau de l’Association des maires de France (depuis le Congrès)…
Je vais porter la voix des maires de France, travailler pour faire le lien avec les instances nationales afin de faire évoluer certains dossiers, notamment ceux que l’on a abordés ici. Je m’inscris donc dans un collectif pour identifier les difficultés des élus et améliorer les conditions d’exercice de leur mandat. Ce siège est aussi la reconnaissance du travail que je mène avec mon équipe au service de Colomiers et de ses habitants, et de mes travaux au sein de l’exécutif de Toulouse Métropole dans le cadre de ma fonction de 2e Vice-Présidente au logement et à l’habitat.
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